Jean-Marie Pelt : Parvenus au point où nous en sommes, nous voici sommés de choisir entre une évolution fondée sur des associations positives où l’emporteraient l’amitié, la solidarité, la coopération, la fraternité, la convivialité, les forces de l’esprit et, pour tout dire, l’amour, et une société d’intense compétition aboutissant à une catastrophe nucléaire ou à un cataclysme écologique sans précédent.*
Raoul Anvélaut : Eh oui, c’est cruel la nature ! Il faut vraiment avoir grandi dans un cocon pour penser que la loi de la coopération y prévaut sur la loi de la compétition naturelle. Les espèces ne s’ajoutent pas pacifiquement comme dans les illustration pieuses des témoins de Jéhovah où le loup boit au ruisseau aux côtés de l’agneau, elle entre en concurrence en éliminant les plus faibles.**
Alain Caillé : Rien n’est solitaire, tout est solidaire. Dans l’ordre du vivant, des sociétés bactériennes aux société humaine, la coopération est hiérarchiquement supérieur à la compétition. Quelle avancée que de découvrir que la loi de la réciprocité ne concerne pas seulement le monde humain, mais l’ensemble du vivant !***
Servigne et Chapelle : Un milieu hostile soude progressivement les groupes (faute de quoi ceux-ci disparaissent). Un milieu d’abondance provoque la tendance inverse. Avec l’équivalent de 400 esclaves énergétiques par habitant dans un pays industrialisés, il est aisé de dire à ses voisins : je n’ai pas besoin de vous, je fais ce que je veux. Les riches deviennent pathologiquement égoïstes. Les étudiants qui passent par les écoles de business sont égoïstes à l’entrée, mais le deviennent encore plus à la sortie. Les élites sont devenues cyniques car elles vivent en vase clos dans une arène impitoyable qu’elles se sont elles-mêmes crées. Un immense bac à sable. Depuis le siècle dernier, la culture occidentale utilitariste est effectivement devenue hypertrophiée en compétition, délaissant sa partie généreuse, altruiste et bienveillante, passablement atrophiée. Cela contribue à créer une planète qui compte 99 % de perdants ! C’est pourquoi certains se démènent pour remettre sur le devant de la scène des notions aussi démodées et ringardes que l’altruisme, la bonté, la gentillesse, association, l’égalité, les communs, l’empathie ou la solidarité. En effet la compétition a de sérieux inconvénients. La plupart des animaux et des plantes l’ont bien compris : ils la minimisent et évitent au maximum les comportements d’agression, car ils ont trop à y perdre. C’est risqué, trop fatigant.
* Le principe d’associativité ou la coopération dans la nature in « Le monde a-t-il un sens » (Fayard 2014)
** mensuel La décroissance, octobre 2017, Loup et patou
*** préface au livre de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle
**** L’entraide, l’autre loi de la jungle de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle (les liens qui libèrent 2017)
De mon côté je ne vois pas en quoi le débat serait mal posé. Au contraire je trouve qu’il amène à bien penser, comme vous le dites Didier Barthès, que solidarité et compétition cohabitent dans la nature.
Seulement, force est de constater que là-aussi nous avons perdu le sens de la juste mesure, et que c’est la compétition qui l’emporte désormais. Servigne et Chapelle l’expliquent très bien.
Je trouve que le débat est mal posé, on mélange ici problèmes de sociétés et règles de la nature, on essaye de justifier (ou de désapprouver) les unes en fonction des autres, ce qui me semble une erreur, on mélange aussi réalité, souhait et morale.
En fait dans la nature coexistent à la fois la solidarité et la compétition parfois d’ailleurs la solidarité à un niveau constitue un élément pour gagner la compétition à un autre niveau (c’est l’un des éléments constitutif des groupes)
Je me demande aussi en en choisissant ainsi un camp et notamment celui des règles de la solidarité on fait œuvre de science ou si l’on ne fait que façonner l’image qu’on veut donner de soi.