Population maximum ou optimum, population limite, état de conservation, capacité de charge du milieu, schéma proie-prédateur et même viabilité d’une espèce, les termes se complètent. On se doute qu’une population de dix individus s’éteint très rapidement et que cent reste trop limité génétiquement. Le concept de MVP (minimum viable population) est issu d’une étude pionnière en écologie de la conservation de Shaffer en 1981. Celui-ci définissait une population minimale viable comme la plus petite population en termes d’effectif ayant 99 % de chances de se maintenir sur un horizon temporel de 1 000 ans malgré les effets de la stochasticité démographique, environnementale et génétique. Il s’agissait essentiellement d’un exercice de probabilités sur les trajectoires de populations données sur des périodes de temps déterminées.
La viabilité démographique représente l’aptitude d’une population à moyen terme (100 ans) « à résister au risque d’extinction ». La viabilité génétique concerne la capacité à s’adapter génétiquement à des conditions d’environnement changeantes à très long terme. Cette notion peut se résumer à la préservation d’un nombre suffisant d’animaux dits génétiquement efficaces. Une revue de la littérature scientifique internationale le situe aux environs de 2500 individus sexuellement matures (donc une population totale encore plus grande).
Un MVP de 500 loups
Les simulations sur l’avenir d’une espèce sont sujettes à controverse et étayent pourtant des discours politiques. Ainsi pour la gestion du nombre de loups en France. L’espèce Canis lupus, revenue en France depuis l’Italie vers 1992, était en 2008 dans un état de conservation favorable en France avec 150 individus et quatorze meutes. Des chercheurs ont estimé à 50 femelles l’assurance de ne pas voir l’espèce s’éteindre à moyen terme, à 500 femelles la garantie que l’espèce soit protégée à long terme. Le plan loup adopté en 2018 fixait un « seuil de viabilité démographique » à 500 individus, mais ne considérait pas le nombre de femelles. On pensait que ce chiffre ne serait atteint qu’en 2023. Mais on a déjà dénombré 530 loups en 2019. Une expertise collective de 2017, dirigée par le Muséum national d’histoire naturelle, estimait que le taux global de mortalité des loups devait être maintenu « en dessous de 34 % », faute de quoi la population déclinerait. Or, alors que le plafond de tirs létaux a augmenté, le taux de mortalité a été estimé à 42 % pour la période 2014-2019.
Car pour les éleveurs, le seuil de viabilité est largement dépassé : la population compterait en 2023 un millier d’animaux signalés dans 53 départements. Il semble que la pression exercée par ces mêmes éleveurs sur les pouvoirs publics pour obtenir un plan d’abattage des loups fonctionne… On est passé de 40 loups abattus entre le 1er juillet 2017 et le 30 juin 2018 à 162 en 2022, avec une prévision à 174 en 2023…, alors qu’en 2022 le nombre des ovins tués a baissé d’environ 10 % par rapport à l’année précédente. Les organisations agricoles réclament officiellement la suppression du plafond de destruction des loups ainsi que l’équipement des éleveurs et chasseurs en armes équipées de lunettes à visée nocturne. La polémique autour de ce MVP de 500 loups est donc intense. Mais à la fin du 18ème siècle, il y avait entre 10 et 20 000 loups en France (estimations à partir d’une moyenne de 6000 loups tués annuellement). Le dernier loup français avait été tué en 1940 à Javerlhac.
Un MVP de 300 000 Européens
En France, 1 104 loups en 2023 pour 67 millions d’humains : cherchez l’erreur ! Le problème essentiel n’est pas de savoir si la France peut héberger 500 ou 20 000 loups, le problème est que l’espèce homo sapiens s’est propagée au détriment de presque toutes les autres. Que diraient les Français si leur taux de mortalité était fixé « juste en dessous de 34 % » et qu’on pouvait tirer à vue le surnombre avec des lunettes à visée nocturne. Quel est le seuil de viabilité de cette espèce d’hominidé qu’on devrait respecter : environ 500 individus, ou 2500 individus sexuellement matures ? Notez que l’humain et le loup se ressemblent, ils chassent en meute. Ce sont des prédateurs en haut de la chaîne alimentaire qui doivent en conséquence réguler leur population en proportion des ressources à leur disposition.
Le loup limite sa reproduction au seul couple dominant de la meute pour ajuster ses effectifs aux ressources disponibles. Quand les proies se font rares, la meute reste parfois deux ou trois ans sans mises bas. Ce comportement est d’autant plus admirable que le loup, bien qu’intelligent, ne dispose pas de cet outil prospectif unique au monde qu’est le néocortex humain. Un outil en l’occurrence totalement déficient : l’espèce humaine s’avère incapable d’accepter, ni même de discerner une limite à sa propre prolifération. Au contraire elle a tout fait pour croître et se multiplier. Aujourd’hui la concurrence des loups n’est qu’une infime fraction des maux que les humains doivent combattre, extinction de la biodiversité, réchauffement climatique, épuisement des ressources fossiles, stress hydrique, etc. Ils l’ont bien cherché, leur nombre devient à la fois invivable et ingérable !
Un retour incertain à la normale
Il y a quelques 12 000 ans en Europe Il y avait environ 300 000 chasseurs-cueilleurs. Nous sommes passés, rien que dans l’Union européenne, à 448 millions. La moyenne mondiale en termes de densité est de 60 hab./km², l’UE arrive à 114 hab./km² (France 123, Royaume Uni 277, Pays Bas 518…). Or 100 hab./km², c’est un carré de seulement 100 mètres de côté pour satisfaire absolument tous les besoins d’un seul individu tout en laissant une place nécessaire à la biodiversité. C’est impossible ! Nous avons dépassé les limites de la planète dans les années 1980. Vu la vitesse avec laquelle nous nous efforçons de détruire ce qu’il nous reste de ressources depuis 20 ans, il est plus que probable qu’une réduction maîtrisée soit désormais hors d’atteinte.
Du point de vue d’un équilibre vraiment durable entre la pression humaine et le milieu naturel, il faudrait retrouver dans un futur très très lointain un niveau de population compatible avec une vie de cueilleurs-chasseurs, laissant à l’exubérance des différentes formes du vivant le droit de s’exprimer pleinement. La liste des bouleversements au cours des 120 siècles à venir sont certes inconcevables au regard de ce qui s’est passé de vertigineux au cours de la révolution industrielle, quelques deux siècles seulement et un passage de 1 milliards d’êtres humains en 1800 à 8 milliards depuis novembre 2022. Mais je précise que l’utopie, pour moi, c’est ce qui n’est pas encore réalisé, mais qui reste toujours une possibilité.
Michel Sourrouille
Article déjà paru sur le site des JNE,
https://www.jne-asso.org/2023/09/14/des-loups-et-des-hommes-par-michel-sourrouille/
Sur le continent voisin, en Afrique, l’éléphante espace ses naissances lorsque les conditions du milieu se dégradent. L’homme fait tout l’inverse : la fulgurante augmentation de sa population entraîne surexploitation des terres arables, désertification et déforestation, braconnage, tout en faisant indirectement le lit des famines périodiques, des guerres civiles et du terrorisme. Ce livre introduit l’importance d’un recentrage biologique, condition nécessaire (mais non suffisante) pour entrer dans une « société d’équilibre et de renaturation » axée sur la sobriété, l’adéquation territoriale entre population et ressources, la relance d’une coopération avec la nature et la reconstruction des écosystèmes endommagés.
(La sagesse de l’éléphante : pas de transition écologique sans sobrieté démographique )
Intellectuellement il est souvent intéressant de pousser un raisonnement dans les extrêmes, ça montre des évidences : à 50 000 humains sur la Terre on pourrait se permettre presque n’importe quoi, ce qui prouve déjà que le nombre est un facteur déterminant.
Ensuite des chiffres très improbables ne sont pas forcément irréalistes. Prenons du recul. Des effectifs démographiques minuscules (Adam et Eve, deux personnes seulement ?) sont à l’origine de l’espèce Homo sapiens et sont restés très limités pendant l’essentiel de son histoire de 300 000 années environ. Pour les Néandertaliens, leur dire qu’ils aboutiraient à 8 000 000 000 en 2022 semblerait aussi farfelu que pour nous, l’idée de revenir à 50 000 ! Donc prudence. (à suivre)
(suite et fin) D’autre part, nous croyons sur ce blog que de tels retours ne sont pas inconcevables. Certes les menaces d’aujourd’hui ne conduisent probablement pas à une extinction d’une telle ampleur, ni la guerre nucléaire (toujours dans l’ordre des possibles), ni le réchauffement climatique, ni la fin des ressources fossiles ne pourraient suffire, même en simultanée !
Mais une population qui croit pouvoir se soustraire durablement à toute sélection naturelle n’a aucune conscience des réalités biophysiques et se prépare ce que Malthus discernait dès 1798, épidémies, famines et guerres… ce qui d’ailleurs est déjà le lot d’une partie de l’humanité !
A 8 milliards d’habitants, on est déjà dans une situation extrême ! Pour autant est ce que les habitants consentent à réduire leur train de vie ? Jamais ! Et quand le train de vie est réduit par la force des choses, par le chômage, l’inflation, nouveau travail moins rémunérateur, baisse ou pénuries de ressources, etc… et ben on s’aperçoit que baisser le train de vie d’une population, rend cette dernière plus agressive ! (dont les femmes et enfants sont souvent victimes dans les foyers précaires). Pourtant nos foyers précaires en occident sont immensément riches comparativement au reste du monde, mais ces foyers ne trouvent plus leur situation satisfaisante pour devenir plus agressifs !
Ah je suis bien d’accord avec ça !
(bon pour Adam et Eve on met de côté, c’est juste un récit pas une réalité, ce n’était d’ailleurs pas dans le texte initial)
de la part d’un spécialiste des loups : Le groupe de scientifiques qui a donné le chiffre de 500 a plus répondu à une problématique politique que scientifique ! Cela permettait de trouver un compromis avec les anti-loups en donnant une méthode soi-disant scientifique pour abattre des loups, comme le voulaient les éleveurs-chasseurs-politiques, mais pas trop pour faire semblant de respecter le statut de protection européenne. Les chasseurs veulent aussi les compter eux-mêmes pour augmenter la population, donc le nombre de loups à abattre…
Bref je ne crois pas aux bases statistiques (soi-disant biologiques), mais je ne veux pas créer une polémique entre scientifiques qui serait récupérée par les chasseurs…
Ce concept de MVP (minimum viable population) est du même genre que celui de capacité de charge, que j’ai largement commenté. Ce chiffre de 2500 individus (sexuellement matures) ne vaut que ce qu’il vaut. Comme le précise l’article, il s’agit essentiellement d’un exercice de probabilités. ( Voir Wikipedia : Viabilité des petites populations )
– « « Sa survie contre tous les coups du sort est due à la fois à la chance et à la détermination d’un petit groupe d’amis de la nature en Chine et à l’étranger » […]
L’histoire de la survie du cerf du Père David est moins connue que celle du panda géant, l’animal symbole de la faune en danger, qui compte désormais plus de 1.800 individus et a été retiré de la liste des espèces menacées. »
( En Chine, le cerf miraculé qui cache la faune en danger – sciencesetavenir.fr )
Concernant les populations de loups, force est de constater qu’elles se portent bien.
Au début du XXe siècle l’espèce avait presque disparu des États-Unis, et du Canada. Le déclin du loup gris dans les prairies a commencé avec l’extermination du bison américain. Les populations de loups ont de nouveau augmenté vers le milieu des années 1970 (Wikipedia). En France et en Europe on peut même parler d’explosion. Et d’exponentielle. Et ce malgré ces tirs qui font bondir les zécolos. Là encore les spécialistes ont calculé… ce MVP (minimum viable population). Force est de constater qu’ils se sont légèrement plantés.
Je l’ai déjà dit, personnellement les loups ne me dérangent pas, il peut même y en avoir beaucoup plus. Ben oui je ne suis pas berger. Et puis quand je vais ramasser des champignons, même pas peur du loup ! Attendons que le loup reprenne ses quartiers dans les bois autour des grandes villes, et ON en reparle.
– « En réalité, c’est moins le nombre d’humains qui compte que leur mode de vie […] Ce n’est donc pas du point de vue purement mathématique (nombre d’habitants) qu’il faut considérer la capacité de la Terre à nous héberger, mais bien en prenant en compte notre mode de vie […] La population diminuera, quel que soit le scénario envisagé [etc.] » ( Combien d’humains la Terre peut-elle supporter ? trustmyscience.com )
– « La question du nombre de personnes que la Terre peut supporter continuera de fasciner. Mais la problématique la plus importante, pour paraphraser le démographe américain Joel Cohen, est de se demander : « comment les humains veulent-ils vivre sur la planète Terre ? » » (Quel est le nombre idéal d’humains sur Terre ? obsant.eu )
Fasciner, obséder, agacer etc. En attendant, ON n’a pas fini d’en parler.
Concernant les populations humaines, de récentes découvertes mettent à mal certaines théories. Comme celles sur l’effondrement de la société de l’Île de Pâques.
ON a longtemps raconté qu’à cause de leur démesure, et donc de leur surnombre… les Pascuans (Rapanui) auraient coupé jusqu’au dernier arbre, se seraient livrés au cannibalisme pour survivre, etc. etc. (Jared Diamond). Les responsables ce seraient donc eux.
Aujourd’hui ce qu’on sait… c’est qu’on ne sait pas du tout combien ils étaient à leur apogée. Par contre on sait qu’en 1870 il ne restait plus qu’une centaine de Rapanui. Qui furent ensuite parqués comme des moutons, à Hanga Roa, sur leur île, et que ce n’est qu’à la fin du XXe siècle que les barbelés furent enlevés, et que les Rapanui devinrent des citoyens chiliens de plein droit, libres de circuler dans leur île. Aujourd’hui ils sont près de 6000, et leur culture n’a pas disparue. Tant mieux !
Le « Groupe national loup » n’est qu’une instance consultative. Mais son nouveau « plan loup », cinquième édition (2024-2029), a clairement affiché le 18 septembre sa volonté d’opérer le « sauvetage » du pastoralisme et de l’élevage, « menacés par une prédation de plus en plus importante »… Marc Fesneau, un ministre de l’agriculture fou de joie : « Nous sommes face à une population lupine exponentielle dans sa croissance… Faut éradiquer, boum boum ! » Dans la foulée, six associations de protection de la nature ont annoncé leur départ conjoint et « définitif » de cette mascarade.
Si le nouveau plan loup indigne les zécolos, il ne plait pas plus aux éleveurs.
Pour quelle raison le « sauvetage » (guillemets ?) du pastoralisme et de l’élevage serait-il moins important que celui des loups ?
– « Faut éradiquer, boum boum ! » ( ?? )
L’a t-il dit réellement … ou est-ce qu’ON a bien voulu entendre ?
Des sources SVP ! Merci.
– « Au risque de ne pas être populaire, vous ne me trouverez jamais dans le camp de ceux qui disent qu’il faut éradiquer le loup. [etc. etc.] » ( Marc Fesneau à Nicolas Thierry (Écolo-NUPES) à l’Assemblée nationale le 7 mars 2023 )
– « Nous sommes face à une population lupine exponentielle dans sa croissance…
On doit pouvoir se féliciter d’avoir sauvé l’espèce en termes de biodiversité, après tout.
Mais il y a un moment où le seuil est tellement haut que ça n’est plus compatible avec les activités d’élevage [etc.]» (Le même lors d’une récente visite dans un salon de l’élevage)