Il peut paraître surprenant d’entreprendre une critique de la technique. Or depuis un siècle, elle a changé de statut. Les techniques se sont développées de façon exponentielle et se sont tellement ramifiées qu’elles constituent désormais un véritable système ; un milieu environnant à part entière, avec ses règles, ses codes et ses contraintes… au même titre qu’autrefois la nature. Jouir de la technique est devenue pour une majorité de nos contemporains la finalité des finalités. On ne se pose plus ces questions :
– Pourquoi cet homme, qui ne jure d’habitude que par les libertés, se laisse t-il localiser passivement par les radars, les caméras de surveillance, les systèmes GPS et autres techno-brothers ?
– Pourquoi confie t-il de plus en plus de responsabilités à des automates, au point de devoir « communiquer » avec eux bientôt plus qu’avec ses semblables ?
– Pourquoi laisse t-il les robots-traders faire la loi à Wall Street et sur l’ensemble de l’économie mondiale ?
– Pourquoi s’apprête t-il à introduire des nanoparticules artificielles « intelligentes » dans son organisme en leur donnant carte blanche ?
– Quelle est la valeur d’un ami quand Facebook me propose de m’en « faire des centaines » ?
Comment en est-on arrivé à ce niveau de servitude ? En 1954, Jacques Ellul expliquait que la technique correspondait à « la recherche de l’efficacité maximale en toutes choses ». Mais pourquoi cette quête effrénée ? Dans le but d’accéder à un bien-être matériel maximal. Ce qu’Ellul appelle « l’idéologie du bonheur ». Peut-on considérer alors la technique comme une nouvelle idéologie ?
– Oui dans la mesure où elle constitue une croyance collective.
– Non dans la mesure où cette croyance n’est pas assumée comme telle.
Ce qui est particulier à la technique, c’est de s’ancrer dans les couches profondes de l’inconscient. Raison pour laquelle elle résiste à toute forme de critique traditionnelle et constitue une aliénation a priori indolore. Il en est ainsi car elle est pourvoyeuse de bien-être (confort et sécurité) et de puissance. Cette quête est à ce point frénétique que la plupart des humains ne veulent en voir que les avantages, considérant qu’il sera toujours possible demain de palier aux inconvénients d’aujourd’hui. La technique est en elle-même devenue le tabou des tabous, elle est le sujet indiscutable par excellence : on n’aborde que ses conséquences, à chaque crise qu’elle provoque, quand il est déjà trop tard. En aucune manière on ne questionne les projections mentales dont elle est l’origine. Ce faisant, ce n’est pas elle qui nous asservit mais le sacré transféré inconsciemment sur elle.
Pour penser la technique aujourd’hui et résister à sa puissance : TECHNOlogos
@ coq au vin
C’est fou ce qu’on (moi en l’occurence) peut vite devenir pédant (« ma pensée »…). !
Je suis bien d’accord avec vous que les mathématiques comportent un fort aspect « technique », qu’il est indispensable de maîtriser pour être créatif. Déjà, il y a bien sûr un socle de base de la science qui est une « technique » de pensée (capacité à tenir des raisonnements, enchainement logique des arguments, etc…). De plus, chaque domaine scientifique possède effectivement son « savoir faire » (toujours sur le simple plan du développement des idées). C’est sa maîtrise qui permet (en partie du moins) le libre jeu de la pensée à la base de l’acte créatif en sciences. Mais il faudrait sans doute distinguer cet aspect de la technique (appelons-le « technique au sens 1 ») d’autres aspects tels que par exemple la technologie (les appareils) utilisés pour expérimenter ou mesurer des variables (« technique au sens 2 »). Il est clair que ces deux aspects sont fortement liés l’un à l’autre, ne serait-ce que parce que développer une nouvelle technologie nécessite une créativité intellectuelle et donc de la technique au sens 1.
Cela laisse quand même une large place à une critique de la technique sans pour autant nier la science. Par exemple, trop de technique au sens 1 peut réduire la créativité scientifique. C’est d’ailleurs ce que vous dîtes dans votre réponse à Philippulus. Effectivement, la technique (au sens 1) peut conduire à « formater la pensée ». Des ingénieurs peuvent ne pas être capable de trouver les meilleures solutions parce qu’ils ne sont pas capables de faire suffisamment de place au « libre jeu de la pensée ». Une société qui fait trop de place à la technique au sens 1 peut ne pas être capable de résoudre correctement certains problèmes par manque de créativité.
Un deuxième exemple qui me vient à l’esprit porte sur la technique au sens 2. Hal Whitehead est un des meilleurs spécialistes des cétacés, notamment en ce qui concerne leur organisation sociale. Il a fait (et continue à faire) des recherches très innovantes. Il utilise plusieurs technologies telles que des appareils photos ou des hydrophones. Néanmoins, il limite volontairement leur emploi pour les raisons suivantes. A trop se focaliser sur la technologie comme moyen, on passe à côté de questions importantes, simplement parce qu’on ne les voit pas, on n’y pense pas, alors qu’y répondre ne dépend pas de la technologie. Il se méfie également de la technologie car elle a tendance à « prendre une vie propre »: dans son domaine de recherche, développer des technologies pointues (des appareils de mesure à grande profondeur notamment) a tendance à devenir une fin en soi et non un moyen. Cette critique de l’utilisation de la technologie est interne à la science. Néanmoins, une société qui fait trop de places aux technologies peut être confrontée aux mêmes problèmes : absence de recherche de solutions à certains problèmes parce qu’on pense que toute solution passe par la technologie, autonomie de la technologie dont le développement devient une fin en soi, en perdant de vue les objectifs initiaux, voire même en agissant contre eux (une sorte de fuite en avant technologique).
Je crois qu’une bonne partie des critiques que les écologistes font à la place de la technique dans l’organisation des sociétés a pour base ce type de réflexion. Encore une fois, cela ne nie pas la science.
@coq au vin
Pour mon pseudonyme, vous avez tout bon, j’arpente le monde en prophétisant que tout cela va mal finir. Mais les ‘autruches pensent que tout va bien.
Je persiste et signe : l’ensemble classes préparatoires/concours/grandes écoles est une calamité. Je connais, ou plutôt j’ai connu, et 40 ans après je garde un souvenir très précis d’un cheptel avide de pouvoir, sans principe et ignorant volontairement tout ce qui n’était pas de nature à servir leurs minables ambitions. Quand à la créativité, allez donc discuter avec un X-Mines standard, de sobriété et d’efficacité énergétique, allez donc débattre de systèmes de production d’énergie décentralisés, non polluants et soutenables. Aucune créativité, pratiquement tout ce qui est innovant dans ce domaine vient d’Allemagne, de Suisse, d’Autriche, etc..
Mais je crois qu’on s’est sensiblement éloigné du sujet. Comment faire pour que la technique qui a engendré homo sapiens ne devienne pas son maître destructeur ?
@philippulus
Les classes prepas sont a la fois la benediction et la malediction de l’enseignment superieur en france, comme les ecoles d’ingenieur d’ailleurs. Ceux qui en sortent avec un esprit creatif intact beneficient d’une formation technique excellente pour servir cette creativite (il y en a qd meme pas mal). Les autres oui sont plus…formates.
J’aime bien vote pseudonyme, vient-il de l’Etoile Mysterieuse?
@coq au vin
Il se trouve que j’ai passé quelques mois (il y a bien longtemps) dans une classe prépa (math sup) au lycée Henri IV. J’ai eu l’insigne honneur d’en être viré, mon état d’esprit et mon indiscipline systémique ayant été jugés incompatibles avec la fonction première de cette stabulation d’élite : formater la toute petite minorité de l’élevage humain destinée à diriger le reste du troupeau. On pourra toujours trouver quelques exceptions qui ne changent rien à la règle générale.
Dans cette fabrique, l’approche de la science ne sert qu’un seul but : sélectionner les meilleures bêtes (à concours) qui ingurgitent une masse énorme de connaissances disparates sans jamais se poser la moindre question sur celles-ci.
@ coq au vin
Oui, je crois qu’il y a un malentendu. J’essaierai de préciser ma pensée demain ou après-demain.
@Jean-Yves
1) Vous avez raison. Et meme (pour me donner tort a moi meme) on peut citer Lipietz, un X-Pont (la noblesse du corps de ingenieurs en france) ancien du CNRS, et Voynet, medecin dans un domaine particulierement technique. Bon, mon argumentaire sur l’absence de praticiens de la science ne tient pas.. Je pourrais faire une pirouette sur le fait que laisser la science pour la politique ne convient pas aux vrais scientifiques, ou que beaucoup de ces scientifiques sont des ingenieurs , donc tres axes sur la technique et a l’oppose de la these de Biosphere, mais ca ne serait pas tres honete de ma part. Vous avez raison, les verts incluent, en effet, des praticiens de la science. Le fait que l’ideologie y soit si forte vient donc d’une autre raison. Je remarque quand meme que Waechter et Lipietz se sont fait « degager » par des non-scientifiques, et qu’a part Voynet le devant de la scene a ete tenu par un journaliste de tele (co-signataire de Techonologos), une juriste et un animateur de tele.
2) Bien entendu, les mathematiques font partie de la science. Je n’ai rien dit qui puisse soutenir autre chose. Je pense quil y a un malentendu. Mais les mathematiques dependent aussi de la technique. Pas forcement de la technologie (encore qu’en math comme ailleurs, les ‘experiences numeriques’ deviennent la norme et les super-calculateurs sont des outils fondamentaux), mais de la technique, oui, certainement. D’ailleurs en france le bac C et le bac D, ainsi que les classes prepas, ne sont rien d’autre qu’un long apprentissage de la technique des mathematiques. Et les mathematiques en tant que science ne sont pas aussi repandues qu’on pourrait le shouhaiter justement parceque seule une minorite d’entre nous maitrise suffisament la technique des maths pour etre creatif. Sans technique, pas de science, et c’est particulierement vrai en mathematiques. Je ne connais pas le domaine de l’ethologie, mais oui c’est interessant comme contre exemple, je vais lire un peu la dessus. Je pense – a priori – ques les experimentateurs en ethologie doivent d’une maniere ou d’une autre avoir des moyens d’ajuster et de parametriser des variables, et dont doivent avoir la necessite de les perturber, mais je n’ai pas d;exemple concret.
Dans l’exemple de la propulsion nucleaire: c’est actually my point, le moteur nucleaire est un moyen pour l’exploration, mais l’exploration depend du developpement technique de la propulsion nucleaire. Et la technique est elle-mem teleologique: elle ne se definit que par ses applications ‘cotemplatives’. Mon point est que l’un ne se definit pas sans l’autre.
Voulir critiquwe la technique sans nier la science est equivakent a vouloir critiquer la nuit sans voulir critiquer le jour: l’un ne se definit que par rapport a l’autre. La science parceque elle est toujours action technique, la technique par son caractere teleologique.
@ coq au vin
Yves Cochet a été enseignant-chercheur à l’Institut National des Sciences Appliquées de Rennes.
Philippe Lebreton, grande figure de l’écologie en France, aussi bien associative que politique, a fait une longue carrière d’enseignant-chercheur et a dirigé un laboratoire de biologie végétale.
Antoine Waechter, candidat écologiste à l’élection présidentielle de 1988, a un doctorat en éthologie.
Le WWF possède parmi ses salariés de nombreux scientifiques actifs dans la recherche et qui publient régulièrement.
Néanmoins, l’essentiel de mon message ne portait pas sur les écologistes mais sur la possibilité de critiquer la technique sans nier la science. Soit la première partie du message, que je remets ici.
Je me demande si vous pensez que les mathématiques (ou ses parties les plus abstraites) font partie de la science. Les Eléments de Géométrie Algébrique d’A. Grothendieck, est-ce de la science pour vous ? Dans le domaine de l’éthologie, des découvertes majeures ont été faites par des scientifiques qui se sont immergés pendant des années dans des sociétés animales (pas uniquement des primates), en se contentant d’observer ce qui se passait. Ils cherchent à minimiser l’impact de leur présence et à perturber le moins possible le fonctionnement des groupes qu’ils étudient. Je serais assez prêt à argumenter (mais c’est un autre débat) que les résultats ainsi obtenus font partie des plus grandes découvertes scientifiques des 30 à 40 dernières années. Dans les exemples que vous donnez liés à la cosmologie, le moteur à propulsion nucléaire est développé non pas pour lui-même mais pour répondre à des questions sur le fonctionnement de l’univers. Aussi quand vous dîtes « pour moi, oui la science est une action, et la technique le moyen d’y parvenir », je pense que c’est une définition restrictive. La science est avant tout un questionnement et un mode de compréhension du «monde» ; il s’agit avant tout de « penser ». Elle nécessite certes souvent d’agir en perturbant ce que l’on étudie, mais, un peu pompeusement, cela est un moyen et non une fin en soi. (Je crois d’ailleurs qu’Einstein a dit à un moment donné «pour un homme comme moi, l’important n’est pas ce qu’il fait, mais ce qu’il pense », je ne suis pas sûr que de la phrase exacte).
Je suis donc persuadé qu’il y a un espace, et même un espace assez large, pour développer une critique de la place de la technique dans les sociétés actuelles et/ou passées sans pour autant nier la science.
@ Jean-Yves
« […]je trouve toujours étonnante la critique si répandue que les écologistes sont des « obscurantistes » qui nient la science (je ne dis pas bien sûr que c’est votre cas). »
Si, c’est en gros mon cas. Avoir une formation scientifique n’est pas la meme chose que de pratiquer la science. Les responsables ecologistes sont avant tout des ideologues – meme chose pour les autres partis – qui rejettent la technique parceque elle ne se prete pas a leur ideologie. On peut tordre un concept scientifique ou le rendre impuissant (la blague de la « science citoyenne »), mais on ne peut pas faire mentire la technique: un domaine de la connaissance qui dit que 1+1=2 n’est pas l’ami des ideologues.
@ philippulus et à tous ceux que cela intéresse,
Sur la technique et sa consubstantialité au genre Homo, les références suivantes pourraient vous intéresser:
http://www.pri.kyoto-u.ac.jp/ai/data/Primate_archaeology.pdf
http://www.eva.mpg.de/primat/staff/boesch/pdf/PNAS_Mercader_Boesch_2007.pdf
https://estudogeral.sib.uc.pt/bitstream/10316/3758/1/filefae083c89f29436aa3ecbb7b95f33e22.pdf
http://www.gwu.edu/~hogwash/BW_PDFs/RP134.pdf
@ Coq au vin
Je me demande si vous pensez que les mathématiques (ou ses parties les plus abstraites) font partie de la science. Les Eléments de Géométrie Algébrique d’A. Grothendieck, est-ce de la science pour vous ? Dans le domaine de l’éthologie, des découvertes majeures ont été faites par des scientifiques qui se sont immergés pendant des années dans des sociétés animales (pas uniquement des primates), en se contentant d’observer ce qui se passait. Ils cherchent à minimiser l’impact de leur présence et à perturber le moins possible le fonctionnement des groupes qu’ils étudient. Je serais assez prêt à argumenter (mais c’est un autre débat) que les résultats ainsi obtenus font partie des plus grandes découvertes scientifiques des 30 à 40 dernières années. Dans les exemples que vous donnez liés à la cosmologie, le moteur à propulsion nucléaire est développé non pas pour lui-même mais pour répondre à des questions sur le fonctionnement de l’univers. Aussi quand vous dîtes « pour moi, oui la science est une action, et la technique le moyen d’y parvenir », je pense que c’est une définition restrictive. La science est avant tout un questionnement et un mode de compréhension du «monde» ; il s’agit avant tout de « penser ». Elle nécessite certes souvent d’agir en perturbant ce que l’on étudie, mais, un peu pompeusement, cela est un moyen et non une fin en soi. (Je crois d’ailleurs qu’Einstein a dit à un moment donné «pour un homme comme moi, l’important n’est pas ce qu’il fait, mais ce qu’il pense », je ne suis pas sûr que de la phrase exacte).
Je suis donc persuadé qu’il y a un espace, et même un espace assez large, pour développer une critique de la place de la technique dans les sociétés actuelles et/ou passées sans pour autant nier la science.
Indépendamment de ce qui précède, je crois qu’il est en grande partie faux de dire « qu’attaquer la technique, c’est une manière détournée de rendre impuissante la science, dont la pensée hard-écolo se méfie comme de la peste ». Je ne sais pas exactement ce que vous appelez « hard-écolo » mais je doute fort que la pensée « hard-écolo » (la sérieuse, bien sûr) rejette les connaissances apportées par la science fondamentale. Je pense même qu’ils pourraient assez facilement argumenter que ces connaissances renforcent leur manière de penser. Ce qui est vrai, c’est que la pensée « hard-écolo » (la sérieuse, toujours) se méfie d’un certain type d’utilisation de la science en vue d’organiser les sociétés humaines, ce qui n’est pas du tout pareil. Certes, il y sans aucun doute des « hard-écolo » qui pensent que la raison ne peut pas nous donner une image complète du monde, mais on entre dans un tout autre débat et cela n’en fait certainement pas pour autant des obscurantistes.
Plus généralement d’ailleurs, je trouve toujours étonnante la critique si répandue que les écologistes sont des « obscurantistes » qui nient la science (je ne dis pas bien sûr que c’est votre cas). En fait, les adhérents et les salariés des organisations environnementales ont souvent une formation scientifique, généralement d’ailleurs de haut niveau. Les partis écologistes en France ont, ou ont eu, parmi leurs responsables des scientifiques, cas probablement unique dans la politique française, remplie de politiques avec une formation « littéraire ». Yves Cochet par exemple, qui est député et a été ministre, est docteur en mathématiques. On pourrait multiplier les exemples. La critique des « écolos obscurantistes qui nient la science » est d’autant plus étonnante que c’est plutôt l’inverse qui est vrai, et que c’est pourquoi on devrait vraiment les prendre au sérieux.
Bon, j’espère ne pas avoir été trop long !
Biosphère nous dit : « il faut aussi savoir se maîtriser soi-même. »
Cela passe obligatoirement par la connaissance de soi en tant qu’individu d’une espèce animale donnée, à savoir l’espèce homo sapiens la si mal nommée. Et cela passe tout aussi obligatoirement par la connaissance du « monde naturel » dont nous sommes issus et dont nous ne sommes qu’une partie. Il faudrait aussi apprendre à penser au delà du bien et du mal, et donc sortir de cette satanée culture et vision du monde « humaniste » et/ou judéo-chrétienne.
Biosphère nous parle aussi d’un « dévoiement de la technique » et met en avant le cas d’école de la fabrication de la bombe atomique. Elle était inéluctable, fatal aboutissement de la fameuse équation E=mc². Lorsqu’en 1905 Einstein finalise tout un travail purement théorique (Poincaré, Lorentz) et montre ainsi l’équivalence masse/énergie, il est dans la totale incapacité d’imaginer la suite des évènements. Il ne peut pas imaginer que le pacifiste convaincu et engagé qu’il est, s’engagera personnellement 34 ans plus tard pour que soit lancé le projet Manhattan visant à mettre au point une arme de destruction massive. L’Histoire est passée par là, broyant tout, convictions, conscience, morale et tout ce qu’on veut. En 1945, alors que l’Allemagne et le Japon s’effondrent, Einstein récrira à Roosevelt pour tenter d’empêcher les USA de faire usage de l’arme atomique. Que faut-il penser d’Einstein dans cette affaire ? Il savait très bien que l’Allemagne avait la capacité scientifique et technique de mettre au point une arme nucléaire.
Que faire ?
Une fois que l’Histoire est partie pour salement déraper, les positions morales à propos de la technique s’évanouissent sous le poids des peurs et des horreurs.
C’est sur l’Histoire et son principal moteur, l’accroissement démographique, que nous devrions agir et, ainsi, nous mettre dans les meilleures conditions possibles pour « nous maîtriser ».
@philippulus (J’aime bien votre pseudonyme, vient-il du « prophete » de l’Etoile Mysterieuse?)
vous ecrivez: « Qu’on le veuille ou non, la technique est congénitale au genre homo. […] Faut faire avec, puisque nous n’existons pas sans. »
Oui tout est dit. Si nous refusions la techniques, ne nous refuserions pas nous-memes? Biosphere pense que ce n’est pas le cas, que nous pouvons exister sans, ou bien (plus inquietant) que de toute facons la survie de la « nature » est a ce prix.
Au contraire je pense comme vous que nous ne sommes nous-meme que si nous allons de l’avant – la technique est la condition de notre realisation en tant qu’humains. Je crois que Georgescu-Roegen l’a bien mieux dit que moi (c’est Biosphere qui me l’avait cite et m’avais fait decouvrir cet economiste etonnant- je leur en sais gre).
@Biosphere
Vous ecrivez : »Il est trop facile de découper la réalité, la science cherche, la technique applique. »
Oui , les deux vont ensemble, c’est vrai. C’est justement en partie mon probleme avec votre ‘attaque’ de la technique: en attaquant l’une, on attaque aussi l’autre.
@ coq au vin
Ma première phrase était effectivement en trop. En fait, j’ai regretté de l’avoir mise à peine mon commentaire envoyé.
Je n’ai malheureusement pas le temps de vous répondre dans l’immédiat. Je le ferais demain ou après-demain.
Qu’on le veuille ou non, la technique (acceptons la définition donné par Ellul dans l’article) est congénitale au genre homo. La technique est omniprésente dans notre histoire et ce depuis homo habilis. Faut faire avec, puisque nous n’existons pas sans.
Certains pensent qu’il eu mieux valu « laisser la toile vierge et la page blanche ».
Cioran le formule en disant (en substance) « qu’en inventant l’homme, la nature avait commis un attentat contre elle-même ». Sauf que la nature n’invente rien et n’a aucune intention. Et comme il n’y a nul Dieu créateur, il n’y a pas de « péché originel » qu’on l’appelle « technique » ou « connaissance ».
Le problème est que cette puissance technique nous a permis de proliférer (dès le néolithique) et que cette prolifération a été le moteur essentiel d’une certaine fuite en avant technicienne permettant un nouvel accroissement, etc..
@ Jean-Yves
« Vous me semblez bien péremptoire. »
Merci, ca fait toujours plaisir de lire un message qui commence comme ca. Plus serieusement, le format d’un blog ne laisse pas trop d’autres possibilites que d’ennoncer ses idees brievement. Le blog Biosphere est essentiellement base sur des opinions assez fortes, ceux qui les tiennent paraitront peremptoires aux uns alors que leurs contradicteurs paraitront peremptoires aux autres.
Sur le sujet, oui la curiosite est sans doute une des motivations des scientifiques. Mais la science est neanmoins par nature agissante: la demarche scientifique implique de pouvoir *modifier* un etat ‘naturel’ pour faire des hypotheses, les tester, les reproduire etc. Pratiquer la science est toujours faire, pas simplement observer.
La distinction science fondamentale/appliquee est artefactuelle. D’une part pour la raison structurelle ci-dessus, d’autre part parceque une telle distinction est subjective. Si je devellope un moteur a propulsion nucleaire, parceque je veux envoyer une sonde d’exploration spatiale au dela du systeme solaire pour enregistrer l’effet du vent solaire , obtenir des donnees qui me permettront de quantifier la matiere noire dans l’univers, appliquer la theorie des cordes a de telles donnees et en deduire une characterisation de posibles univers « paralleles »: est-ce de la science fondamentale a ce niveau la? est-ce de l’a science appliquee? La modelisation quantique de la structure del’univers est-elle une contemplation? Sa dependance des techniques de propulsion nucleaires est-elle au contraire un characteristique d’une ‘application?
Si j’introduit un gene particulier dans une cellule animale, parceque je veux verifier si des molecules presentes dans l’environnement peuvent induire une surexpression de proteins oxidantes qui vont transformer ces molecules en polluants environmentaux et cancerigenes. Ne sont-ce pas les ‘applications’ en amont sur la nature des molecules crees par l’agriculture et l’industrie qui definissent cet investissement comme ‘fondamental’?
« Fondamental » et « aplique » sont des definitions subjectives qui ne se definissent que l’une part rapport a l’autre. Une espece de Tao epistemologique, pour le dire en faisant chic.
Pour moi, oui la science est une action, et la technique le moyen d’y parvenir. Je termine en citant Brassens (dans Le Mauvais Sujet Repenti, et a propos d’un tout autre sujet): » Sans technique le don n’est rien qu’une sale manie ».
Coq au vin,
Les choses sont toujours plus complexes qu’on ne peut le dire. Galilée était un fin observateur qui voulait comprendre la marche de l’univers, ce qui ouvrait à l’époque peu de perspectives d’applications concrètes. Mais il a fait preuve aussi d’une grande habileté manuelle, il invente le pulsomètre, et met fin à l’héliocentrisme avec sa lunette astronomique. La recherche fondamentale côtoie toujours le faire, d’accord.
Mais le problème de la technoscience est qu’elle a perdu le sens des limites parce qu’elle a perdu le sens de l’unité complexe de la personne. Prenons l’exploration spatiale, du côté de la science contemplative par certains côtés, pour quantifier la matière noire, etc. Mais elle résulte aussi des travaux de Von Braun qui a permis les V1 et V2, fusées bombardiers de l’époque hitlérienne. Il n’y a pas de subjectivité là-dedans, il y a les applications qui se révèlent néfastes et les autres.
En fait nous ne connaissons pas de technique qui n’ait son côté pervers. La science du feu a permis des déforestations massives dès son invention ou presque. La pierre taillé a facilité les massacres. Il est trop facile de découper la réalité, la science cherche, la technique applique. Pour nous, il s’agit dans l’un et l’autre cas de personnes réelles donc complexes, devant avoir en même temps une attitude professionnelle mais aussi une approche morale. Pour nous, un scientifique qui prête son concours à l’élaboration de la bombe atomique n’est pas une personne « entière », il a perdu le sens des limites. Pour nous un technicien qui prête son concours à la détérioration de la planète ou des relations humaines dévoie le sens de la technique. Pour nous la maîtrise du feu implique qu’il faut aussi savoir se maîtriser soi-même.
@coq au vin
Vous me semblez bien péremptoire. Dire qu’attaquer la technique, c’est nier la science est un raccourci plutôt curieux. L’activité scientifique vise avant tout à connaître et comprendre. L’utilisation des connaissances scientifiques afin d’agir en vue d’améliorer l’existence de l’humanité (si c’est ce que vous appelez la technologie) n’est pas une nécessité pour que la science existe.
D’après mon expérience, la majorité des personnes qui deviennent scientifiques ne sont pas mus par un désir d’action ou par la volonté de transformer les choses, mais par la curiosité intellectuelle. D’ailleurs, nombre de scientifiques, et non des moindres, ont considéré ou considèrent avec suspicion (pour ne pas dire plus dans certains cas) le passage de la science fondamentale à la science appliquée. Ils ne nient pas pour autant la science.
On ne peut en effet separer la technique de son application. L’application de la technique, c’est la science. Et Ellul, comme Biosphere, considere que la science ne doit etre que contemplative. Ellul au nom d’un culte rendu a Dieu, Biosphere au nom d’un culte rendu a la Nature. La science pour Biosphere ne devrait etre que la Nature se pensant elle-meme.
C’est tres mal comprendre la science: elle n’est pas contemplative, elle est au contraire orientee vers l’action. Elle agit, transforme, elle cree. La technique, qui la sert, est le moteur de cette transformation. Attaquer la technique, le bras agissant de la science, comme la mouvance hard ecologiste le desire, c’est en fin de compte nier la science, qui n’a ete, n’est et ne sera jamais une contemplation. Attaquer la technique, c’est une maniere detournee de rendre impuissante la science, dont la pensee hard-ecolo se mefie comme de la peste.
Desirer que la science soit contemplative ou que la technique cesse son action est equivalent a desirer qu’un artiste laisse sa toile vierge, ou qu’un ecrivain laisse sa page blanche: c’est l’antithese de l’action, ce que la science est vraiment.
vu l’état de la planète et des relations humaines que la technoscience et la finance ont provoqué, ne valait-il pas mieux laisser la toile vierge et la page blanche ?
Discuter d’Ellul aurait ete interessant. En particulier la dualite entre d’une part ses combats contre les grands totalitarismes europeens du XXeme siecle, et d’autre part son rejet de l’humanisme europeen classique (car selon lui s’opposant au but ultime de la liberte qui ne serait que la glorification de Dieu). Je comprends comment effectivement Ellul est seduisant pour le mouvement hard-ecologiste, qui est en effet en opposition avec l’humanisme classique qui met l’Homme au dessus de tout.
Mais a la lecture du site de Technologos, la discussion s’avere invalidee d’avance (site Technologos , page nos_valeurs): « il est urgent qu’ils [ceux qui seraient favorables ou engages dans le devellopment technique] engagent une véritable confrontation avec leurs arrières-plans psychique » , suivi d’une reference a Jung.
Mais pourquoi, mon Dieu, pourquoi toujours ce logos qui definit a priori une vue contraire comme alienee -comme vous l’ecrivez vous meme-?? Pourquoi cette negation de la legitimite de l’opinion contraire, comme dans votre billet sur Rocard d’y il a quelques semaines?????
Dommage, c’etait bien parti pour etre une interessante – et sans insultes ou scatologie- discussion sur le role de la technique, et effectivement de separer sa nature de ses consequences.
Pour ceux qui veulent discuter d’Ellul avec Coq au vin, lire ces résumés :
La technique ou l’enjeu du siècle (1960)
Le bluff technologique (1988)