Crime d’écocide, bientôt la reconnaissance officielle

Définition de l’écocide. L’écocide est un concept-clé pour protéger la nature. « Eco » vient du grec oïkos, la maison, et « cide » du latin caedere, tuer : se rendre coupable d’écocide, c’est brûler notre foyer, la Terre. Construit à partir des mots « écosystème » et « génocide », le néologisme dérange. Faut-il créer un parallélisme entre génocide et écocide, c’est-à-dire entre des êtres humains et des écosystèmes. Philippe Descola considère que le mot « écocide » coule de source : « Regardez ce qui se passe en Amérique latine. Les compagnies pétrolières et minières polluent l’air et le sol, bouleversent les conditions de vie de populations entières obligées d’abandonner leurs terres. C’est un écocide ou, dans le cas précis que j’évoque, un ethnocide… Que des espaces de vie deviennent des sujets de droit est une manière d’en finir avec l’anthropocentrisme et l’individualisme possessif. » L’un des articles les plus emblématiques du code civil français porte le numéro 544 : « La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlements. » Disposer de la manière la plus absolue de la nature ! Dominique Bourg s’insurge : « Défendre le concept d’écocide est un combat primordial. Bien sûr, certains appellent encore à hiérarchiser entre homme et nature ; mais il ne faut plus les opposer car les écosystèmes sont les conditions d’existence de l’humanité ».*

Histoire de l’écocide. De 1962 à 1971, durant la guerre du Vietnam, l’armée américaine avait mené épandu sur ses forêts ennemies des dizaines de milliers de mètres cubes d’un défoliant très puissant, l’agent orange. Un désastre écologique et humain à l’origine de milliers de cancers. En 1970, le biologiste Arthur W. Galston évoque l’« écocide » en cours : c’est la première fois que le terme est utilisé. Le chef du gouvernement suédois Olof Palme le reprend en 1972, à Stockholm, lors de l’ouverture de la conférence des Nations unies sur l’environnement. Dès 1990, Hanoï définit l’écocide dans son code pénal comme « un crime contre l’humanité commis par destruction de l’environnement naturel, en temps de paix comme en temps de guerre ». Créée officiellement en 2002 pour juger les auteurs de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes d’agression, la CPI n’a certes pas décidé de créer un crime spécifique pour les atteintes à l’environnement. Mais sa déclaration d’intention politique réaffirme sa volonté de coopérer avec les Etats qui le lui demanderaient, afin d’enquêter sur des crimes graves à l’instar « de l’exploitation illicite de ressources naturelles, du trafic d’armes, de la traite d’êtres humains, du terrorisme, de la criminalité financière, de l’appropriation illicite de terres ou de la destruction de l’environnement ». Pour l’instant l’Equateur est le seul pays du monde à avoir inscrit en 2008 les droits de la nature (la « pachamama ») dans sa constitution. Le programme des ­Nations unies pour l’environnement évaluent à 258 milliards de dollars les revenus générés en 2016 par l’ensemble des crimes environnementaux. Mais comme pour l’instant il est  indispensable d’identifier une personne à l’origine du crime, sinon le droit pénal ne peut pas s’appliquer, les poursuites restent difficiles. Une approche plus radicale voudrait faire condamner les multinationales dont les activités altèrent de manière grave les écosystèmes. Les 15 et 16 octobre 2016, un tribunal citoyen s’est tenu à La Haye – ville où siège la CPI – afin de juger Monsanto, le géant de l’agrochimie (qui fut d’ailleurs, avec Dow Chemical, l’un des fabricants de l’agent orange). « Reconnaître l’écocide comme un crime international est devenu un impératif moral », affirme la juriste Valérie Cabanes, porte-parole du mouvement citoyen « End Ecocide on Earth ». L’objectif : préserver l’avenir des générations futures. Faudra-t-il un nouveau désastre écologique pour que la préservation de la pachamama se réalise enfin ?*

Sur ce blog, notre première mention de l’écocide date de juin 2007, extraits : « L’immense nouveauté de notre époque réside dans le fait que pour la première fois dans l’Histoire, il est reconnu que l’espèce humaine, sous la houlette implacable de l’Occident, intervient sur le déterminant essentiel de sa propre apparition : la biosphère. Cette intervention provoque des effets assimilables à un écocide généralisé. L’hospitalité de la Terre est remise en question. » Voici la plus synthétique, extraits : « En Inde, en Chine ou à Madagascar, LE MONDE a traqué cinq écocides, des crimes contre la nature. Le premier volet est consacré au bolabola, l’arbre qui saigne, le bois de rose. Les termes sont forts, « écocide » à l’image du génocide, « crimes contre la nature ». Mais le droit pénal contre la criminalité environnementale est encore dans ses limbes. »

* LE MONDE du 20 mai 2017, Crime contre nature