Covid, la trouille politique devant la mort

Malade d’un cancer, François Mitterrand contre toute transparence démocratique a caché la réalité de sa mort à venir pendant ses deux septennats. François Hollande, confronté à la mort part terrorisme, a déclenché en 2013 une funeste intervention militaire au Mali. Pendant la pandémie, Emmanuel Macron a regretté l’énumération quotidienne médiatique du nombre de décès : « Il faut sortir du décompte des morts qui n’est qu’un tic-tac mortifère. » Il a choisi le confinement généralisé. Face à la mort, un politique politique donne toujours sa propre version. En Suède, le premier ministre Stefan Löfven a déclaré pendant la crise due au coronavirus : « Beaucoup de gens encore vont mourir ». Il a choisi l’immunité collective. Si les lycées et universités ont fermé, les crèches, écoles primaires et collèges sont restés ouverts. Même chose pour les cafés et les restaurants. Seuls sont interdits les rassemblements de plus de 50 personnes et les visites en maison de retraite. Il ne faut pas refuser de regarder la mort en face, c’est pourtant trop souvent ce qu’on évite de faire.

Début mai 2020, le bilan suédois du Covid donne 256 morts pour 1 million d’habitants, c’est loin d’être catastrophique, et nettement inférieur au bilan français 370 morts pour 1 million d’habitants ! Il est vrai que les températures polaires confinent déjà les gens en Suède, que la densité est peu propice à la contamination, 24 hbt/km2 (Espagne 93, France 119, Italie 201) et qu’elle bénéficie d’une barrière naturelle interne, qui s’ajoute à son isolement dans le nord de l’Europe. Mais l’essentiel est ailleurs. Pourquoi avoir peur de la mort quand on est dirigeant ? Le virus n’a aucun désir de tuer, il veut juste se multiplier. La mort de l’hôte est même un échec pour lui. Le nouveau coronavirus est opportuniste, il tue les plus proches de la mort. En France, le 29 avril par exemple, le bilan cumulé de l’épidémie s’élève à 12 155 résidents d’Ehpad sont morts de cette épidémie, plus de la moitié de la totalité des décès. Les EHPAD forment un cluster, lieu idéal de contamination, communauté très resserrée, allé et venue de nombreux intervenants. Au premier janvier 2020, il y avait plus de 2 200 000 personnes âgées de plus de 84 ans en France selon l’Insee. La mortalité dans cette tranche d’âge, du 1er mars au 29 avril, comparée à la moyenne des décès de 2018 et 2019, est certes en augmentation ; mais le surcroît de mortalité 2020 correspond à moins de 0,5% de la population des plus de 84 ans. Notons aussi que la durée de séjour jusqu’au décès d’un résident d’EHPAD est de l’ordre de trois ans, ce qui correspond à un taux de mortalité d’environ 30% par an. Le virus ne fait qu’accélérer un peu la tendance générale. Convenons que la caractéristique du Covid 19, c’est surtout le signe d’une société si effrayée par la mort qu’elle en hypothèque toute autre considération. On aurait pu éviter le confinement, les personnes dans les EHPAD ou atteintes de comorbidité sont plus sujettes à décéder, c’est dans l’ordre des choses. Pourquoi refuser à tout prix la sélection naturelle ? Cette situation est d’autant plus ridicule que l’on devrait plutôt aider les gens à mourir dignement en les accompagnant plutôt que de s’escrimer en réanimation sur des cas désespérés où on ne récupère que quelques survivants en mauvais état. Nous sommes comme un troupeau de mouton qui se jette de la falaise parce qu’on a cru voir un loup.

L’espèce humaine est versatile, on fait tout pour éviter quelques morts de la grippe et on ne fait rien pour empêcher la mort en 14-18 de millions d’hommes jeunes et en bonne santé. Au mercredi 29 avril, la Covid-19 a fait approximativement 224 402 morts dans le monde depuis son apparition en décembre en Chine. Mais chaque année rien qu’en Europe, il faut compter plus de 400 000 morts prématurées par pollution de l’air selon l’Agence européenne de l’environnement. A ce chiffre, il faut ajouter les morts par les maladies dites de civilisation (cancer, obésité diabète, etc.). Il faudrait aussi compter les morts par guerres ou famine. Relevons uniquement les guerres qui ont fait à chaque fois plus de 500 000 morts après 1945 : guerre civile chinoise, Indochine, partition des Indes, Algérie, Viêt Nam, Indonésie, guerres civiles soudanaises, guerre d’indépendance camerounaise, massacre de 1965 en Indonésie, guerre civile cambodgienne, Biafra, troisième guerre indo-pakistanaise, guerres civiles en Éthiopie, guerre civile angolaise et celle du Mozambique, Afghanistan, Iran-Irak, génocides des Tutsis au Rwanda (830 000 morts), guerres du Congo, guerres qui sont oubliées aussi vite que commencées. En 2018 un peu plus de 820 millions de personnes, soit près de 11 % de la population, étaient sous-alimentées. La dysenterie et le choléra dus au manque d’eau et d’assainissement causent 780 000 décès par an. Il y a cinquante ans, la grippe de Hongkong – qui a fait le tour du monde entre 1968 et 1970 – avait fait plus de 31 000 morts en France dans une indifférence quasi générale. La sécheresse en France a fait 15 000 morts en 2003. La mort, si présente autrefois tant elle était familière, devient honteuse. L’irruption brutale de la mort dans nos sociétés de l’image, et donc de l’émotion, n’est plus tolérée. Quelques morts par terrorisme fait la Une des médias pendant des jours et des jours. Est-ce un signe de société civilisée ? Quel est le combat le plus urgent, lutter contre le terrorisme en interenant militairement dans des pays tiers, lutter par un confinement contre un virus qui met en péril toute la vie économique mondiale ou lutter contre la surpopulation et la société thermo-industrielle qui nous mènent de toute façon au désastre  ?

2 réflexions sur “Covid, la trouille politique devant la mort”

  1. Bien sûr, on peut toujours dire que le confinement aurait pu être évité, qu’en tous cas il aurait pu être nettement moins contraignant, moins autoritaire. Avec des si on peut tout imaginer. Mais à quoi bon refaire l’histoire ? Bien sûr, il convient de relativiser le nombre de morts liés à ce virus, en comparant par exemple avec le nombre de morts liés aux cancers, aux maladies cardiocasculaires, à la pollution de l’air etc. et aussi en regardant de près le profil des victimes, l’âge, l’état de santé initial etc. Le fait de relativiser les choses, de mettre en évidence la faible part, voire l’insignifiance de quelque chose, ne doit pas pour autant nous amener à penser que cette chose serait finalement sans importance, banale, comme faisant partie de «l’ordre des choses». Certes, dans «l’ordre naturel des choses» les gros bouffent les petits, mais il existe aussi de la coopération, de la symbiose. Fussent-elles très faibles comparées à d’autres, il restera toujours des choses qu’il vaudra toujours mieux déplorer, ne pas banaliser, ne pas accepter. Les violences faites aux femmes, aux enfants ou aux vieux, les actes de racisme, par exemple.
    Maintenant il est évidemment que la mort pose problème à nos dirigeants, aussi. Eux aussi ont évolué dans cette société, qui est comme elle est. Cette société qui voue un culte démesuré à la jeunesse, qui ne pense qu’à repousser les limites etc. Mieux que l’exemple avec Mitterrand, afin d’illuster cette étrange relation que nous entretenons avec la mort nous pourrions évoquer cet attrait malsain pour les images de violences et de morts (dans les films et les séries TV). D’un côté cet attrait et de l’autre ce refus tout aussi malsain de la mort, ne serait-ce que de voir de véritables morts. Nous pourrions prendre là comme exemple ce genre d’évènement qui fait de temps en temps la Une des médias, la mort (en Opex) d’un ou d’un certain nombre de «nos» soldats. Là encore, rien comparé à ce qu’il tombait tous les jours voire toutes les heures à Verdun. Reconnaissons que pour ceux qui sont sensés nous diriger et nous protéger, ce genre d’événement est toujours l’occasion de défendre et justifier leur politique, leur interventionnisme, le bien fondé de leur guerre, qu’ils pensent juste voire sainte. Et en même temps, l’occasion aussi de nous maintenir dans un climat de peur permanente. Gouverner par la peur, ça marche peut-être un temps, mais c’est très dangereux. En attendant, pour dire à quel point nous avons perdu le sens de la juste mesure et donc à quel point nous avons peur de la mort, de nos jours et «chez nous» même la mort d’un de «nos» soldats professsionnels faisant la guerre (la vraie, pas celle qu’on voit au cinéma) est devenue «inacceptable», «intolérable».
    Quand on lui pose la question du pourquoi (on ne le prend pas au sérieux), le Professeur Raoult parle de cette société vieillissante qui depuis longtemps n’a pas connu de grosses catastrophes, et qui aujourd’hui a peur de tout, refuse de prendre le moindre risque, etc. Didier Raoult, ce type atypique tant décrié, est arrivé en médecine avec un BAC littéraire, passé à l’âge de 20 ans en candidat libre. Ne perdons pas de vue que la médecine est avant tout une praxis, pas une science. N’oublions pas que depuis plusieurs décennies maintenant, les humanités, qui étaient jusqu’alors le socle de l’enseignement des élites, ont été détrônées par les mathématiques. Or, à moins que nous soyons devenus des machines… tout ne peut pas se résumer et se penser qu’avec seulement des chiffres.

  2. Marie de Hennezel : « Le déni de la mort est une des caractéristiques des sociétés occidentales, l’épidémie due au SARS-CoV-2 illustre son paroxysme. Depuis la seconde guerre mondiale, ce déni n’a fait que s’amplifier, avec le progrès technologique et scientifique, les valeurs jeunistes qui nous gouvernent, fondées sur l’illusion du progrès infini. Avec ce fantasme incroyable : imaginer qu’un jour on pourrait avoir raison de la mort. Au lieu d’être considérée comme notre destin à tous, une réalité sur laquelle il faut méditer car elle est inéluctable, la mort devient l’ennemi à combattre. Mais cette responsabilité doit être laissée à chacun et non édictée par un pouvoir médical devenu tout-puissant, qui poursuit aujourd’hui son fantasme d’éradiquer la mort, de préserver la vie à tout prix, au détriment de la liberté de la personne. Les acquis sur la dignité du mourir et le respect des droits des personnes en fin de vie sont brutalement mis à mal.
    Je remets en question la folie hygiéniste qui, sous prétexte de protéger des personnes âgées, impose des situations proprement inhumaines. Cela a-t-il un sens de confiner une personne âgée, qui dans son for intérieur est relativement en paix avec l’idée de mourir, comme c’est le cas pour beaucoup ? De l’empêcher de vivre les dernières joies de sa vie, voir ses enfants, les embrasser, voir ses amis, continuer à échanger avec eux ? « 
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/04/marie-de-hennezel-l-epidemie-de-covid-19-porte-a-son-paroxysme-le-deni-de-mort_6038548_3232.html

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