coût de la complexité

 Les experts américains du FBI parlent en ce début d’année 2009 de cybergeddon ou apocalypse cybernétique. Dans notre société dite avancée, tout ce qui est important est lié, voire contrôlé, par les ordinateurs. Une attaque informatique mettrait en péril la sécurité d’une nation développée (LeMonde du 8 janvier). Cette crainte du cyberterrorisme n’est sans doute qu’un moyen de réclamer plus de moyens pour la cyberpolice déjà omniprésente. Plus grave est l’incapacité de notre société à maîtriser les coûts de la complexité.            

Pour Lewis Mumford dans Les transformations de l’homme (1956), l’homme a perdu avec la société thermo-industrielle le secret de son humanisation. Il prévoyait que le développement à venir des systèmes cybernétiques permettraient de prendre des décisions sur des sujets excédant les capacités humaines de calcul. Ce faisant, « l’homme posthistorique est sur le point d’évincer le seul organe humain dont il fasse quelques cas : le lobe frontal de son cerveau ».  En érigeant en absolus les connaissances scientifiques et les inventions techniques, il a transformé la puissance matérielle en impuissance humaine. L’homme moderne s’est dépersonnalisé si profondément qu’il n’est plus assez d’hommes pour tenir tête aux machines. Un système automatique fonctionne mieux avec des gens anonymes, sans mérite particulier, qui sont en fait des rouages amovibles et interchangeables. Nous ne maîtrisons plus la chaîne de la spécialisation des tâches, rendant chaque individu complètement dépendant de la bonne marche de la société. Plus la division du travail est poussée, plus la société est fragile.            

Pour Al Gore dans Urgence planète Terre (2007), nous avons avec l’ordinateur industrialisé la production d’informations en oubliant de tenir compte de notre capacité limitée à assimiler les connaissances nouvelles. Il y a tant d’informations nouvelles produites chaque jour que leur avalanche a étouffé le lent mécanisme de maturation qui change la connaissance en sagesse. De plus, la crise de l’environnement illustre la confiance suprême en notre capacité à relever n’importe quel défi en rassemblant à son sujet des tonnes d’informations, en les divisant en éléments simples à étudier et en trouvant finalement la solution technique. Mais l’idée selon laquelle de nouvelles technologies peuvent résoudre tous nos problèmes constitue l’élément central d’un mode de pensée défaillant. La technologie ne résout plus le problème, elle devient aussi le problème. 

Terminons avec le blocage énergétique qui représente l’autre facette du blocage informatique. Pour Richard Heinberg dans Pétrole, la fête est finie ! (traduction française, 2003), entre 2 et 5 milliards d’êtres humains n’existeraient probablement pas sans les combustibles fossiles. Lorsque l’afflux d’énergie commencera à décliner, l’ensemble de la population  pourrait se retrouver dans une situation pire encore que si les combustibles fossiles n’avaient jamais été découverts. Les sociétés  complexes tendent à s’effondrer car leurs stratégies de captage de l’énergie sont sujettes à la loi des rendements décroissants. En effet les coûts d’entretien engendrés par chaque individu augmente avec la complexification sociale de telle façon qu’on doit allouer une proportion croissante du budget énergétique au fonctionnement des institutions organisationnelles. Alors que des points de tensions émergent nécessairement, de nouvelles solutions organisationnelles doivent être échafaudées à des coûts croissants jusqu’à l’effondrement final.