Il y a une définition politique du conservatisme, tout ce qui est hostile aux changements. Cette vision est péjorative puisqu’il s’agit de se satisfaire de ce qui est plutôt que de ce qui pourrait être. Car les partisans de l’innovation ne jurent que par le progrès. Mais a-t-on gagné à faire disparaître le connu pour aller vers l’inconnu ? Michael Oakeshott (1901-1990) creuse le sillon du conservatisme* : « Le conservateur ne saurait sacrifier à la légère un bien connu pour un mieux inconnu. (…) Pour lui, se trouver égaré, dérouté ou naufragé n’a rien de magique. S’il est contraint de se lancer sur des eaux inconnues, il considère comme une vertu de sonder les profondeurs à chaque encablure. » Enfin une analyse qui se différencie de la gauche progressiste et de la droite risque tout. Enfin une analyse qui rejoint la formulation actuelle du principe de précaution inscrit dorénavant dans la Constitution française malgré tous les cris d’orfraie des techno-scientifiques. Oakeshott critique les gourous du management, qui considèrent que le conservatisme est « une gêne malencontreuse pour le développement en cours ».
Cette prise de position rejoint la nécessité de conserver la nature contre la puissance technique et économique de l’activité humaine. L’environnementalisme anthropocentrique est l’hériter de la « conservation » dont le chef de file fut Gifford Pinchot (1865-1946) qui prônait l’usage avisé des ressources naturelles. On ne passe pas contrat avec des plantes, des animaux, des machines ou des gènes, objets et non sujets de transactions ; la protection qui leur est accordée découle de l’intérêt que les humains tirent de leur contrôle et de leur bonne conservation. Mais il y a aussi une autre approche, plus profonde, de la conservation de la nature : la conservation de la biodiversité nous invite à repenser notre rapport au monde vivant. Les évaluations économiques, l’extension de la quantification, sont incapables de rendre compte des valeurs en jeu. Mesurer, calculer, c’est s’épargner la véritable tâche qui nous incombe, celle d’une réflexion profonde sur ce qui nous lie et nous oblige, vis-à-vis de nos contemporains, des générations futures et du monde naturel.
Aldo Leopold** défend la thèse selon laquelle la conservation de la nature est un état d’harmonie entre les hommes et la terre : « Toutes les éthiques élaborées jusqu’ici reposent sur un seul présupposé : que l’individu est membre d’une communauté de parties interdépendantes. Son instinct le pousse à concourir pour prendre sa place dans cette communauté, mais son éthique le pousse aussi à coopérer… L’éthique de la terre élargit simplement les frontières de la communauté de manière à y inclure le sol, l’eau, les plantes et les animaux ou, collectivement, la terre… Sur les 22 000 plantes et animaux supérieurs originaires du Wisconsin, il y en a peut-être 5 %, à tout prendre, qui sont successibles d’être vendus, mangés ou utilisés de quelque manière que ce soit à des fins économiques. Pourtant ces créatures sont des membres de la communauté biotique et si (comme je le crois) la stabilité de celle-ci dépend de son intégrité, elles devraient alors avoir le droit de continuer à exister. »
* LE MONDE économie du 13 juin 2012, du bon usage du conservatisme
** Almanach d’un comté des sables d’Aldo Leopold (1946)