« Pour certains défenseurs des droits de l’homme, il est injuste que les pauvres de ce monde aient à subir des programmes de contrôle des naissances, car, pris tous ensemble, ces pauvres laissent une empreinte écologique bien plus réduite sur la planète que la minorité des privilégiés. C’était sans doute vrai il y a un demi-siècle, quand les deux-tiers des humains étaient des paysans. Mais aujourd’hui, la plupart sont citadins – et la majorité de ces citadins sont pauvres. Aussi misérable le bidonville de Dharavi (ndlr : à proximité de Bombay en Inde) puisse-t-il paraître, cependant ses gueux sont de plus en plus équipés de téléphones portables. Et l’électricité qu’ils utilisent pour les charger est peut-être piratée, sa production n’en libère pas moins du CO2 dans l’atmosphère. L’hallucinante circulation automobile de Mumbai (Bombay) est devenue encore plus folle depuis l’arrivée sur le marché de la Nano de Tata Motors, propulsée par une moteur d’autorickshaw et conçue pour être vendue 1500 euros… afin que tout le monde puisse s’en offrir une (…) Les rues et les voies ferrées de Mumbai se hérissant d’immeubles d’habitations, sur des kilomètres et dans toutes les directions, l’empreinte cumulée de ces pauvres de moins en moins pauvres ne cessera de s’étendre sur cette région où vivait il y a encore un siècle une myriade d’animaux tropicaux. » (p.345)
David Brown : « Nous avons l’énorme avantage d’être l’espèce animale qui en gère d’autres. Mais ça ne veut pas dire que nous gérons notre propre espèce. A vrai dire, nous avons déjà prouvé que nous en sommes totalement incapables. Gérer les humains, c’est impensable. Totalement contre-intuitif. Si vous allez au Darfour et voyez des gens mourir, vous leur apporterez à manger. Et leur natalité remonte. Si Haïti subit un tremblement de terre, vous y envoyez de l’aide et la procréation repart. Le redressement des populations entraîne inévitablement le retour des souffrances. Nous comprenons ce phénomène depuis déjà une centaine d’années, mais avons-nous changé de comportement pour autant ? Non. Parce que vous ne pouvez pas dire à Haïti d’aller se faire foutre, ni décréter que c’est un cas désespéré, qu’il faut cesser d’y envoyer de la nourriture parce que ce n’est pas dans son intérêt. Nous sommes comme ça. » (p.369)
L’idée de « gérer » l’espèce humaine comme si nous étions des animaux sauvages ou d’élevage nous choque. Pourtant, dans l’histoire de la biologie, toutes les espèces qui ont surexploité les ressources de leur environnement ont subi un effondrement de leur population, parfois fatal pour l’espèce entière. Sur cette Terre au bout du rouleau, nous ne vivons plus dans une étendue sauvage et illimitée : nous sommes dans un parc. Nous adapter à cette réalité est aujourd’hui la condition de notre survie. Sans quoi la nature fera le travail à notre place. Par exemple la nature nous privera de nourriture. Le risque qu’une épidémie de fièvre Ebola ravage nos populations est en effet bien moins élevé que celui de voir des pathogènes soufflés aux quatre coins du monde faire s’effondrer notre production alimentaire centrée sur quelques monocultures. (p.370 et suivantes)
extraits du livre Compte à rebours (Jusqu’où pourrons-nous être trop nombreux sur terre ?) d’Alan Weisman
première édition 2013 sous le titre Countdown. Our Last, Best Hope for a future on Earth ?
Editions Flammarion 2014, 430 pages, 23,90 €
Si l’idée de « gérer » l’espèce humaine comme si nous étions des animaux sauvages ou d’élevage nous choque, par contre il nous semble tout naturel d’ « avoir » des enfants. Cette idée de posséder d’autres humains n’est-elle pas en soi bien plus choquante, et n’y a-t-il pas là aussi le point de départ d’une accumulation, avec comme corollaire immédiat la primauté de la quantité sur la qualité, phénomène particulièrement présent dans les pays pauvres?
Si l’idée de « gérer » l’espèce humaine comme si nous étions des animaux sauvages ou d’élevage nous choque, par contre il nous semble tout naturel d’ « avoir » des enfants. Cette idée de posséder d’autres humains n’est-elle pas en soi bien plus choquante, et n’y a-t-il pas là aussi le point de départ d’une accumulation, avec comme corollaire immédiat la primauté de la quantité sur la qualité, phénomène particulièrement présent dans les pays pauvres?