Le texte suivant est une critique du travail journalistique, mais on pourrait en dire autant du discours politique. Ainsi la nouvelle ministre de l’écologie, Ségolène Royal, dont les premiers mots ont été en faveur de la « croissance verte », devrait se sentir concernée au premier chef par cette analyse de Médiacritique(s) que nous avons résumée :
« L’immense majorité des journalistes amenés à traiter d’environnement adhère à la doxa du « capitalisme vert ». Sous l’emprise de puissantes logiques commerciales, les journalistes s’engouffrent dans la célébration du « green business ». Dans le droit fil du succès de l’expression « développement durable » consacrée il y a vingt ans lors du sommet de Rio, c’est depuis quelques années autour du label « croissance verte » de faire florès auprès des professionnels de l’information.
Mais si la grande majorité des journalistes n’estime pas utile de questionner la compatibilité des rationalités marchandes avec l’écologie, c’est aussi parce qu’il va de soi pour eux que le capitalisme ne peut pas être remis en cause au nom de l’environnement. Profondément enfouis dans leur for intérieur, les principes de rentabilité, concurrence, compétitivité, responsabilité individuelle… leur apparaissent comme légitimes et incontournables. Les rares reportages qui présentent les alternatives écologiques le font sur le registre de l’exotisme ou d’une simple utopie. Mais la disqualification implicitement contenue dans la façon dont ils dépeignent ces autres modes d’organisation sociale n’est pas intentionnelle. Elle est le fruit du lissage des écoles de journalisme et elle est façonnée à travers un ensemble de relations au sein duquel il est imprudent de contester un modèle qui permet au plus grand nombre d’accéder au confort ou à une espérance de vie plus longue. Si les journalistes relatent les petits désaccords entre experts, ils masquent l’ampleur de leur accord, tacite mais fondamental, sur l’intégration de la contrainte environnementale au logiciel néolibéral. A bien des égards, ne pas remettre en cause l’esprit du capitalisme, c’est le considérer pour acquis et donc prendre parti en sa faveur. Une telle posture vient signaler en creux les faux-semblants de l’objectivité dont se targuent la plupart des journalistes.
Reste qu’aller contre le sens du courant idéologique dominant, c’est – pour un journaliste – prendre le risque de se discréditer tant auprès des sources officielles qu’auprès de ses confrères. Sommés d’entretenir de bonnes relations avec les sources officielles, les journalistes se trouvent cantonnés à ce qui est dicible du point de vue des acteurs institutionnels. Ces logiques de censures invisibles sont particulièrement prégnantes en matière d’écologie dans la mesure où la préoccupation environnementale a été stigmatisée : c’est l’utopiste barbu qui erre sur les causses de Larzac. Pour devenir médiatique, la cause écologique a ainsi dû abandonner une de ses principales ambitions idéologiques, celle consistant à montrer pourquoi le capitalisme est une réalité insoutenable, une réalité à dépasser.
S’ils veulent être le « contre-pouvoir » qu’ils prétendent constituer, alors les journalistes doivent avoir le courage de questionner leurs convictions les plus profondes, celles qui les empêchent de voir que d’autres visions du monde existent en dehors de l’étroit moule capitaliste. N’est-ce pas à ce prix qu’ils pourront penser autrement les causes des problèmes en général et de la destruction de la nature en particulier ? »
Source : Médiacritique(s), le magazine trimestriel d’Acrimed
(dossier médias et écologie) janvier-mars 2014
Cette déclaration, qui d’ailleurs aurait pu être faite par beaucoup d’autres leaders politiques, marque hélas une incompréhension complète de ce qu’est l’écologie. Notons que n’y est pas prononcé une fois le mot nature, pas une fois le mot animaux, pas une fois le mot forêt. Pas non plus bien sûr la moindre allusion au péril démographique. C’est une ode à la croissance et à la fuite en avant technologique.
Cela revient à faire le pari que l’Homme va se substituer à la nature pour être le garant des équilibres futurs, c’est donner toute puissance à l’Homme, c’est à dire mettre au cœur de la démarche justement ce qui nous a conduit au bord de la catastrophe.
Que Madame Royal lise les livres de James Lovelock ou d’André Lebeau, qu’elle lise « Moins Nombreux, Plus Heureux« . Elle verra que tout à l’inverse, une démarche écologique consiste à faire preuve d’humilité et à tourner le dos à ces chimères, à envisager la décroissance avant que la confrontation brutale aux limites du monde ne nous l’impose sans ménagement.
Message de prise de fonction de Mme Ségolène Royal le 2 avril 2014 :
« … Le développement durable, c’est d’abord le progrès économique avec la croissance verte, les biotechnologies, les véhicules électriques… C’est aussi du pouvoir d’achat avec les économies d’énergie, le transport propre, les logements à énergie passive : la social-écologie… Le troisième pilier est le progrès écologique c’est à dire le progrès des relations entre l’homme et son milieu avec les trames vertes et bleues… Oui le défi écologique, le défi de la croissance verte, c’est un formidable levier pour l’emploi, pour le pouvoir d’achat et pour le bien être… »