La provocation n’est ressentie comme provocation que par ceux et celles qui s’estiment provoqués. Avant de parler de liberté d’expression et de caricatures blessantes, prenons l’exemple de la nudité sur les plages. Que faut-il préférer comme système social ? Le modèle traditionnel est de ne pas dénuder le corps. Dans un esprit de tolérance réciproque, les textiles devraient accepter le nudisme des uns comme les naturistes accepteraient la différence vestimentaire sur une plage partagée par tous et toutes. Le respect de pratiques différentes doit être un critère permettant la coexistence pacifique. Transposons cet exemple dans le cas de la liberté d’expression en matière de religions… Le concept de laïcité est inconnu dans un pays islamique. C’est un fait qui empêche un pays d’être véritablement démocratique. Face à l’expansion des intransigeances intégristes, il ne faut rien céder quand on est démocrate. La démocratie repose sur le libre-échange d’opinions contradictoires pour arriver à une synthèse, et le changement d’avis est un corollaire de cette pratique. Chacun a le droit de dire ce qu’il pense même si cela choque, puisque les religions ont le droit de dire ce qu’elles pensent. Avec une tolérance réciproque, il n’y a plus de provocation possible, mais seulement une invitation au dialogue. Sinon, on forme une société bloquée et réactionnaire, aux mains de personnes qui n’ont pour seule justification que des arguments d’autorité allergiques à l’esprit de la libre pensée. Une caricature mettant en scène une religion ne provoque pas, elle ne fait qu’inciter à réfléchir par rapport à ses propres présupposés.
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article initialement paru sur le monde.fr
18 réflexions sur “Caricatures et tolérance partagée”
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Le lundi 4/10 en 4e5, j’ai fait un cours sur la liberté d’expression. Dans ce cours, vingt minutes sont consacrées à une situation de dilemme autour de la question des caricatures de Mahomet : faut-il ne pas publier ces caricatures pour éviter la violence ou faut-il publier ces caricatures pour faire vivre la liberté ?
(LE MONDE papier du 19 novembre 2020)
S’ils ne sont pas contents et ben qu’ils rentrent au bled ! Notre pays n’a pas à se soumettre à un coran et une charia ! Car ils veulent nous imposer le droit de blasphème ! Ils auront tout le loisir de vivre l’islam en terre d’islam !
Ce n’est pas avec ce genre d’argument qu’on va s’en sortir.
Faire des caricatures en sachant pertinemment que cela va provoquer des réactions très violentes n’est pas de la liberté d’expression, dotée d’une vertu pédagogique, mais bien de la provocation. Il est évident que la réaction collective des croyants est un sentiment d’humiliation.
De même on ne dit « fils de p… » à quelqu’un que pour provoquer une réaction négative : le blesser, le mettre en colère etc.
Vous confondez insulte et caricature ! L’insulte est de l’humeur. Ce n’est pas de l’expression. Définition : « La caricature amplifie certains traits caractéristiques de ce qui est caricaturé ». C’est une métaphore visuelle ! Quand on dit de quelqu’un qu’il est un renard ou qu’il est Jupiter: ce n’est pas vrai par définition. Ce n’est pas vrai littéralement. C’est dit métaphoriquement. C’est une mode d’expression. Cela peut faire discuter, prendre conscience et changer certains traits.
Une caricature n’est jamais par définition du premier degré. C’est faux par définition mais cela transmet de l’information. New-York n’est pas une grosse pomme.
Oui mais à ce moment là, comment faut-il entendre «fils de pute» ? Notamment quand sa mère n’en est pas une, entendu dans tous les sens du terme. Seulement comme une métaphore ou du second degré ? Et pourquoi pas de l’humour tant qu’on y est ?
Soyons sérieux, si quelqu’un me balance «fils de pute» c’est comme s’il me balançait une baffe en pleine gueule. Là c’est une métaphore bien sûr. Seulement celle que je risque de lui balancer en suivant, celle là elle ne sera pas pour rire.
Et je pourrais dire que je n’ai fais là que lui transmettre une certaine information, que je n’ai fais là qu’inviter ce malappris à réfléchir… sur la politesse, le respect, la tolérance, les putes etc.
PAAAFFF ! = si tu n’es pas joli, au moins sois poli !
Continuons le débat donc. Certaines caricatures, publiées par un organe de presse dont l’extrême liberté est d’une l’utilité relative, ont focalisé la réprobation. Est-ce insultant, et qui en décide? Et si l’autre se considère injurié, ne doit-il pas être entendu?
Le respect passe avant ma liberté. Ma liberté est pensée de moi-même , le respect est acte vers autrui. Affaire d’équilibre, c’est vers autrui que je penche.
Bonjour Sarah. Comme tu l’indiques, le problème est « qui décide de ce qui est une insulte » ou non. Personnellement je ne me sens pas agressé par une burka sur un plage dans la mesure où la burka accepte ma nudité. De même j’accepte une caricature méchante sur les athées dans la mesure où les croyants acceptent la revendication de mon athéisme. La tolérance doit être réciproque, sinon il n’y a plus de respect, mais un intégrisme qui veut interdire (par tous les moyens) la libre expression d’autrui. Une caricature, après tout n’est qu’un dessin qui normalement ne fait de mal à personne. Ce qui est considéré par certains comme une insulte n’est après tout que paroles, ce qui normalement ne fait de mal à personne…
En tant qu’enseignant, j’ai testé la réponse des élèves à cette insulte, « fils de pute ». Les lycéens veulent en venir aux mains, je leur montre que sur des paroles il faut se contenter de paroles.
– «Le respect passe avant ma liberté. Ma liberté est pensée de moi-même , le respect est acte vers autrui. Affaire d’équilibre, c’est vers autrui que je penche. » (Sarah Py)
– « La tolérance doit être réciproque, sinon il n’y a plus de respect. » (Michel Sourrouille)
– «La tolérance ne peut jamais être unilatérale.» (Roger Pol Droit, dans un entretien avec Marc-Alain Ouakin)
– « La tolérance est la pensée des limites» (Roger Pol Droit, auteur de «La Tolérance expliquée à tous»)
Ces quatre citations réunies me semblent résumer la question de la tolérance et du respect. Présentées ainsi, ces trois pensées se rejoignent pour n’en former qu’une. Et je pense que cette idée devrait être largement partagée. Personnellement je me retrouve dans chacun de ces mots.
(suite) Maintenant, Michel Sourrouille dit également :
– «Personnellement je ne me sens pas agressé par une burka sur une plage dans la mesure où la burka accepte ma nudité […] Une caricature, après tout n’est qu’un dessin qui normalement ne fait de mal à personne. Ce qui est considéré par certains comme une insulte n’est après tout que paroles, ce qui normalement ne fait de mal à personne… »
C’est ce que dirais moi aussi. Au petit détail près (n’en déduisez pas n’importe quoi ! ) que je ne me ballade pas à poil sur les plages.
De toute façon, qu’est-ce qui est le plus moche, affreux, scandaleux… une burka ou un naturiste ? Je sais, des goûts et des couleurs on ne discute pas. En attendant, personnellement… je pense que certain(e)s naturistes devraient être obligé(e)s de porter une burka. 🙂 🙂 🙂
Blague à part, on voit bien que toute la question (tout le problème) de la tolérance et du respect, est dans le «personnellement».
Personnellement je vois bien que les paroles ne sont pas que des paroles, qui s’envolent. Qu’un drapeau national n’est pas qu’un vulgaire morceau de tissus, qu’un hymne national une simple musique. De même, une statue n’est pas qu’un bloc de pierre, façonné par un artiste, un dessin ou une image ne se résume pas à des traits ou un tas de pixels, etc. etc. Et de tout ça, non seulement j’en suis conscient, mais l’idée que je me fais de la tolérance et du respect m’oblige à en tenir compte.
Pour moi, la tolérance ne s’impose pas, ne se décrète pas, elle se travaille, elle se pense. La tolérance est avant tout une affaire personnelle.
Le philosophe Roger-Pol Droit est l’auteur de « La Tolérance expliquée à tous » (2016).
Pour lui, la tolérance est une pensée des limites.
Tout a des limites, la tolérance, la provocation, etc.
– «Deux choses sont infinies : l’Univers et la bêtise humaine. Mais, en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore acquis la certitude absolue.» (Einstein)
Sur un blog du HUFFPOST (07/09/2016) Michaël de Saint-Cheron, philosophe des religions, commente le livre de Roger Pol Droit. Extraits:
– «Roger Pol Droit nous offre avec La Tolérance expliquée à tous (Points, Seuil), un manuel didactique de grande valeur, qui tombe à point nommé au milieu du débat sur le burkini et sur le voile en général. […]
Dans ce livre sous forme d’un dialogue imaginaire avec un jeune ou un proche, notre philosophe laisse petit à petit découvrir les arcanes qui conduisent à la tolérance autant qu’à ses limites, car non, on ne peut pas tout tolérer. Oui, il existe bien des conduites, des actes, des paroles intolérables. R-P Droit commence son argumentation en prenant pour exemple la médecine. Il y a des médicaments que certaines personnes tolèrent et d’autres non.»
Michel Sourrouille a raison : On peut blasphémer en France . Dont acte. Tout le monde a compris . Donc plus la peine de projeter les caricatures au frontons de nos édifices publics ( Montpellier, Toulouse) .
Tous les pays n’offrent pas cette liberté. Ne devrions nous pas alors conditionner nos ventes de Rafales aux pays du golfe à la condition qu’ils insèrent dans leur législation ce droit ?
– «Tous les pays n’offrent pas cette liberté. Ne devrions nous pas alors conditionner nos ventes de Rafales aux pays du golfe à la condition qu’ils insèrent dans leur législation ce droit ?»
Oui mais, c’est là présupposer deux choses. Déjà que la liberté de s’exprimer, de dessiner, de se moquer, de blasphémer etc. est plus sacrée que le sacro-saint Business. Ensuite c’est présupposer la cohérence, l’absence totale d’hypocrisie, etc.
Qu’est ce qui est le plus sacré finalement ? Le beurre ou l’argent du beurre ?
Tous les corps dénudés sur une plage ne se valent pas, ils ne montrent pas tous la même image, loin de là. J’ai tellement vu d’horreurs sur les plages que j’en suis arrivé à l’idée d’un permis pour faire du naturisme. Ma petite provocation n’est qu’une simple invitation à réfléchir. 😉
Comme il y a différentes formes d’humour (le noir, la dérision, l’ironie…), différents types de rire (le nerveux, le jaune, le fou…), il y a différentes formes de provocation.
Il y a mille façons de provoquer. Par des comportements, des attitudes, c’est à dire avec une certaine image que nous envoyons ou imposons à l’autre, aux autres. Bien sûr aussi avec des images, des vidéos, des photos, des dessins, des caricatures. Sans oublier les mots, les paroles, de chansons par exemple.
La provocation peut être intentionnelle ou pas. Provoquer dans le seul but d’agacer, choquer, emmerder le monde, peut être considéré comme un acte gratuit. On dira que c’est bête et méchant.
Mais le but de la provocation peut être aussi d’inciter à réfléchir.
(suite) Seulement on sait que la réflexion n’est pas du goût de tout le monde. C’est triste mais c’est comme ça. On sait qu’on ne peut pas rire de tout avec tout le monde. On sait qu’il existe des tristes sires qui n’aiment pas rire du tout, on sait qu’il y a des sujets sensibles, tabous, sacrés etc. On sait aussi que tout le monde ne s’appelle pas Jésus, que tout le monde ne tend pas l’autre joue, que dans ce genre de cas les réactions peuvent être violentes. Et surtout on sait que la violence engendre la violence.
Quelle soit intentionnelle ou pas, bête et/ou méchante ou pas, nous mesurons aujourd’hui jusqu’où peuvent aller les conséquences de la provocation. Nous arrivons donc aux limites de la provocation et de l’humour. Notamment comme outils de réflexion.