John MUIR, précurseur d’une éthique laïque de la Terre

L’écrivain américain John Muir (1838-1914) mérite d’être mieux connu. Son père, un psychopathe religieux, força son fils à apprendre par cœur l’intégralité du Nouveau Testament et la plus grande partie de l’Ancien. On peut être assuré que John connaissait ses Ecritures et était bien familiarisé avec la vision biblique du monde. Il est donc sorti de la tradition chrétienne en toute connaissance de cause. D’autre part il avait vécu les derniers moments de la conquête du territoire américain par les Blancs et la régression brutale des milieux naturels et de la vie sauvage. Il n’a pas supporté cette perte. Il s’indignait de ce que les forêts ne soient considérées que comme réservoirs de ressources. Il prisait dans la nature l’élévation morale et religieuse qu’elle provoquait : « La route la plus claire dans l’univers passe au plus profond d’une forêt sauvage. » Il est donc devenu le Père fondateur du mouvement pour la protection de la nature aux USA en créant l’association « Sierra Club » en 1892. Il a adhéré au transcendentalisme d’Emerson et Thoreau et accordait à la nature une valeur intrinsèque, préfigurant ainsi le biocentrisme  de l’écologie profonde. L’influence de John Muir a permis concrètement la création des Parcs Nationaux aux USA. Cinquante ans après sa mort, son action a été couronnée par la promulgation du Wilderness Act de 1964 : « Par opposition aux espaces dominés par l’homme et ses œuvres, le présent document la désigne comme un espace où la terre et la communauté de vie ne sont pas entravées par l’homme, où l’homme lui-même n’est qu’un visiteur qui ne reste pas. »

John Muir a fait une interprétation nouvelle de la place des humains dans la nature : « C’est de la poussière de la terre que Dieu a tiré Homo sapiens. Et c’est du même matériau qu’il a tiré les autres créatures, même les plus nuisibles et les plus insignifiantes pour nous. Toutes sont consœurs par leur origine terrestre et nos compagnes de mortalité… Il ne fait pas de doute que ces créatures sont heureuses et qu’elles tiennent la place que leur a assignée notre grand Créateur à tous… Que nous sommes étriqués – nous autres prétentieuses et égoïstes créatures – dans nos sympathies ! Et que nous sommes aveugles envers les droits de tout le reste de la Création ! Pourquoi l’homme se considérerait-il autrement que comme une petite partie du grand Tout de la création ? Et de toutes les créatures que le Seigneur a pris la peine de créer, laquelle n’est pas essentielle à la complétude de ce Tout ? Sans l’homme, l’univers serait incomplet ; mais il le serait également sans la plus petite créature transmicroscopique vivant hors de la portée de nos yeux et de notre savoir présomptueux. »* Quand la partie se sépare du Tout et le décompose dans les catégories du bien et du mal en fonction de son intérêt personnel, elle perturbe, par cet acte même, la vie harmonieuse du Tout.

Dans le prolongement des idées de John Muir, c’est Aldo Leopold qui exprima explicitement une Ethique de la terre non religieuse. Il proposait d’échanger le rôle de conquérant vis-à-vis de la communauté biotique non contre le rôle de gestionnaire de la nature mais contre celui de « membre et  citoyen à part entière ». Dans sa préface de son livre Almanach d’un comté des sables,  publié de façon posthume en 1949, Leopold affirme que « l’écologie n’arrive à rien parce qu’elle est incompatible avec notre idée abrahamique de la terre… Nous abusons de la terre parce que nous la considérons comme une marchandise qui nous appartient. »* Dans la bible, Abraham savait à quoi devait servir la terre : à verser le lait et le miel dans la bouche d’Abraham !

* Citations tirée du livre de John Baird Callicott Genèse (la Bible et l’écologie)