Face aux éleveurs, des loups exaspérés

Nous les loups, nous ne pouvons pas saquer les bergers. Sans nous, ils se croyaient en vacances en haute montage. Mais pour nous la montagne, sans les bergers, c’était le paradis ! Ils font de l’élevage pour la viande, un ranching avec des troupeaux de plus en plus importants tout en économisant la main d’œuvre. Optique de courte vue, productiviste. En plus, de quoi se plaignent ces éleveurs : ils sont indemnisés pour chaque bête que nous égorgeons. Nous soupçonnons les bergers de hurler au loup simplement pour accroître leurs émoluments. Nous en avons marre d’être pourchassés alors que nous ne faisons que vivre notre existence de loup. Notre vie devient impossible, même José Bové a demandé de nous tirer comme des lapins. La préfecture vient d’autoriser « un tir de prélèvement » ; mais c’est d’un abattage qu’il faudrait parler, d’un assassinat. Des loups seront définitivement séparés de leur conjoint par la faute de la brutalité des chasseurs. Au nom de quoi faudrait-il préférer le loup aux brebis ?

Quand on voit ces alpages où l’herbe n’est plus qu’un paillasson parce qu’il y a trop de moutons, nous sommes exaspérés. Regardez bien comment l’homme a défiguré la montagne par le surpâturage, par la disparition de la flore alpine du fait des dents du mouton. Une brebis peut être remplacée rapidement, une montagne mise à mal par l’excès d’ovins a besoin de deux ou trois décennies pour se reconstituer. Nous les loups, nous sommes donc utiles pour réguler la pression des herbivores sur les alpages. Avec vos troupeaux de milliers de têtes dans le Mercantour, trop, c’est trop : nous ne sommes pas encore assez ! Vous avez pourtant tenté de nous éradiquer. Nous avions disparu depuis soixante ans, nous ne revenons dans le Mercantour que depuis 1992. Nous ne sommes que 200 à 250 loups dans l’hexagone, seulement 30 à 40 dans les Alpes-maritime*. Combien d’humains compte la France ? Plus de 60 millions… et vous nous accusez d’être trop nombreux ?

Notre ami Hugues Stoeckel a bien décrit notre supériorité sur les humains : « Le loup limite sa reproduction au seul couple dominant de la meute pour ajuster ses effectifs aux ressources disponibles. Quand les proies se font rares, la meute reste parfois deux ou trois ans sans mises bas. Ce comportement est d’autant plus admirable que le loup, bien qu’intelligent, ne dispose pas de cet outil prospectif unique au monde qu’est le néocortex humain. Un outil en l’occurrence totalement déficient : l’espèce humaine s’avère incapable d’accepter, ni même de discerner une limite à sa propre prolifération. Et ce, bien qu’elle subisse déjà les premiers effets de l’effondrement énergétique. » Il vous faudra suivre notre exemple et maîtriser votre surpopulation. Suivez l’enseignement de notre philosophie, l’écologie profonde : « L’épanouissement de la vie et des cultures humaines est compatible avec une diminution substantielle de la population humaine. L’épanouissement de la vie non-humaine requiert une telle diminution. »

Nous, les loups, nous vous faisons remarquer en conclusion que, par la faute principale des humains, un cinquième des invertébrés de la planète est menacé d’extinction**. Ce ne sont pas les loups qui sont trop nombreux, ce sont bien les humains et leurs moutons. On vous prévient, ça va mal finir.

* LE MONDE du 2-3 septembre, Face aux loups, des éleveurs exaspérés

** LE MONDE du 2-3 septembre, de la coccinelle à l’éponge, un invertébré sur cinq est guetté par l’extinction

5 réflexions sur “Face aux éleveurs, des loups exaspérés”

  1. Qui est le plus « civilisé », du loup ou de l’homme ? On peut déclencher le feu nucléaire en appuyant aveuglément sur un bouton, alors qu’au sein d’une meute le loup dominant est désarmé par l’attitude de soumission de son congénère subordonné. Il y a cohérence socio-biologique dans le second cas, incohérence techno-éthique dans le premier.
    in « le futur a-t-il un avenir » de Philippe Lebreton

  2. « En plus, de quoi se plaignent ces éleveurs : ils sont indemnisés pour chaque bête que nous égorgeons » : attention à la caricature, c’est réellement toute une galère pour faire reconnaître qu’un loup est effectivement responsable de la mort d’une bête. La cohabitation du loup avec les bergers est par nature très difficile, ne serait-ce qu’à cause des problèmes psychologiques créés par ce que les éleveurs perçoivent comme des massacres. Finalement la meilleure solution serait d’abandonner (rendre?) au loups de nombreux territoires. Ceci étant cela n’arrivera pas de sitôt, car cela aurait un coût pour la communauté nationale et puis les bergers sont assez butés…

  3. Extraordinaire article de lucidité. Le même raisonnement pourrait s’appliquer aux ours des pyrénées s’ils n’étaient eux encore beaucoup moins nombreux. L’aveuglement de l’humanité sur ces questions est effroyable.

  4. « Nous soupçonnons les bergers de hurler au loup simplement pour accroître leurs émoluments ». Nous, les galinaces, nous soupconnons les ecologistes profonds de crier au probleme simplement pour accroitre leur importance.

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