René Dumont (13 mars 1904 – 18 juin 2001) était un emmerdeur comme on les aime, qui bouscule nos idées reçues, dit ce qu’il faudrait penser et témoigne par sa vie de ce qu’il faudrait faire. Avec lui, on aurait du savoir que les ordinateurs ne donnent pas à manger, que le socialisme a tragiquement échoué, que le libéralisme est aux abois, que l’alternative tiers-mondiste s’est effondrée, qu’un modèle de développement fondé sur une croissance infinie ne peut que conduire à l’autodestruction. René Dumont était juste ce qu’il faut, trop écolo pour les socialistes, trop anarchiste pour les écolos, trop empirique pour les marxistes, trop étatiste pour les libéraux, trop agronome pour les économistes, trop socio-économique pour les agronomes, trop pragmatique pour les scientifiques, trop enflammé pour les universitaires, trop prudent pour les militants, trop exigeants pour les tiers-mondistes et trop anticonformiste pour les pouvoirs. Bref, René Dumont a eu raison contre beaucoup de monde, indiquant la plupart des grandes tendances négatives de l’évolution des sociétés dont nous payons le prix maintenant. C’est le propre des visionnaires d’avoir raison trop tôt et de passer pour des illuminés. Dumont est un prophète. Replacés dans leur perspective historique, les cris d’alerte qu’il n’a cessé de lancer, que ce soit sur la famine montante, la croissance démographique, les mécanismes de mal-développement, l’impasse du tiers-monde, l’échec du socialisme, l’épuisement des ressources, la rupture des équilibres naturels figurent au rang des grandes lucidités de ce siècle. « D’avoir joué Cassandre ne suffit pas à me consoler de l’incendie de Troie. »
Notons que René Dumont n’aime pas qu’on le qualifie de « prophète ». Il pense que n’importe qui aurait pu arriver aux mêmes conclusions. A condition néanmoins d’avoir consenti à faire comme lui ; chausser des bottes, aller au contact, l’œil libre de tout crible idéologique, et l’esprit ouvert, dégagé de toute pesanteur. Mais il ne peut que constater que la ligne d’horizon est bel et bien fermée. Epuisement irréversible de l’énergie, des ressources naturelles, des matières premières. La pression démographique et migratoire devient une pression contre la paix. « Nous serons battus par le terrorisme. » Le grand témoin du XXe siècle jette alors son dernier feu de Cassandre : « Bon gré, mal gré, nous serons impliqués. Ce qui est juste puisque nous sommes tous responsables. »
Notons enfin que son premier acte politique fut de distribuer en 1919 un tract exigeant le droit de vote des femmes. Il n’avait alors que quinze ans. Depuis il n’a jamais cessé de faire entendre sa voix. Outre d’innombrables rapports et articles, René Dumont a publié une bonne quarantaine de livres. Cette biographie de Jean-Paul Besset est un excellent moyen de diffuser son discours au-delà de sa mort. (à suivre)
Premier extrait de René Dumont, une vie saisie par l’écologie de Jean-Paul Besset
506 pages, 20 euros, éditions les Petits Matins – 2013 (première édition en 1992)
Ce qui est désolant, c’est que depuis René Dumont, la pensée écologique a plutôt régressé pour (selon moi) se perdre parfois dans la « bien-pensance » du moment. L’engagement de René Dumont sur la question démographique alors qu’ il règne aujourd’hui un véritable tabou sur le sujet en constitue l’exemple type.