décroissance et écologie politique

L’écologie politique a bien du mal à émerger. Lors des présidentielles de 1974, René Dumont n’avait obtenu que 1,32 % des voix. Aux présidentielles de 2007, le score de Dominique Voynet avait à peine progressé, à 1,57 %. A l’intérieur du Parti socialiste, le pôle écologique du PS (motion B au Congrès de Reims, novembre 2008) n’a attiré que 1,58 % du vote des militants ; la série noire continue. L’alliance Europe écologie cherche à éviter ce funeste destin et compte atteindre les 10 % donnés par les sondages (LeMonde du 20 janvier). En effet pour la première fois des militants de différentes tendances se retrouvent sur une même liste : Daniel Cohn-Bendit (Vert allemand), José Bové (ex-Confédération paysanne), Sabine Bélier (ex-France nature environnement), Yannick Jadot (ex-Greenpeace), Jean-Paul Besset (ex-Ligue communiste révolutionnaire). Face à la norme actuelle de croissance économique (mesurée par l’accroissement du PIB) qui s’impose encore à tous, que ce soit les économistes, les politiques, les médias, les consommateurs, le vote Europe écologie mérite donc l’attention des électeurs en juin prochain. Pourquoi ? Parce qu’ils sont enfin en présence d’un programme qui parle de décroissance face à l’urgence écologique. Voici quelques éléments de réflexion sur cette décroissance qui va s’imposer, que nous le voulions ou non. 

1) l’analyse de Schumpeter

Le taux de croissance du PIB est devenu incontournable depuis la deuxième guerre mondiale, on croit à sa pérennité dans les pays développés à économie de marché et à l’impossibilité de la décroissance, mais on oublie les leçons de l’histoire. En effet, on retrouve déjà l’idée de décroissance dans l’œuvre de Joseph Aloïs Schumpeter, mais sous un autre nom, celui de dépression. Schumpeter vient au monde l’année même de la mort de Karl Marx, en 1883. Très bon connaisseur de l’œuvre de Karl Marx, Schumpeter est à la fois un grand admirateur et un féroce critique du capitalisme. Son analyse de la croissance comme dynamique du capitalisme (The theorie of Economic Development en 1911) et Business Cycles en 1939) va en effet à l’encontre de la thèse libérale de l’équilibre automatique grâce à la loi du marché. Il explique, par le rôle de l’entrepreneur et de l’innovation, la mise en évidence statistique des cycles longs par Kondratieff au XIXe siècle (deux cycles, 1780-1840, puis 1840-1897), c’est-à-dire une phase d’expansion (des prix, de la production, de l’emploi) sur 20 à 30 ans qui débouche nécessairement sur une crise suivie par une phase de dépression, une décroissance économique sur 20 à 30 ans.

Schumpeter est  donc pessimiste sur l’avenir du capitalisme : du fait de la disparition des entrepreneurs innovateurs, il y aurait déclin inéluctable. La grande crise des années trente viendra confirmer les idées de Schumpeter concernant la phase de récession. De même la reprise des Trente Glorieuses peut être aussi expliquée par l’analyse de Schumpeter : une nouvelle vague d’innovations, innovations de procédés (taylorisation généralisée) et innovations de produits (en particulier l’équipement des ménages en biens durables), permet une nouvelle phase ascendante d’un cycle long. Dans ce contexte, le choc pétrolier de 1973 n’est que le catalyseur du retournement de tendance par épuisement des gains de productivité du taylorisme et saturation des besoins des ménages en biens durables. Mais comme l’interventionnisme gouvernemental est généralisé dans les pays développés à économie de marché, comme la publicité modèle de nouveaux besoins plus ou moins artificiels, la décroissance économique a été évitée, la récession économique s’est transformée jusqu’à nos jours en croissance molle.  

2) les limites de la planète 

En fait la mystique de la croissance pour la croissance nous empêche actuellement de comprendre que la décroissance est au bout du chemin de la croissance. Le début des années 1970 voit apparaître le nouveau concept de limites de la planète. Cela commence par une réactualisation aux Etats Unis de la thèse malthusienne avec La bombe P (P pour population) de Paul Ehrlich en 1971. L’année suivante a lieu la première conférence internationale sur l’environnement dans le cadre de l’ONU à Stockholm ; cette conférence est précédé par l’établissement d’un rapport préparatoire intitulé de façon prémonitoire Nous n’avons qu’une seule terre de B.Ward et R.Dubos. Un autre livre est publié en 1972, The limits to growth ou rapport du club de Rome commandité auprès du MIT (Massachusetts Institute of technology). L’idée générale de toutes ces idées émergentes, c’est qu’une croissance exponentielle dans un monde fini n’est pas possible. Nous quittons le domaine des cycles économiques centrés uniquement sur l’initiative entrepreneuriale pour passer à une vision plus globale analysant les rapports complexes entre l’activité humaine et l’état des ressources naturelles. La récession n’est qu’un simple défaut de croissance, synonyme de chômage et de paupérisation ; la décroissance correspond au contraire à une modification globale des conditions et des règles du développement. Ce n’est pas l’infrastructure économique qui explique l’évolution  idéologique et politique d’une société (la superstructure) comme le pensait Marx. L’infrastructure construite de main d’homme est elle-même superstructure relativement à la véritable infrastructure, celle des ressources et circuits de la nature.

Depuis le Néolithique, les humains ont voulu faire place nette à leurs cultures et troupeaux par la hache, le feu, l’élimination de tout ce qui ne leur paraissait pas utile. Mais l’échec de la civilisation maya est prémonitoire de ce qui arrive actuellement à la civilisation thermo-industrielle. Couvrant un territoire allant de l’actuel Yucatan (Mexique) jusqu’au Honduras, cette nation comptait à son apogée quelque quinze millions d’habitants. En quelques générations la société s’est effondrée, laissant derrière elles des villes  désertées, des routes commerciales abandonnées et des pyramides en ruines. L’hypothèse climatologique de ce déclin semble aujourd’hui confirmée : c’est une période de sécheresse excessive qui serait à l’origine de cet effondrement entre 750 et 950 de notre ère. Une longue période de climat très sec aurait réussi à mettre fin à ce monde, ponctuée par trois sécheresses catastrophiques vers 810, 860 et 910, chacune durant quelques années. Bien sûr la thèse climatologique n’exclut pas d’autres hypothèses antérieurement émises comme la surpopulation, les guerres intestines, les conflits sociaux, la déforestation…mais ces évènements ne peuvent qu’accompagner le changement climatique. Aujourd’hui notre planète toute entière se retrouve face à une situation similaire, le réchauffement climatique, la surpopulation, les guerres intestines, les conflits sociaux, la déforestation.

Cette situation est préfigurée dans le livre de Jared Diamond en 1997, « De l’inégalité parmi les sociétés » (essai sur l’homme et l’environnement dans l’histoire). Il montre que l’inégalité entre les sociétés est liée aux différences de milieux. Il marque notamment le rôle de la production alimentaire. Cette conception est approfondie dans son dernier livre de 2006, « Effondrement » (Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie). S’il remarque ne connaître aucun cas dans lequel l’effondrement d’une société ne serait attribuable qu’aux seuls dommages écologiques, il cible les facteurs principaux : dommages environnementaux, changement climatique, voisins hostiles et partenaires commerciaux. Ces quatre éléments restent très significatifs de la période contemporaine. Il ajoute un cinquième facteur, les réponses apportés par une société à ses problèmes environnementaux : des sociétés différentes réagissent différemment à des problèmes similaires. 

3) la catastrophe en marche

Nous aurions donc dépassé le concept d’état stationnaire, évoqué par John Stuart Mill en1848 comme aboutissement normal de la croissance quand l’incitation à investir disparaît. John Stuart Mill pensait que l’état stationnaire correspondrait à une stagnation dans le domaine matériel ; mais cet état stationnaire pouvait conduire l’individu à se tourner vers son perfectionnement intellectuel et moral. Le rapport du club de Rome envisageait de même la croissance zéro. Mais ces analyses ont été ignorées, ce qui fait qu’aujourd’hui, on nous explique que la croissance de la civilisation thermo-industrielle court à sa fin prochaine. C’est ce que J.Rifkin appelle « le grand cataclysme » (chapitre 5 de l’économie hydrogène) ou Y.Cochet La pétrole apocalypse (titre de son livre). Plutôt que de développer longuement la situation de la planète, voici quelques éléments bibliographiques significatifs. Les livres se multiplient à partir des années 2000 : Combien de catastrophes avant d’agir ? de N.Hulot ; Sauver la terre de Y. Cochet et A.Sinaï ; Vers l’ultime extinction de Ph.Dubois ; L’humanité disparaîtra, bon débarras de Y.Paccalet, etc.

           

Le livre du Canadien Ronald Wright, La fin du progrès ?, nous fournit une bonne conclusion :

– La multiplication par vingt du commerce mondial depuis les années 1970 a pratiquement éliminé l’autosuffisance. Joseph Tainter note cette interdépendance en prévenant que « l’effondrement, s’il doit se produire à nouveau, se produira cette fois à l’échelle du globe. La civilisation mondiale se désintégrera en bloc ».

– Les civilisations chutent plutôt soudainement – l’effet château de cartes -, parce que, lorsqu’elles atteignent le point où la pression sur l’environnement est maximale, elles deviennent fortement vulnérables aux fluctuations naturelles. Le danger le plus immédiat que pose le changement climatique se trouve dans les greniers agricoles du monde.

– Nous possédons les outils et les moyens nécessaires pour partager les ressources, dispenser les soins élémentaires, contrôler les naissances, fixer des limites qui soient alignées sur les limites naturelles. Si nous ne faisons pas cela dès maintenant, tant que nous sommes prospères, nous ne serons jamais capables de le faire quand les temps seront devenus difficiles. Notre destin s’échappera de nos mains. Et ce nouveau siècle ne vivra pas très vieux avant d’entrer dans une ère de chaos et d’effondrement qui éclipsera tous les âges des ténèbres du passé.

– Si nous échouons, si la Biosphère ne peut plus assurer notre subsistance parce que nous l’aurons dégradée, la Nature haussera simplement les épaules en concluant que laisser des singes diriger un laboratoire était amusant un instant, mais que, en fin de compte, c’était une mauvaise idée.

1 réflexion sur “décroissance et écologie politique”

  1. Bonjour,

    J’ai écrit un livre qui, je pense, pourrait vous intéresser. Il s’intitule « Dépression écologique », paru aux éditions Publibook. Pas sûr que vous appreniez grand chose (nous avons les mêmes références), j’ai surtout tenter de donner un éclairage nouveau au sujet.

    Bien cordialement,

    Xavier Mari

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