En novembre 2014, le Président de la République annonçait que tous les élèves de 6e seraient dotés de tablette dès la rentrée 2016. Il est fait de l’utilisation du numérique au collège une priorité…. Les adolescents passent de plus en plus de temps devant les écrans. On sait que cela entraîne des problèmes de concentration, des troubles de l’attention, du sommeil, voire de véritables addictions. Nous savons que certains parents sont dépassés par cette situation. Face à ce qui est devenu un fléau de société, que propose l’Education nationale ? Un temps supplémentaire accordé au numérique ! C’est bien la première fois qu’on préconise l’augmentation des doses dans un problème d’addiction.
De plus, les jeunes sont habitués aux effets techniques les plus époustouflants et le numérique que nous leur proposerons en classe sera toujours terne comparé à celui dont ils ont l’habitude. Ce n’est pas le numérique qui donnera aux élèves de l’appétence pour le savoir. Le numérique au collège pose également la question du divertissement. S’il existe peu de manière de détourner l’usage d’un cahier ou d’un livre, l’outil informatique, en soi, est un appel à des détournements illimités et les plus divers. Les tablettes sont connectées et les élèves iront forcément sur des sites non autorisés. La forme même du numérique entraîne le divertissement. L’élève n’est pas invité à une lecture profonde, mais bien plutôt à survoler de courts documents et à sauter de liens en liens. Ce type de lecture entraîne une discontinuité de la pensée et ne favorise pas la concentration. Nous disposons de suffisamment de recul pour savoir que pour construire une pensée il faut de la lenteur, de la concentration et du lien entre les connaissances. Soit l’exact opposé des valeurs portées par le numérique : vitesse, aspects ludiques et zapping. Devant une tablette, les élèves picorent du savoir, ils ne s’en imprègnent pas.
Sans numérique, les enseignants souffrent déjà des remarques continuelles et intempestives. Le numérique en classe va amplifier ce phénomène d’autant plus que la parole du professeur, son autorité seront sans cesse mis à mal par « l’apparente objectivité de ce qui est en ligne ». Il n’y a pas sur le net de hiérarchisation de l’information. Enfin soyons conscient que le numérique sera à l’origine de l’uniformisation de l’enseignement. En effet, notre métier d’enseignant est l’un des derniers métiers artisanaux. On sait depuis le début de la Révolution industrielle quel est le sort réservé aux différents secteurs qui se sont industrialisés : récupération des pratiques et savoir-faire par des bureaux d’études dans le but de les morceler et les intégrer dans des machines. On fera des gains de productivité, on économisera des profs…
Ce qui nous plaisait dans notre métier, c’était l’échange direct entre nos élèves et nous, indépendant de la quincaillerie informatique, afin de former des esprits libres.
(résumé d’un témoignage d’enseignants d’un collège)
L’Ecologiste n° 46 – janvier-mars 2016