Notre époque formidablement friquée pour des trucs inutiles connaît une obstination déraisonnable aux deux extrémités de notre ligne de vie : notre venue au monde et notre trépas. Dans le cas de Vincent Lambert, en vie artificielle depuis vingt mois, le Conseil d’Etat a finalement jugé légale la décision de l’équipe médicale du CHU de Reims de mettre fin à son alimentation et son hydratation artificielles. Dans un monde sans repères comme le nôtre, les parents de Vincent vont encore faire appel de cette décision du Conseil d’Etat devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Les militants pro-life ne savent vraiment pas ce que vivre veut dire. Dans l’état de nature, nous n’aurions jamais entendu parler de cet acharnement thérapeutique indigne. Nous aimerions que les parents de Vincent gardent leur grabataire de fils à la maison et s’en occupent par leurs propres moyens puisque telle est la logique profonde de leurs actes. Trop facile de garder leur fils « en vie » contre l’ordre naturel de la mort aux frais de la collectivité !
Autre type d’obstination déraisonnable, le désir d’enfant qui passe par la gestation pour autrui (GPA). Dans LE MONDE, on cite le cas de Pascale et Pierre*. Pascale ne peut avoir d’enfant pour cause de lésions de son appareil reproducteur. Agée de 39 ans, elle tente sans succès la fécondation in vitro. Alors c’est l’appel à une mère porteuse, pratique interdite en France… mais démarche facilitée en Californie, il suffit de débourser 100 000 euros. Si Pascale avait accepté la loi de la nature (sa stérilité), elle aurait pu quand même s’occuper des enfants des autres. Reconnaissons cependant dans ce cas que ce n’est pas la collectivité qui finance. Mais la France vient d’être condamnée par la Cour européenne (CEDH) pour le motif suivant : ne pas respecter les intérêts supérieurs de l’enfant en ne lui donnant pas une identité**.
Pourquoi toujours ces obsessions anti-nature de laisser vivre le plus longtemps possible ou d’avoir un enfant à soi ? Parce que notre système libéral veut nous faire croire que tout est possible, il suffit de vouloir, même contre la loi ou des décisions judiciaires, même contre le fait de vivre et mourir naturellement. Or il n’y a d’activités humaines complexes qu’au prix d’une ponction supplémentaire dans les ressources naturelles limitées de la planète. Ce qui est utilisé pour les uns l’est donc obligatoirement au détriment des autres. Que faut-il financer, les pauvres ou les riches ? Le planning familial ou l’appareillage sophistiqué et coûteux qui sert à maintenir artificiellement la vie ? La gestation marchande pour autrui ou le fait de financer une planète viable ?
* LE MONDE du 27 juin, « Le désir d’enfant est plus fort que la loi »
** LE MONDE du 27 juin, Gestation pour autrui : la France condamnée
Sur quoi repose la décision de la Cour européenne des droits de l’homme ? Elle prétend s’appuyer sur le « droit à l’identité » et elle se prononce au nom de « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Tout cela n’a ni fondement clair ni cohérence. Car les enfants nés dans ces conditions ne sont aucunement privés d’identité : ils ont un état civil et des passeports délivrés par le pays où ils sont nés (et pourront acquérir plus tard la nationalité française). Ils sont héritiers des parents indiqués par cet état civil (et dont l’autorité parentale n’est contestée par personne). Ils peuvent donc mener une vie familiale normale.
Sylviane Agacinski (LE MONDE du 29 juin 2016)
D’aucuns pensent qu’une longue réflexion et de nombreux échanges de vue permettront peu à peu de faire émerger des consensus qui, sur ces questions délicates, paraitront « raisonnables » au plus grand nombre. Je ne le crois pas, je pense plutôt que c’est un effondrement écologique et par là économique qui rendra inaccessible à l’espèce humaine à la fois les acharnements thérapeutiques extrêmes et les méthodes de conception faisant dangereusement fi de toute les lois de la nature.