Avec « eau et gaz à tous les étages » et des WC individuels (on en comptait à l’époque un pour 70 logements), La Ruche offrait un confort inédit pour la classe ouvrière. Le comble du luxe. Construite entre 1893 et 1896 dans La-Plaine-Saint-Denis, La Ruche est le premier ensemble d’habitations à bon marché (HBM) à être encadré par la loi Siegfried de 1894 qui a initié le financement public du logement social en France, l’ancêtre des HLM. Aujourd’hui, c’est la planète entière qui désire l’eau courante avec chasse d’eau incorporée dans chaque WC. Il en est de même pour le gaz, source d’énergie fossile, source d’énergie facile. Quand le président américain Donald Trump fait des civilités à son meilleur ennemi, son homologue chinois Xi Jinping, ils se racontent des histoires de gaz. Ils ont signé jeudi 9 novembre 2017 un accord d’investissement chinois pour l’exploitation d’un gisement en Alaska. Le pétrolier français Total est lui aussi enivré par les vapeurs du gaz. Les autres majors suivent le mouvement.
Le journal LE MONDE* liste les raisons de cette frénésie. La première est géopolitique. Depuis le développement spectaculaire des gaz de schiste aux Etats-Unis, et la décision récente du pays de l’exporter, les sources d’approvisionnement sont plus diversifiées que pour le pétrole et le prix du gaz s’est effondré, le rendant plus compétitif pour des usages comme la production d’électricité. De ce fait, et c’est la deuxième raison, il devient un substitut raisonnable au charbon. Or ce dernier est deux fois plus polluant, autant en matière d’émission de CO2 que de particules et oxydes d’azote ou de soufre. Enfin il apparaît de plus en plus comme le candidat tout désigné de la transition énergétique vers les énergies renouvelables. Plus présentable que le charbon, plus politiquement correct que le nucléaire. Le gaz constitue un relais de croissance puissant face au déclin annoncé du pétrole, qui sera accentué par le basculement progressif des transports vers l’électrique… ou le gaz (pour les camions, bus et bateaux).
Comme d’habitude nos agissements individuels et collectifs veulent ignorer les contraintes biophysiques du long terme. Le gaz naturel est une ressource non renouvelable qui devrait atteindre son pic de production entre 2030 et 2040. Ce qui veut dire qu’il est impossible de conserver au cours des années 2050 le gaz à tous les étages et le confort qui va avec. Dans un contexte prévisible de pénurie énergétique et de contrainte climatique, les habitants des HLM ne pourront plus se chauffer et il n’est même pas certain qu’un réseau électrique défaillant permettra encore l’eau courante pour tous. Le seul moyen d’éviter une explosion des inégalités et de la précarité, ce serait d’instituer un système de rationnement de l’énergie, un quota carbone égal pour tous et échangeable. Entre le règne du chacun pour soi ou le choix collectif de la sobriété partagée, nous ne pouvons pas savoir à l’avance ce qui l’emportera. Mais si on en croit l’expérience de notre passé historique, il y aura la violence des riches et le fatalisme des pauvres…
* LE MONDE éco&entreprises du 10 novembre 2017, Gaz à tous les étages
la fin d’une des sources d’énergies fossiles (sans doute le pétrole en premier) entrainera de fait, – les produits étant partiellement substituables – une hausse de la demande sur les deux autres et rapprochera d’autant le moment de leur pic de production. Le même phénomène se reproduira pour la fin du second (sans doute le gaz) ainsi bientôt, le charbon subira l’essentiel de la pression et ses réserves s’épuiseront alors d’autant plus vite. Je ne sais pas si nous nous préoccuperons du climat dans ces circonstances.