Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », est éditée chaque jour par épisode tout au cours des mois de juillet et août sur ce blog biosphere.

Euthanasie et suicide assisté

La démocratie est toujours confrontée à des principes contradictoires, liberté individuelle et contrainte collective, liberté et responsabilité. La délibération démocratique tranche… jusqu’à la prochaine délibération. Aux Etats-Unis se développe aujourd’hui la notion de responsabilité génétique : on voit surgir des procès pour « naissance inacceptable » intentés à leur médecin par des parents d’enfants handicapés. Bientôt pourront se dérouler des procès pour « vie inacceptable » intentés par les enfants contre leurs parents ou contre la société. C’est à qui de décider ?

En 1978, j’attendais un enfant. La mère travaillait dans un institut médico-pédagogique, entourée de mongoliens et autres anomalies. Elle était terrorisée par la possibilité de mettre un enfant anormal au monde. J’ai alors pensé sincèrement que si mon enfant à naître ne pouvait être autonome, je l’aurais avec amour doucement étouffé sous un oreiller. Je n’ai pas eu à le faire… La mort devient parfois une valeur préférable à la vie car certaines existences ne méritent pas d’être vécues ; pour moi, l’enfant n’est rien en soi si les conditions de son épanouissement ne sont pas assurées par sa famille et par ses propres capacités d’autonomie à venir.

Après la réflexion sur la vie digne ou non d’être donnée, la vie digne ou non d’être enlevée. C’est l’euthanasie, la mort douce (du grec « eu », bien et « thanatos », la mort). Un acte simple quand il s’agit de faire piquer son chat ou son chien, un acte illégal envers les humains dans la plupart des pays. Un débat de plus en plus vif s’est engagé entre ceux qui font de la vie un droit sacré et ceux qui font de la mort dans la dignité un droit de chacun, entre ceux qui ceux qui jugent que l’on ne peut disposer de la vie d’autrui et ceux qui veulent abréger l’agonie d’un malade dont on sait la mort certaine. Dans l’encyclique Evangélium Vitae (l’Evangile de la vie) de 1995, il est écrit que l’euthanasie est une grave violation de la loi de Dieu en tant que meurtre délibéré d’une personne humaine, ce serait moralement inacceptable. Mais nous savons maintenant que dieu est aveugle, sourd et muet, c’est simplement Jean Paul II qui nous transmet son propre message.

Pour le pape, le problème est résolu d’avance par une référence théologique, dans notre système démocratique il n’existe rien de tel, la règle ne peut naître que du libre débat : couple, comportements sexuels, définition de la mort, toute décision est menée dans le cadre rationnel de la réflexion collective sans aucune crainte irrationnelle de la transgression. Quand l’euthanasie a été légalisée aux Pays-Bas, il est significatif que les réactions hostiles provenaient à la fois de l’Osservatore Romano et de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. Le problème de l’euthanasie est d’autant plus urgent à résoudre que les techniques de soins palliatifs multiplient les cas d’acharnement thérapeutique. Cette pratique a pour objectif de soulager les douleurs physiques de la personne, qu’elle soit atteinte d’une grave maladie évolutive ou en phase terminale. On contrôle la douleur en essayant de préserver la capacité de relation du malade avec l’entourage, on ne soigne plus tout simplement parce qu’il n’y a plus de solution thérapeutique, on se contente d’attendre la mort « naturelle », mais où est la nature quand la vie est reliée à des tuyaux ?

Dans La perte des sens Illich dénonçait la médicalisation de la fin de vie : « En 1974, quand j’écrivais Némésis médicale, je pouvais parler de « médicalisation » de la mort. Les traditions occidentales régissant le fait de vivre sa propre mort avaient cédé à l’attente de soins terminaux garantis. Je forgeai alors le mot « amortalité » pour désigner le résultat de la liturgie médicale entourant le « stade terminal ». Le dernier cri en matière de soins terminaux a motivé la mobilisation de l’épargne de toute une vie pour financer l’échec garanti… De même que l’habitude d’aller « en voiture » atrophie les pieds, la médicalisation de la mort a atrophié le sens intransitif de vivre ou de mourir… L’âge industriel réduit l’autonomie somatique, la confiance dans ce que je sens et perçois de mon état. Les gens souffrent maintenant d’une incapacité à mourir. Peu sont capable d’envisager leur propre mort dans l’espoir qu’elle apporte la dernière touche à une vie active, vécue de manière intransitive. » (recueil de textes d’Ivan ILLICH) – Fayard, 2004)

Lorsque certains soins curatifs ne sont plus adaptés, il faut savoir s’abstenir et reconnaître que la mort est en train de venir. En matière de choix, nous sommes tous des porteurs de dignité, que ce soit refus d’une transfusion sanguine ou de toute autre pratique thérapeutique jugée inutile par nous. La sagesse, c’est de ne pas mettre en suspens le vieillissement de nos artères, d’accepter notre destin et la nécessité de notre mort. En France, l’Association pour le droit de mourir dans la dignité milite pour le libre choix de terminer sa vie. Les trois objectifs de l’association sont le droit à la lutte contre la douleur (soins palliatifs), le droit au refus de l’acharnement thérapeutique (l’euthanasie passive) et le droit à l’euthanasie volontaire. Les deux premiers points commencent déjà à passer dans les mœurs, par exemple avec la loi Leonetti en France.

Reste le troisième point, le suicide assisté. Cette pratique pourrait concerner trois catégories de personnes, les grands malades, les grands vieillards et les grands infirmes. L’aide à mourir est inscrite depuis 1994 dans la loi des Pays-Bas sous réserve de force majeure pour le médecin. En l’an 2000, ce pays va plus loin encore puisque le médecin ne risque plus de recours direct en justice. Comme en 1994 le praticien doit respecter les critères de minutie : demande du patient de façon volontaire et répétée d’une aide pour mourir ; maladie incurable et insupportable ; information du patient et conclusion commune qu’il n’y a aucune autre décision acceptable ; avis d’un confrère indépendant ; avis d’une commission paritaire qui sert de tampon entre le praticien et la justice. La loi reconnaît la validité d’une déclaration écrite d’euthanasie qui rend possible l’euthanasie si l’individu devient incapable de s’exprimer (coma, sénilité…). L’euthanasie est applicable aux enfants de 12 à 15 ans avec l’accord des deux parents, les mineurs de 16 et 17 ans peuvent décider par eux-mêmes.

PS : Le texte qui précède a été écrit en 2012. Depuis la France met régulièrement en chantier des projets de loi sur la fin de vie, mais en 2023 rien de définitif n’a encore été établi. (la suite, demain)

Si tu ne veux pas attendre demain, à toi de choisir ton chapitre :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

00. Fragments préalables

01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas

03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !

04. Premiers contacts avec l’écologie

05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père

6 réflexions sur “Fragments de vie, fragment de Terre (suite)”

  1. Pour ceux qui ont envie de réfléchir, et pas peur de se faire violence… dans le but de se défaire de leurs idées reçues, et donc d’avancer… ne serait-ce qu’un peu :

    – Suis-je propriétaire de mon corps ? ( radiofrance.fr- 4 avril 2019 )
    – Mon corps ne m’appartient pas ( le-verbe.com/opinion )
    – GPA, don d’organes, suicide… Est-ce que mon corps m’appartient ? ( genethique.org )

  2. Concernant l’avortement, les féministes disent « Mon corps m’appartient », pourtant le corps à l’intérieur de son ventre ne lui appartient pas, puisqu’il appartient au nouvel être en question ! Ceci étant dit, concernant l’Euthanasie tout le monde peut dire « Mon corps m’appartient » car on ne porte préjudice à personne ! Autrui n’a pas à s’immiscer à la volonté de mourir d’un individu, ça ne le regarde strictement pas ! En plus, beaucoup sont hypocrites car ils s’opposent à l’euthanasie parce qu’ils sont bien portants en terme de santé, mais s’ils commençaient à agoniser sur un lit d’hôpital, ils seront tout autant nombreux à changer d’avis sur le sujet !

    1. – « Mon corps m’appartient »
      En effet c’est ce qu’ON dit. Et à force de répétitions etc. ON a fini par le croire.
      Et donc ON en fait ce qu’ON veut, de son corps. Parce qu’ON le veau bien !
      ON le sculpte, ON le décore, ON le tatoue, de la tête aux pieds, ON le pierce, des oreilles au clito, ou du zob., et là ON l’exhibe : « Voyez comme je suis beau ! »
      Mais non bougre d’andouille, ton corps est peut-être beau mais ce n’est pas pour autant que ça fait de Toi quelque chose de beau ! Tu piges, non ? Pas grave, c’est normal.
      Qu’ON le bichonne ou qu’ON le néglige, voire qu’ON le maltraite, « C’est mon choix » qu’ON dira ! Hi han hi han !

      Mon corps m’appartient-il ?
      ( laphilo.com/ressources/Plan-Mon-Corps-m-appartient-il.pdf )

      1. Et de « C’est mon choix » à « C’est mon droit » il n’y a qu’un pas.
        Et là encore ON dira que c’est parce que je (ON) le veau bien.
        Bref ON n’en sort pas. ON tourne en rond et ON s’enfonce. Toujours plus.
        Mais en 2023 rien de définitif n’a encore été établi. 🙂

      2. Mon corps m’appartient n’est pas une croyance c’est un fait ! Je sais bien que les socialo communistes veulent s’approprier les décisions des autres en collectivisant la propriété des corps ( sauf le leur). Donc oui si je veux euthanasier mon corps, je devrais pouvoir le faire ! Les autres n’ont aucune légitimité pour décider à ma place ! Ce sont plutôt ceux qui veulent interdire l’euthanasie ce sont eux qui ont des croyances ! Soit disant un bon dieu assis sur un nuage aurait interdit le suicide et l’euthanasie ! Que les croyants appliquent leurs croyances à eux mêmes, mais ils n’ont pas à imposer leurs croyances aux autres !

      3. Qu’est-ce que j’en ai à foutre d’être beau à l’intérieur comme à l’extérieur ? Après tout je n’ai pas pour vocation de te plaire ! Alors oui mon corps m’appartient et j’en ai rien à foutre te tes opinions et de tes croyances concernant mon corps car je ne t’accorde aucun crédit ! Tu n’as aucune légitimité pour m’interdire l’euthanasie ! On ne peut pas devenir actionnaire de mon corps il m’appartient à 100% et toi ainsi que les 8 autres milliards d’individus n’en détenaient que 0% ! Mon corps n’est pas un bien collectif ! Je resterai l’unique souverain de mon corps ! Les autres ne sont que des agents extérieurs de mon corps alors ils n’ont rien à dire le concernant !

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