Patrick Viveret s’insurge contre le mot décroissance : « Le « concept-obus » de décroissance s’est transformé en « concept-boomerang », car il est paradoxalement lui-même obsédé par la croissance… La critique – décroissance, démondialisation, tout ce qui commence par « dé » – met son énergie à détruire l’existant… Le poids des « décroissants » est relativement marginal. »*
Patrick Viveret prône donc la frugalité heureuse : « L’imaginaire positif met en avant la simplicité volontaire, la sobriété heureuse, la transition vers des sociétés du bien-vivre. Les cultural creatives représentent des noyaux durs composés de 15 % de la population et des noyaux larges pouvant aller jusqu’à 30 %. Ni modernistes ou traditionalistes, ces personnes s’expriment avec une grande cohérence sur le rapport à l’écologie, la primauté de l’être sur le paraître, la place accordée à la question du sens… La clé est de sortir des logiques de peur et d’impuissance : loin d’une approche catastrophiste, les villes en transition mettent au contraire en avant un imaginaire positif, générant de la confiance et de la solidarité, pour se projeter dans l’avenir. »
Patrick Viveret oublie le fait que ressentir les catastrophes qui découlent des crises écologiques, sociales et financières ne veut pas dire catastrophisme. Confondre les deux fait le jeu des écolosceptiques. Et puis ce n’est pas parce qu’on parle de décroissance « heureuse » que le message passera mieux et que nos interlocuteurs voudront pratiquer la simplicité volontaire. Quel que soit l’habillage sémantique, la résistance au modèle croissanciste suppose de sortir en toute conscience de la société de consommation et du spectacle. C’est difficile.
De plus notre discours d’objecteur de croissance est forcément anxiogène : blocage énergétique, perturbation climatique, extinction des espèces, stérilisation des sols, etc. Il est forcément culpabilisant, c’est le mode de vie de la classe globale (tous ceux qui ont les moyens des posséder au moins une voiture individuelle) qui est remis en question. Mais cette présentation objective des faits ne crée pas en soi d’acceptation ou de rejet. La perception de chaque personne dépend de son tempérament, la même chose peut entraîner un sentiment négatif chez l’un et positif chez l’autre. Il ne faut pas confondre le message et sa réception. Les commentateurs feraient mieux de condamner le sentiment artificiel d’insécurité qui résulte de l’utilisation paroxysmique par les médias des faits divers les plus violents, même et surtout quand ils ne sont que ponctuels.
Derrière ce discours lénifiant qui veut faire croire que l’écologie devrait cultiver le sens du bonheur et occulter tout sentiment d’angoisse se trouve la problématique de notre vision du futur : faut-il être optimiste ou pessimiste ? Notre système techno-industriel, appuyé sur son relais médiatique, fait preuve d’un optimisme forcené. Cet excès d’optimisme empêche de modifier notre mode de vie puisque demain on aura trouvé une solution technique à tous nos problèmes. L’optimisme ou même le pessimisme expriment aussi sous des formes différentes la même capitulation face à l’avenir ; car tous les deux le traitent comme une fatalité et non comme un choix. L’optimisme et le pessimisme sont les deux facettes d’une même stratégie, celle qui consiste à laisser faire. Par contre les décroissants ne font pas de sentimentalisme, ils veulent mettre leur théorie en acte et pratiquer une vie sobre et heureuse. Même LE MONDE commence à titrer « le bonheur de la décroissance »**.
* LE MONDE culture&Idées du 1er juin 2013, Inventer la frugalité
** LE MONDE des livres du 7 juin 2013, Le bonheur de la décroissance
Cet article du Monde me fait revenir à l’esprit une jolie phrase de Hans Jonas :
« La prophétie de malheur est faite pour éviter qu’elle se réalise ; et se gausser ultérieurement d’éventuels sonneurs d’alarme, en leur rappelant que le pire ne s’est pas réalisé, serait le comble de l’injustice : il se peut que leur impair soit leur mérite. »
Viveret se trompe : le mouvement des villes en transition est basé sur la catastrophisme, mais dans sa version « éclairée », telle que théorisée par JP Dupuy.
Lire à ce sujet l’excellent article « politique de la catastrophe », par un des meilleurs connaisseur des villes en Transition, Luc Sémal:
http://www.institutmomentum.org/2013/04/politiques-de-la-catastropheseminaire-du-15-mars-2013-par-luc-semal/