EGALI-TERRE, une dystopie utopique

(Texte reçu d’une de nos correspondantes)

Aujourd’hui, 26 avril de l’an 2622, on peut enfin souffler !

Les Fouilleurs n’ont plus rien à fouiller, les Tribus sont en bonne santé et les Puissants n’existent plus, ou, du moins, ils n’ont plus aucun pouvoir. Je parle des Puissants, parce que j’ai entendu dire qu’il y en avait beaucoup avant … mais moi, perso, j’en connais pas. On dit qu’il y en avait beaucoup dans les Villes, mais comment savoir ? Depuis que je suis tout petit et même avant , on nous dit : « N’allez pas dans les Villes ! Surtout pas ! Elles sont pour les Morts et il faut les laisser tranquilles , les Morts ! »

Nous, on n’a besoin de rien : le printemps est là , bientôt fruits, baies et noix seront abondants et déjà quelques légumes pointent le bout de leur nez ! On va passer tout l’été là haut dans les pâturages en altitude et les filles viendront nous rejoindre en Août pour la Grande Fête de la fin des Moissons, et là, ça va être la Liberté totale pour les jeunes : pour moi, ce sera la première fois, vu que je viens d’avoir 13 ans.

Dans les Black Hills, il y a un peu plus de 500 ans, des familles ont trouvé refuge, après des semaines de fuite éperdue, à bord de véhicules qu’il fallut abandonner faute de carburant . Quelques générations plus tard, les descendants de ces familles,les  »Stoneheads », les Têtes de Pierre, vivaient assez confortablement, tout en observant la plus grande prudence dans leurs déplacements : il y avait des chemins précis que l’on pouvait ou plutôt DEVAIT emprunter et chaque enfant apprenait par cœur le tracé.  »Ici, tu tournes autour du grand hêtre, tu descends jusqu’au rocher sur ta droite, tu te glisses entre les ronces sans les écraser, puis tu longes le ruisseau… Les myrtilles , les fraises et les noix sont abondantes de l’autre côté du chemin mais si tu entends le moindre bruit, tu t’accroupis sans bouger, et tu reviens .  » La chasse était essentielle et très vite on s’aperçut que les filles étaient des as du tir à l’arc…

Des deux côté de la Grande Masse d’Eau Salée, les humains avaient appris à se méfier des I-Meubles, ces hautes tours pleines d’objets étranges, et de ces routes au revêtement fendu ou explosé, de ces caves d’où pouvaient surgir des êtres de cauchemars et où il n’y avait plus rien à récolter, plus rien à trouver.

Les villes ? A éviter. Y a plus rien, plus rien du tout ; des ruines, des cadavres à l’état de squelettes. Depuis, personne n’a été tenté de retourner vers la Ville , ni celle là , ni une autre. Un jour, peut être… Mais le Monde d’avant, il est bien fini.

Les villages ? En ruine .

Les ex-routes et les ex-voies ferrées ? Mal fréquentées.

Les rivières ? Empoisonnées.

Les forêts ? OUIIIIIIIIII ! Là , c’était possible.

L’Autre était toujours le Danger. Le danger surgissait de nulle part aux abords des cités, des brutes mâles ou femelles n’hésitaient pas à attaquer les Fouilleurs.

Partout où survivaient des groupes humains organisés, on se récitait la longue liste des Ancêtres. Les survivants de l’Oural, eux, avaient des preuves ECRITES ! Dix générations plus tard, une petite centaine de descendants de ces pionniers prenaient toujours le plus grand soin des Papiers-de-Mémoire que l’on exhumait une fois l’an au Solstice d’été :  »Nous sommes la dernière bibliothèque vivante de la Planète Terre !  » On voulu rédiger le « GRAND MEMORANDUM sur la Société du XXVI e Siècle finissant. » Les MEMOIRES VIVANTES avaient soigneusement transmis à leur descendance la liste interminable des technologies du XXIe siècle ; rien n’y manquait , depuis le tout premier ordinateur MacIntosh jusqu’à la domotique la plus farfelue et les premiers implants neuronaux . Ces derniers soulevaient en général un mouvement de scepticisme, voire de colère que les Anciens qui avaient connu ces usages ne calmaient qu’à grand peine. Plus personne ne comprenait l’intérêt de ce monde d’objets et les plus jeunes s’étaient mis à grogner à l’idée de devoir en réciter la liste interminable et absurde .

Mais est-il vraiment nécessaire de connaître le mode de vie de tous ces Criminels ?  »

– De tous ces Criminels ? Tu considères que nos ancêtres étaient des Criminels ?

– Oui !

– Non ! Nous n’avons pas besoin de faire la liste de leurs méfaits, nous devons découvrir comment ils vivaient AVANT cette technologie. »

Il fut donc décidé d’attendre la fin du mois d’Octobre pour poursuivre… Chez les Knigaspatistielt’se, il n’y avait pas eu de ces débats houleux ; d’une part parce que jamais on n’avait obligé personne à se souvenir des  »CHOSES  ». La Catastrophe, l’Effondrement, c’était le passé !

Dans les clairières des Monts Jigouli, on ne manqua jamais de célébrations et de moments de communion profonde avec le monde vivant sous toutes ses formes, du plus petit scarabée jusqu’aux étoiles … Mais Dieu, Jéhovah, Allah, Jésus le Christ, le Saint Esprit, les Prophètes avaient disparu, en tout cas, peu à peu, de la mémoire des survivants de la Communauté . Si d’aventure un voyageur, comme il s’en présenta beaucoup aux cours des siècles, s’étonnait de ce vide , alors que tant de traditions étaient apparemment maintenues , on lui répondait avec assurance :  » Nous ne souhaitons pas introduire dans cette Famille la moindre dissension comme il ne manquerait de s’en produire si les Religions venaient à se glisser dans nos vies pleines de joies et de peines .  »

Les guerres, voici le fléau dont il faut se prémunir. Mais nous, ici , ne devons plus la craindre : quelle avidité pourrait mettre en péril notre Communauté ? L’autre cause de la haine , des dissensions et des massacres , ce fut la Religion et celle ci arrive à exister même dans le plus grand dénuement . Voilà pourquoi je vous demande de ne pas céder à ses chants séducteurs et de prendre conscience des menaces qu’elle représente. Nous sommes LIBRES .

Anne Jordan

3 réflexions sur “EGALI-TERRE, une dystopie utopique”

  1. juste une remarque ( pour mes lecteurs éventuels , les plus curieux du moins ! )
    Le thème principal a disparu dans cette version : c’était la SAUVEGARDE des LIVRES .
    Des 2 côtés du Globe , au E.U. et en Russie , sans se connaitre, des survivants maintiennent la mémoire des écrits , comme un trésor éternel.
    La version raccourcie ne donne pas à lire cette simultanéité ( utopique , j’en suis bien consciente! ) qui rapproche des humains des Black Hills et d’autres de l’ Oural .
    Il se trouve que j’ai écrit ça il y a 2 ans , quelques semaines avant la guerre d’Ukraine .
    Aux amateurs éventuels de m’écrire pour avoir la version complète…

    1. Anne, votre remarque nous rappelle un film de science-fiction, Fahrenheit 451, sorti en 1966, qui est justement centré sur la sauvegarde des livres dans une société où la télé est devenue reine : les livres sont interdits. Alors certains mémorisent des livres pour qu’ils ne soient pas oubliés. Le problème, c’est de déterminer quels sont les livres qui sont à perpétuer alors que nos bibliothèques conservent déjà au moins 130 millions de livres à l’heure actuelle. De toute façon, depuis l’invention de l’imprimerie, les livres n’ont pas du tout contribué à élever l’intelligence collective, sinon cela se verrait !!!!

      NB : Pour écrire à Anne Jourdan, utilisez notre intermédiaire : biosphere@ouvaton.org

  2. Belle litote,
    Quel bonheur qu’un monde apaisé d’après apocalypse.
    Pourtant, la vie c’est l’agitation, l’entropie maximum, quand elle est à 0 c’est la mort.
    Malheureusement Lupus est homo homini, non homo, quom qualis sit non novit. Thomas Hobbes l’a bien dit , cette dystopie est une légende dans le monde des hommes.
    Il faudrait la réécrire en effaçant la présence des hommes (et des loups?….)😅

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