Caractère totalitaire de la propagande des marchands

Je vais multiplier dans les années 1970 les notules à consonance écolo : « En 1896, on croyait que les gens des villes allaient mourir puisqu’on avait remplacé le crottin par le gaz carbonique… L’érosion du sol coûte chaque année 200 000 hectares à la Colombie… » Mais je n’ai toujours pas intégré l’importance de l’enjeu écologique. Je crois encore que le travail est une lutte de l’homme contre la nature, de la société tout entière à la conquête de l’univers. Je vois des fusées qui partent très loin pour bâtir un monde nouveau, plus beau, à la sexualité libre et à la morale pure. C’est même le thème le plus fréquent de mes rêves éveillés. Cependant, le 19 mai 1970, j’ai la révélation, j’écris : « Mon dieu à moi, c’est la nature. Par elle je retrouve les hommes et en respectant la nature, je respecte les hommes. Nos ancêtres divinisaient la nature, le judéo-christianisme a fait de dieu une abstraction, un dieu invisible alors que toute la nature nous chante dieu, mon orteil qui remue et le frisson d’une feuille. Pourquoi s’inventer un monde magique, explique l’évidence du monde par l’inexplicable ? L’homme, élu de dieu ? Pouah ! Je suis, et ça me suffit. Je ne vis pas par intermédiaire divin. » En fait ma critique de la religion, qui a été la première affirmation de ma pensée, se transcende en assimilant le sacré et la nature. Je rejoins Spinoza sans le savoir encore. Pourtant c’est clair. L’idée de dieu n’est d’aucun secours, on arrive même à se foutre sur la gueule au nom du même dieu nommé différemment. La nature au contraire est la même pour tout le monde, un milieu où normalement il ferait bon vivre (…)

Si je pense tagger des affiches publicitaires, c’est d’abord par réaction. Je n’ai pas encore conscience du caractère totalitaire de la propagande des marchands. Mais j’ai des idées. Sur une affiche suggestive, inscrire « l’érotisme ne passera pas ». Sur une pub contre les publiphobes rajouter « J’en suis un, et vous ? ». Mon problème est encore le passage à l’acte. Il n’y a pas de casseurs de pub à l’époque, pas de mouvement constitué. Le 8 juin 1970 j’écrivais ce qui me semble toujours d’actualité : « Qu’est-ce que la violence quand les affiches publicitaires agressent l’homme qui pense. La publicité, c’est un conditionnement absurde à acheter l’inutile, l’appel au sexe subi, à l’orgueil, à la puissance et à l’envie. C’est nuisible. » En mars 1971, j’étudie La persuasion clandestine de Vance Packard : « Il est impossible d’établir comme postulat que les gens savent ce qu’ils veulent. Il est même dangereux de croire les gens capables d’une conduite rationnelle… Par homme, femme ou enfant d’Amérique, 53 dollars furent dépensés en 1955 pour le ou la persuader d’acheter… Certaines sociétés de produits de beauté se mirent à dépenser en publicité ¼ de ce que rapportaient leurs ventes… La publicité vient de créer le vieillissement psychologique des choses, grâce entre autre au phénomène de mode. Plus est grande la similitude des produits, moins le rôle joué par la raison dans le choix de la marque est important… » Ernest Dichter constate qu’il ne faut plus vendre des souliers aux femmes, mais de jolis pieds. La politique spectacle commence à apparaître. Richard Nixon envisage son métier de la même manière qu’un agent de publicité. Le candidat devient un produit qui se vend au public. (à suivre)

NB : pour lire la version complète de cette autobiographie, ICI