Comment définir le « bien mourir » ?

Le 15 novembre 2022, nous avons dépassé selon l’Onu le nombre de 8 milliards d’êtres humains. Alors, faut-il maîtiser notre fécondité ou bien accélérer notre mort ?

La convention citoyenne sur la fin de vie, qui a commencé ses travaux le 9 décembre 2022, pourrait opposer les tenants d’une aide active ou passive à mourir (le sens contemporain du terme « euthanasie ») et les promoteurs des soins palliatifs (visant à soulager les souffrances physiques et psychiques des patients jusqu’à la mort). Ces deux approches, si elles divergent sur les modalités et les finalités des soins apportés aux mourants, partagent pourtant un même espoir : celui d’une mort sereine et pacifiée. La définition du « bien mourir » fluctue en fonction des époques.

Marion Dupont : « Avec la diffusion du christianisme, le moment de la mort notamment, par lequel l’âme est libérée du corps, correspond désormais à la « vraie naissance » et à la possibilité du salut dans l’au-delà. La mort est un passage qui se vit donc dans des cadres religieux. L’assistance à mourir ne se conçoit pas : même les douleurs de l’agonie ne la justifient pas, puisque la vie des hommes n’appartient qu’à Dieu. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, on ose même la prière : « De la mort subite et imprévue, délivrez-nous, Seigneur ». Et le mourant doit se méfier des pièges du démon lors des derniers moments : il pourrait l’inciter à maudire Dieu pour la souffrance qu’il lui inflige. De toute façon, les médecins ne possèdent pas à l’époque les moyens d’atténuer ces souffrances, sinon à la marge.

Un changement s’amorce au XIXe siècle. Résultat de la médicalisation croissante de la vie, notamment des élites, les médecins s’approprient d’abord le moment de la naissance, puis celui de la mort, et s’installent peu à peu aux côtés de la famille et du prêtre lors de l’agonie. Au cours des années 1860-1870, grâce à l’invention de la seringue de Pravaz, la morphine est de plus en plus souvent utilisée. Une alternative commence dès lors à se dessiner pour les médecins : doivent-ils aider à soulager la douleur, comme le leur demandent les patients et comme ils en ont désormais le pouvoir, au risque d’abréger la vie, ou doivent-ils prolonger la vie par tous les moyens ? Finalement, le choix est fait, au début du XXe siècle, de décourager l’usage du dérivé de l’opium, par crainte d’une addiction ou d’une intoxication progressivement mortelle pouvant mener à un coûteux procès. Mais à mesure que les progrès de la médecine augmentent l’espérance de vie, l’importance croissante des maladies chroniques, notamment des cancers, redéfinit les contours de la mort : l’agonie s’allonge, passant de quelques jours à parfois plusieurs années. La prise de conscience de tout ce que ces nouvelles conditions du « mourir » comportent de souffrances morales et physiques pourtant évitables, ne tarde pas.

En France, le débat ne s’ouvre véritablement que dans les années 1970. La fin de vie est de plus en plus technicisée, médicalisée, déshumanisée. Cette façon de faire est perçu comme contre-productif et producteur de souffrances inutiles. Deux conceptions émergent, celle du droit à la mort, portée par l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) et celle portée par les médecins, les soins palliatifs. Le paternalisme médical, qui permettait aux professionnels de décider de ce qui était bon pour le malade, n’apparaît plus possible et légitime à partir des années 1980-1990. Cette domination va être remplacée par une approche plus négociée, qui entend plutôt tenir compte de la subjectivité des malades. »

Le point de vue d’Ivan ILLICH

Il faudrait, quand on est conscient des cycles naturels, accepter la mort quand elle vient et ne pas prolonger la vie indûment. Ivan Illich a dénoncé la dépendance inouïe de l’homme envers la médecine. Rappelons ses propos :

« Le traitement précoce de maladies incurables a pour seul effet d’aggraver la condition des patients qui, en l’absence de tout diagnostic et de tout traitement, demeureraient bien portants les deux tiers du temps qu’il leur reste à vivre… Je voudrais distinguer entre ceux qui désirent des services plus nombreux, meilleurs, moins chers pour plus de gens, et d’autres qui veulent poursuivre des recherches sur les certitudes pathogènes qui résultent du financement des rituels de soins de santé.»

Lire, Covid, regardons sans ciller la mort en face

Ivan Illich étudie ce que dit la technique plutôt que ce qu’elle fait. L’homme-acteur a été remplacé par l’homme considéré comme patient nécessiteux !

«  En 1974, quand j’écrivais Némésis médicale, je pouvais déjà parler de « médicalisation » de la mort. Les traditions occidentales régissant le fait de mourir sa propre mort avaient cédé à l’attente de soins terminaux garantis. Je forgeai alors le mot « amortalité » pour désigner le résultat de la liturgie médicale entourant le « stade terminal ». Ces rituels façonnent désormais les croyances et les perceptions des gens, leurs besoins et leurs demandes. Le dernier cri en matière de soins terminaux a motivé la montée en flèche de l’épargne de toute une vie pour financer la flambée de l’échec garanti. J’ai démontré l’efficacité paradoxalement contre-productive dans des techniques disproportionnées. J’étudiais la médecine comme une entreprise prétendant abolir la nécessité de l’art de souffrir par une guerre technique contre une certaine détresse. La médecine m’apparaît comme le paradigme d’une méga-technique visant à vider la condition humaine du sens de la tragédie. »

Ivan Illich plaidait pour une renaissance des pratiques ascétiques, pour maintenir vivants nos sens, dans les terres dévastées par le « show », au milieu des informations écrasantes, des soins médicaux terminaux, de la vitesse qui coupe le souffle.

Tout savoir sur Ivan Illich, BIOSPHERE-INFO, Ivan ILLICH analyse la technique

16 réflexions sur “Comment définir le « bien mourir » ?”

  1. Un événement chasse l’autre, la pandémie un jour, l’invasion de l’Ukraine un autre jour, l’inflation maintenant, hier la COP27 sur le climat, aussitôt la COP15 sur la biodiversité et le mondial de foot qui chasse toutes les autres informations… Rien ne change si ce n’est en pire. Ce blog essaye de suivre l’actualité en approfondissant l’analyse, ll n’est suivi que par trois pelés et un tondus. Les followers de personnalités qui n’ont aucun intérêt sont suivis parfois par des millions de personnes. Kim Kardashian sur Instagram « influence » 137 millions d’abonnés, mais à part son tour de poitrine, qu’y a-t-il à retenir ?
    Alors il faut se dire que réfléchir sur la fin de vie, c’est penser notre avenir…

  2. modération @ Bga80
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  3. Michel Sourrouille

    La possibilité de cacher son identité dans l’espace public a deux fonctions. Elle permet à ceux qui doivent, pour parler ou agir, échapper à la répression qui menace leur liberté, leur emploi ou leur vie. Les militants, les résistants et les lanceurs d’alerte peuvent – et c’est heureux – en user. Elle a une autre fonction, très discutable, celle de permettre d’accomplir, sous pseudo, dénonciations, harcèlement, diffamation, appels à la haine. Évoquer la liberté que ces alias donneraient à des gens qui n’oseraient pas autrement s’exprimer sur les réseaux, est dérisoire.

    1. michel sourrouille

      En fait le pseudonyme permet de se présenter comme un autre que soi-même. Mais qui est cet autre auquel un commentateur délègue la responsabilité de ses propos et qui ne veut pas être connu ? C’est plutôt la jouissance à se jouer, grâce au masque, de l’autre, à le mettre en échec, à le tromper. Inviter un anonyme à s’interroger pour savoir s’il assumerait en son nom ce qu’il écrit sur les réseaux, et à réfléchir à ce que ses propos peuvent faire éprouver à un autre, c’est l’aider à comprendre le poids de la parole, à assumer la sienne face aux autres, comme face à lui-même ; et donc utiliser les réseaux pour l’aider à se construire et non à détruire tout consensus possible.

      1. modération @ Michel C
        Votre article est supprimé,
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  4. – « … 8 milliards d’êtres humains. Alors, faut-il maîtriser notre fécondité ou bien accélérer notre mort ? » (Biosphère)
    Quelle question !!! Les deux et en même temps eh pardi ! Ceux qui n’avaient pas encore compris ce que les malthusiens venaient faire dans ce «débat» devraient y voir plus clair.
    C’est pourtant tout simple, et plus simplet tu meurs : Tout, entendez bien TOUT, ce qui contribue à réduire le Nombre est BON. Partant de là la mort ne peut être que bonne.
    Avec ça vos planches sont super bien fartées et vous pouvez glisser sur toutes les neiges et toutes les pentes.
    De l’euthanasie (littéralement «bonne mort») nous glissons à la «belle mort».
    C’est quoi ça ? Pour moi et si j’en crois la légende ça restera celle de Félix Faure, mort en charmante compagnie, sans souffrir, au contraire. Pour bon nombre d’entre nous ce sera tout simplement mourir sans souffrir, paisiblement, dans son sommeil, et à son heure.
    ( à suivre)

    1. C’est quoi à son heure ? Disons que ce n‘est pas avant son heure. Raison de plus pour ne pas avancer la pendule. Toutefois celle-ci peut survenir avant l’heure, comme chez Jean-Marc Boivin mort en pratiquant ce qu’il aimait le plus au monde.
      De la belle mort nous glissons maintenant au «mourir en beauté». C’est quoi ça ?
      Ben je dirais que dès qu’on parle de beauté on entre dans le subjectif. Le beau, le laid, ça dépend déjà de la mode. Toutefois il y a des modes qui ont la vie dure. Pour certains affreux mourir en beauté c’est mourir pour sa patrie et autres conneries du genre. Le top étant de mourir avec panache. Misère misère !
      Bref, nous en arrivons donc à la question du jour : c’est quoi «bien mourir» ?
      Et là je dirais que c’est tout simplement la fin logique du bien vivre.
      Qui lui se résume à vivre en essayant toujours de bien faire.

    2. Ben oui nous sommes trop nombreux sur Terre ! Et quasiment toutes les ressources sont en voie d’épuisement ! Bref, il n’y en aura pas assez pour toute le monde, enfin il n’y en a déjà pas assez pour tout le monde, alors augmenter la population c’est augmenter le nombre de misérables ! Alors la mort, autant l’organiser en arrêtant l’acharnement thérapeutique et les soins palliatifs puis en acceptant l’euthanasie pour ceux qui le souhaitent ! Sinon en maintenant le système médical actuel, on se dirige vers la guerre pour accéder aux ressources, et dans cette optique ce sont les biens-portants qui vont se faire tuer ! Ou plus exactement s’entretuer ! Parce que pour toi, la surpopulation pour mourir de guerres épidémies famines c’est préférable à l’euthanasie ?

    3. « C’est pourtant tout simple, et plus simplet tu meurs : Tout, entendez bien TOUT, ce qui contribue à réduire le Nombre est BON. Partant de là la mort ne peut être que bonne. »
      He oui , tout malThusien dûment constitué pense ainsi tout en regrettant qu’ il faille en venir à de telles horreurs et je n’ai rien d’ un hypocrite 😎)
      Les mondialistes à la Schwab pensent non seulement ainsi mais mettront tout en oeuvre pour faire dé »croître la population sans passer par les m »thodes plus « douces » des malthusiens : ils sont dépourvus de toute conscience et n’ hésiteront pas à utiliser les m »thodes les plus cruelles
      Le malthusien est un enfant de choeur comparé à ces malades

      1. bonjour marcel
        On ne peut être malthusien que si on correspond a ce qu’écrivait Malthus dès 1798, à savoir que la maîtrise de la fécondité doit relever de la responsabilité individuelle. Si l’état de surpopulation entraîne une sur-mortalité (par famine, guerre ou épidémie), c’est parce que que les malthusiens n’ont pas été entendus. La mort avant terme et non voulue n’est pas bonne en soi, c’est au contraire le signe d’un échec.

  5. Comment définir le « bien mourir » ?
    C’est à dire qu’il n’y a pas vraiment de définition commune à tous les individus. Chacun a sa vision de bien mourir. Néanmoins, recourir à l’euthanasie devrait être une option, car elle correspond à la définition de bien mourir d’une part importante des individus. D’ailleurs, beaucoup de personnes n’ont pas peur de mourir mais ont plutôt peur de la souffrance que peut engendrer les étapes de la mort. D’autres préfèrent souffrir jusqu’au bout par conviction religieuse, puisque souvent les dogmes religieux interdisent le suicide, cependant ces croyants n’ont pas à imposer leurs croyances aux autres, autrement dit ces croyants n’ont pas à imposer la souffrance face à la mort à ceux qui ne partagent pas leurs convictions religieuses !

    1. De toute façon, il ne faut pas être dupe sur la question, ceux qui s’opposent à l’euthanasie le font par conviction religieuse, même si souvent ils s’en cachent et enrobent leurs discours de bio-éthique avec un emballage de rationalité, mais dans le fond du sujet; c’est bien pour imposer leurs dogmes religieux ! Or mon corps m’appartient, et ces croyants religieux n’ont pas à décider à ma place, les choix du devenir de mon corps n’appartiennent qu’ à moi seul ! Et je considère cette vérité pour tout le monde, à chacun de choisir de ce qu’il veut faire de son corps !

    2. Je n’ai pas à souffrir davantage face à la mort, tout ça parce que des illuminés se croient le devoir de sauver mon âme ! Que déjà ces illuminés tentent de sauver la leur d’âme, ça sera déjà pas si mal s’ils y parviennent, parce que c’est plutôt mal barré les concernant au regard de ce qu’ils sont prêts à faire pour gagner du pognon (corruption, meurtres, pillages, prostitution, proxénétisme, trafic de drogue, mentir pour gravir les échelons, vol, arnaquer sur la vente de leurs produits, etc)

      1. Tu ne peux pas dire que TOUS ceux qui s’opposent à l’euthanasie le font par conviction religieuse. Ou alors on part du principe que tout (et n’importe quoi) relève de la religion. Ce qui peut d’ailleurs se défendre pour peu qu’on élargisse la religion à la spiritualité, et qu’on assimile celle-ci à la philosophie, qui ouvre alors les portes à toutes sortes de visions du monde. L’athéisme peut-être pensé comme une religion, c’est plus difficile pour l’agnosticisme, quoi qu’il en soit un athée comme un agnostique peut très bien être POUR comme il peut être CONTRE.
        En attendant, personne, sauf quelques tordus, ne valorise et/ou n’encourage la souffrance. Les promoteurs de l’euthanasie, comme les promoteurs des soins palliatifs (qu’il est ridicule d’opposer) sont au moins d’accord sur ce point.

      2. Tu vois bien qu’il vaut mieux laisser tomber ces histoires de religions, la réflexion sur ce sujet va bien plus loin que ça.
        Tu dis : «Les autres peu importe leurs croyances et convictions n’ont pas à m’interdire de m’euthanasier !» Tu veux plutôt dire «de me suicider»… je suppose. Bien sûr que non personne ne peut te l’interdire, le suicide ne concerne que Toi. Par contre pour l’euthanasie («suicide assisté» etc.) c’est différent, il y a tout de même une ou des tierces personnes qui entrent en jeu. Et personne ne peut les obliger à pratiquer ce genre de chose si elles ne partagent pas tes convictions. Imagine que la Demande devienne supérieure à l’Offre… comment ça se passerait concrètement ? Des euthanasies à la chaîne peut-être ? Ou alors des euthanasies collectives ?
        Mais bon, on va encore me dire que je suis là sur la pente glissante.

  6. Toute vérité franchit trois étapes. D’abord elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant toujours été une évidence. » (
    Arthur Schopenhauer)
    « Soyez libres » de « vous émanciper des idées reçues, de dire vos doutes, vos désaccords, de partager vos expériences, de vous laisser convaincre, et bien sûr, surtout, de défendre vos opinions, vos convictions, dans le souci du bien commun. La décision médicale est évidemment centrale, mais elle n’est qu’un aspect du débat. La fin de vie, c’est aussi un enjeu d’humanité, une exigence d’anticipation, d’accompagnement, une éthique du soi » », a déclaré Elisabeth Borne, en ouvrant vendredi 9 décembre la convention

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