Choisir l’égoïsme du présent ou l’altruisme envers avenir

Jean-Pierre Dupuy l’a dit : « Notre problème majeur est d’éviter la catastrophe suprême. De mauvaises nouvelles sur l’évolution du climat et pourtant, nous ne faisons rien. Pourquoi ?La façon la plus sûre de remplir notre obligation à l’égard des générations futures, c’est de faire qu’il n’y ait pas de générations futures, en détruisant les conditions nécessaires à leur existence. Les principes de la philosophie morale et politique ne s’appliquent pas à la justice entre les générations. Une théorie de la justice repose sur l’idéal de réciprocité, mais il ne peut y avoir de réciprocité d’intérêts entre générations différentes. La plus tardive reçoit mais ne peut rien donner en retour. Notre responsabilité ne s’adresse pas aux « générations futures », c’est par rapport au destin de l’humanité que nous avons des comptes à rendre.Si nous devions être la cause de ce que la porte de l’avenir se referme, c’est le sens même de toute l’aventure humaine qui serait à jamais détruit. Nous ne sommes pas les propriétaires de la nature, nous n’en avons que l’usufruit. De qui l’avons-nous reçu ? De l’avenir ! La sagesse amérindienne nous a légué la très belle maxime : « La Terre nous est prêtée par nos enfants. » »

Le philosophe Jean-Pierre Dupuy se trompe, rien ne fonde une obligation de faire des enfants tout en pensant à leur avenir lointain. Nicholas GEORGESCU-ROEGEN l’a exprimé d’une formule magnifique : « Peut-être le destin de l’homme est-il d’avoir une vie brève, mais fiévreuse, excitante et extravagante, plutôt qu’une existence longue, végétative et monotone. Dans ce cas, que d’autres espèces dépourvues d’ambition spirituelle – les amibes par exemple – héritent d’une Terre qui baignera longtemps encore dans une plénitude de lumière solaire ! »** Alors comment sortir de l’impasse conceptuelle ?

Le premier maillon d’une chaîne de raisonnements est indémontrable, il ne peut être prouvé. C’est ce qu’on appelle un axiome, un postulat ou un point de vue métaphysique, ontologique. Dit plus simplement, il s’agit d’un simple souhait du type « Je pense que Dieu existe » ou « C’est mon souhait que les êtres dotés d’un cerveau comme le nôtre, fruit d’un développement de plusieurs centaines de millions d’années en interaction avec toutes les formes de vie, défendent un mode de vie qui ne soit pas favorable uniquement à leur propre espèce mais à la totalité de l’écosphère dans toute sa diversité et sa complexité. (Arne Naess) » En fait il s’agit d’un choix fondamental d’existence, qu’on peut poser sur le mode binaire. D’un côté mon égoïsme, l’exubérance irrationnelle mais si merveilleuse du pillage total de la planète au profit de quelques-uns aujourd’hui mais au détriment de tous les autres. De l’autre l’altruisme, une austérité assumée pour laisser des ressources viables aux générations futures et de l’espace pour les autres espèces vivantes. On peut donc de façon contradictoire s’intéresser à l’avenir lointain ou adhérer aux codes d’une bande de prédateurs. Telle devrait être le postulat d’un écologiste, combattre l’égoïsme et favoriser l’altruisme.

* LE MONDE éco&entreprise du15 avril 2014, L’avenir n’a pas besoin de nous

** La décroissance (entropie, écologie, économie) de Nicholas GEORGESCU-ROEGEN (éditions Sang de la terre, 1979)