José Bové, désobéissance civile ou civique ?

L’événement du mois : Décrocher un portrait de Macron est jugé « légitime » le 16 septembre 2019 par un juge unique du tribunal de Lyon qui a invoqué « l’état de nécessité » et l’obligation d’agir contre l’inaction du gouvernement en matière climatique : « Le mode d’expression des citoyens en pays démocratiques ne peut se réduire aux suffrages exprimés lors des échéances électorales mais doit inventer d’autres formes de participation dans le cadre d’un devoir de vigilance critique… »  Ce type d’action relève-t-il de la désobéissance civile ou civique ? José Bové et Gilles Luneau donnent leur avis :

« La dimension civique de la désobéissance est claire pour Hannah Arendt : « Ceux qui désobéissent constituent des minorités organisées, unies par la volonté de s’opposer à la politique gouvernementale plutôt que par une communauté d’intérêts. » Pourtant la plupart des versions française de la « civil disobedience » ont donné, par un curieux emprunt phonétique, « désobéissance civile », ce qui focalise, à tort, sur la démarche personnelle. Si on jette un coup d’œil sur l’origine du mot « civil », on s’aperçoit qu’il provient du latin civilis, qui veut dire citoyen. Parler de désobéissance civique renvoie au citoyen qui s’oppose au nom de principes communs à plusieurs personnes. Laissons la désobéissance civile à l’individu qui s’oppose au nom de sa conscience personnelle, tel un témoin de Jéhovah face à l’armée ou à la transfusion sanguine. Intéressons-nous au citoyen qui s’oppose au pouvoir. L’usage du mot « civique » prévient les éventuelles manipulations médiatiques, car quelles que soient les commentaires accompagnant l’acte de désobéissance civique revendiqué comme tel, le mot « civique » implique l’attention portée à l’intérêt commun comme un affichage indélébile. »*

Tout acte qui s’oppose à la loi n’est pas de la désobéissance civique. Six critères permettent de s’y retrouver. La désobéissance civique, c’est… un acte personnel et responsable… un acte désintéressé… un acte de résistance collective… un acte non-violent… un acte transparent… un acte ultime. On désobéit après avoir épuisé tous les moyens de dialogue humains et institutionnels. La désobéissance civique est aussi un acte qui exige une grande maîtrise de soi. Car ce n’est pas un comportement habituel de désobéir. Par nature, les personnes qui pratiquent la désobéissance s’inscrivent dans le champ politique, dans une logique de transformation de la société. Contre la légalité de la loi, on revendique la légitimité d’un changement de la loi. En fait la désobéissance civique porte devant l’Histoire la qualité respiratoire de la démocratie. Et rappelons pour conclure que le décrochage de portrait n’est pas grand-chose comparé au démontage d’un Mc Do ou à l’action des faucheurs volontaires dont Bové c’était fait le héros.

* José Bové et Gilles Luneau, Pour la désobéissance civique (La Découverte, 2004)

3 réflexions sur “José Bové, désobéissance civile ou civique ?”

  1. Mais si nous acceptons cela, alors on doit aussi se poser la question suivante :
    Si demain un écologiste devient Président de la République et que des « anti – écolos  » décrochent son portrait dans les mairies, auront nous alors la même tolérance ? Prétendrons-nous que c’est « un état de nécessité » ou que ce sont de vulgaires « voyous- fachos » qui refusent la démocratie et l’acceptation du résultat du suffrage universel ?

    Attention à ne pas tomber dans ce piège. On le voit déjà avec le débat sur la proportionnelle, pour les élections législatives. Les partis qui pensent qu’elle leur serait favorable sont pour, ceux qui pensent qu’elle leur serait défavorable sont contre, alors que la vrai ligne de débat, devrait être « Est ce bon ou pas pour la gouvernance du pays ? »

    On ne peut pas à la fois vouloir des règles et les violer ou en accepter le viol en fonction de la sympathie que nous avons ou pas pour les idées de ceux qui les transgressent. Nous quitterions alors l’état de droit pour l’état de préférence et de copinage.

    1. Bonjour Didier Barthès.
      Déjà, rien n’oblige le maire d’afficher le portait du président dans sa mairie. Décrocher gentiment le portrait du président n’est évidemment pas un crime ni un délit, et ça reste pour moi un acte bon enfant. Personnellement je trouve ça marrant, surtout avec tout le barnum que cela provoque.

      La justice, disons plutôt l’idée que nous nous faisons de la justice, nous renvoie à celles que nous nous faisons de la vérité et du mensonge, ainsi que celles du bien et du mal. L’idée de désobéir aux lois, notamment lorsque celles-ci sont injustes, remonte très loin. Bien plus loin que le concept de désobéissance civile ou civique. Par exemple Platon, qui voyait dans la désobéissance «le vigoureux commencement de la tyrannie ». Ce qui rejoint, me semble t-il, ce que vous dites là Didier. Par la suite de nombreux penseurs ont poussé la réflexion encore plus loin, pour savoir s’il fallait toujours obéir ou pas. En tous cas, notre histoire regorge d’exemples où heureusement des gens ont désobéi aux lois.

  2. Un peu de patience et dans quelques temps … le fauchage des champs d’OGM, le « démontage » des Mc Do, des panneaux publicitaires, des circuits de F1, des salons de l’Auto, des temples de la Conso, des agences de voyages, des aéroports et j’en passe… seront reconnus comme des actes « légitimes » voire « d’utilité publique ».
    Les petits pas ça fait rêver. Ou pas.

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