Imaginez la CFDT qui écrivait des livres comme Les Dégâts du progrès (Seuil, 1977) ou Le Dossier électronucléaire (Seuil, 1980). Contemplez la CFDT aujourd’hui : ce syndicat des travailleurs embrasse à pleine bouche le Medef, syndicat des patrons. Le secret de leur union ? Ils fréquentent le même club, Le Siècle, où patrons, politiques et journalistes se font des papouilles – la patronne en est, depuis 2011, Nicole Notat, ex-secrétaire générale de la CFDT. Le langage CFDT-Medef est donc maintenant le même. Il faut « retrouver une croissance forte dans la durée, imaginer un nouveau paradigme de croissance, une Europe prospère et offensive du travail, encourager le dynamisme entrepreneurial, améliorer partout la compétitivité, promouvoir l’esprit d’entreprise dès l’école, les centrales nucléaires sans déchet ne relèvent plus du mythe, etc. » L’environnement, c’est simplement une « opportunité de croissance ».*
Rappelons que la collusion syndicat-patronat, c’est une connivence, une entente en vue de tromper ou de causer un préjudice (à la planète). Les partenaires sociaux deviennent désormais des complices soutenant l’économie libérale, sans s’interroger sur la pérennité du productivisme. Un récent communiqué de presse de FNE enfonce le clou : « Patronat et syndicats ont présenté mardi 28 mai un rapport intitulé « Réinventer la croissance ». Ce rapport dresse des recommandations dans 7 domaines dont l’économie verte, les mobilités et la transition énergétique qui sont à fort potentiel économique. Il entrouvre la porte aux gaz et huiles de schiste (GHDS) en suggérant d’en évaluer les réserves. Encore une fois, France Nature Environnement dénonce la vision de court-terme des défenseurs des GHDS qui, obnubilés par l’indépendance énergétique américaine (non pérenne), oublient d’une part les impacts environnementaux, sanitaires et climatiques de l’exploitation de ces énergies fossiles, et, d’autre part, oublient de dire que les gains pour l’emploi et l’économie sont des leurres. » Rappelons que dans les années 1970, un syndicat ouvrier exigeait violemment que le programme du supersonique Concorde soit poursuivi. Plus récemment le secrétaire fédéral FO Energie et Mines se déclarait « en désaccord le plus total avec une inscription dans la prochaine loi d’une division par deux (d’ici 2050) de la consommation d’énergie ». Faut-il imposer au particulier la rénovation thermique de son logement ? Oui, estime le Comité de liaison énergies renouvelables. Non, rétorquent les syndicats FO et CGT, en mettant en avant le pouvoir d’achat.
Croissance économique, gaz de schiste, supersonique, nucléaire, électroménager, automobile, pouvoir d’achat, les syndicats défendent l’emploi et les salaires sans se soucier de l’environnement et des générations futures. Ils sont coincés par le système thermo-industriel et ne veulent pas en sortir. L’automobile pour tous, c’est la promesse d’une libération… de l’enfer industriel… que la voiture contribue à créer : ouvriers très spécialisés et travail à la chaîne. J’ai horreur des embouteillages, mais j’ai besoin de ma bagnole pour me rendre à mon travail. J’ai horreur de mon boulot, mais il faut bien que je paye les traites de mon automobile. Le travail nécessite le transport, le transport nécessite le travail, les syndicats réclament le transport et le travail, avec l’aliénation qui va avec. Comment faire penser autrement les syndicalistes ?
* LE MONDE du 2-3 juin 2013, Un gai mariage (chronique écolo d’Hervé Kempf)
** communiqué de presse du 31 mai 2013, Patronat et syndicats aveuglés par la chimère des gaz de schiste