La direction du journal LE MONDE, après avoir supprimé le service Planète (devenu « Pôle », sans page fixe attribuée), persiste et signe. La chronique écologique qui paraissait dans LE MONDE du samedi (daté dimanche-lundi) a disparu. C’est une chronique politique qui a chassé de sa place l’écologie. Provisoirement ou définitivement ? L’avenir nous le dira. Même si l’actualité est chargée à un moment, Nadal qui gagne ou Mauroy qui meurt, un quotidien de référence se doit d’accorder de l’importance aux événements de fond de notre société. Le texte d’Hervé Kempf qui était prévu est visible sur le site reporterre, nous relayons son contenu :
Le Sud passe au vert
La révolte qui agite la Turquie a été allumée par une étincelle écologique : la protestation contre le projet de construction d’un centre commercial sur la place Taksim d’Istanbul, qui devrait détruire le parc Gezi. A partir de cette étincelle, le mouvement a pris une ampleur qui dépasse de beaucoup son amorce et implique bien davantage que le refus d’une politique méprisant l’environnement au nom du développement économique. La séquence n’en est pas moins remarquable.
Le cas turc est loin d’être isolé. De plus en plus souvent, dans les pays émergents, la protestation écologique est un des principaux motifs d’agitation sociale. Au Chili, le grand mouvement étudiant de 2011 avait pris appui sur le succès inattendu de la manifestation à Santiago contre un projet de grands barrages en Patagonie. En Pologne, une résistance paysanne s’affirme contre les tentatives d’exploration du gaz de schiste. En Chine, les protestations locales contre des usines polluantes sont le ferment le plus actif d’expression de l’insatisfaction sociale sous un régime qui reste très répressif. En Inde, le mouvement des paysans sans terre et les nombreuses résistances à des projets de complexes industriels ou de centrales nucléaires font écho à la rébellion naxalite qui s’appuie dans l’est du pays sur la résistance des autochtones à des plans miniers. Au Pérou comme en Bolivie, la protestation contre des projets de mines ou de routes à travers des parcs naturels ont ébranlé les gouvernements. Au Brésil, si la résistance au barrage de Belo Monte reste localisée, la place qu’a su prendre l’écologiste Marina Silva sur la scène politique montre l’importance de la préoccupation environnementale chez le géant d’Amérique latine.
Peut-on parler d’un « soulèvement contre le développement », comme l’écrit l’analyste Ali Bektas à propos des événements de Turquie ? Sans doute est-ce prématuré. Mais il est clair que la croissance effrénée que connaissent nombre de pays du sud suscite de plus en plus de frustrations, en raison de ses effets secondaires néfastes et de son caractère souvent inéquitable. L’écologie n’est décidément plus un « luxe de pays riches », comme on l’entend parfois, mais bien un élément moteur des dynamiques sociales dans tous les pays du monde.
La destruction écologique peut aussi jouer par la misère, comme le signale le François Gemenne, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales. Bon connaisseur du Bangladesh, il observe que la radicalisation islamiste qui agite le pays peut être associée au dénuement de populations rurales qui perdent souvent leurs maigres avoirs sous les coups de conditions environnementales de plus en plus dévastatrices. Elles se rapprocheraient par désespoir du fanatisme religieux.
Il faut raffiner et préciser ces pistes d’analyse. Mais ce qui est sûr, c’est que la compréhension des enjeux sociaux de la crise écologique doit intégrer l’analyse géopolitique.