la fable de la mondialisation heureuse

Notre inénarrable secrétaire d’Etat chargé du commerce extérieur, Pierre Lellouche, n’a qu’un seul argument à la bouche, croissance, mondialisation, croissance. Voici une analyse succincte de ses thèses croissancistes* :

« Le rapport du CAE Crise et croissance : une stratégie pour la France apporte une contradiction remarquable aux chantres de la « démondialisation ». »

Þ Le CAE – repaire d’économistes ultra-libéraux – écrit exactement ce que Lellouche veut entendre : hors de la globalisation, point de salut. C’est un catéchisme, et tant pis pour la planète, et tant pis pour ses habitants. « Le bilan de la dernière décennie de mondialisation est un désastre pour ceux qui n’ont d’autres ressources que leur travail : délocalisation en série, destruction d’emplois et d’outils de travail, diminution des revenus du travail par la pression à la baisse. Si l’on voulait résumer les quinze années écoulées, il ne serait pas excessif de dire que la mondialisation a fabriqué des chômeurs au Nord et augmenté le nombre de quasi-esclaves au Sud. ** »

« La France n’a pas d’autre choix que de partir à la conquête de la croissance dans le monde réel. »

Þ C’est du fatalisme devant les forces du marché, l’abandon des prérogatives du politique qui devrait savoir réguler la compétition internationale. Et comment conquérir le marché contre des salaires huit fois moindres ? En fait le « réel » pour Lellouche se résume à l’existant actuel, il n’a aucune conscience que la hausse inéluctable du prix du pétrole (la « réalité » des ressources fossiles limitées) va faire basculer brutalement notre monde dans la crise économique, donc dans le protectionnisme sauvage.

« L’Europe devrait péniblement atteindre les 2 % de croissance du PIB en 2011, les économies émergentes (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), devraient augmenter leurs richesses de 6,5 % en moyenne, jusqu’à 10 % pour la Chine. »

Þ  Comparer notre croissance à celle de pays qui ne sont pas du tout au même niveau de « développement » est une imposture. Au début c’est facile de croître, après cela devient de plus en plus difficile, surtout dans la dernière étape où la population préfère consommer plutôt que produire. Ah oui, la Chine et sa faramineuse croissance ! Alors que la Chine est en crise. La Chine est un chantier à ciel ouvert, le Brésil également, avec un saccage environnemental sans précédent et des inégalités sociales insupportables. Et c’est devant cela que s’extasie Lellouche !

« Le modèle allemand a su combiner au tournant des années 2000 gains de productivité et maîtrise des coûts salariaux, pour les résultats spectaculaires que tout le monde connaît : des exportations qui représentent 40 % du PIB, une croissance de 3,5 % en 2010. »

Þ D’abord le protectionnisme éducateur de List remonte à la Prusse du XIXe siècle ; la puissance des champions industriels allemands n’a pas été créée en 10 ans. Ensuite les lois Hartz, réforme du marché du travail qui a eu lieu entre 2003 et 2005, conduisent tout droit au travail forcé. Pourquoi ne pas parler de l’explosion du taux de pauvreté en Allemagne qui a doublé ces 10 dernières années ? Les travailleurs pauvres allemands seront heureux de savoir que le gouvernement français les prend pour modèle. De plus, l’extraversion d’une croissance veut dire qu’en cas de réduction des échanges internationaux, le pays sera plus touché que d’autres.

« Les orientations de politique économique prises par le gouvernement avant et pendant la crise vont justement dans le sens d’un renforcement de notre potentiel de croissance. »

Þ  Ah, la fable d’un gouvernement qui sert à quelque chose ! L’Etat n’a même plus de pouvoir économique au niveau interne, alors au niveau du commerce extérieur ! Lellouche est un ministre qui ne sert à rien et qui ne le sait pas encore.  On veut encourager la productivité des PME ? Il aurait fallu y penser avant plutôt que de les livrer à la concurrence déloyale des multinationales. « Reconstruire une santé industrielle » quand tout est délocalisé ? Et pour finir la pensée magique qui lie réforme des universités et parts de marché à l’export !

« Le seul juge de paix de notre stratégie de croissance à moyen et à long terme sera le redressement effectif et durable de notre balance commerciale. »

Þ Si tous les pays misent sur l’exportation, il n’y a plus de gagnants mais la concurrence sauvage. C’est ce que l’Allemagne va être obligée de comprendre en mettant la main au portefeuille pour sauver la Grèce. On ne peut pas entrer dans le jeu perdant-perdant de la concurrence libre et non faussée avec des tricheurs sociaux et environnementaux. De plus, si on comprime partout les coûts, donc les salaires, à qui exportera-t-on puisque la demande globale fléchira ?

« Dans un monde où les sources de croissance sont situées hors du territoire national »

Þ  La France produit des voitures et en importe, parfois fabriquées à l’étranger sous la marque nationale. Mais à quoi sert d’échanger des voitures contre des voitures et des Airbus contre des Boeing si ce n’est gaspiller nos ressources et fragiliser nos emplois ? A quoi sert de vendre des centrales nucléaires aux pays émergents ? Aujourd’hui des grands pays comme la Chine et les USA contournent les règles de l’OMC et laissent flotter leurs monnaies : les autres  protègent leur croissance nationale ?

Faudrait que LeMonde nous conte un jour la fable de la mondialisation heureuse, qui en un siècle a multiplié le nombre de pauvres par trois, provoqué les empoisonnements de la biosphère et entraîné des destructions d’emploi par millions… Il n’y a pas de mondialisation heureuse à l’heure où on bouffe son big mac d’un bout à l’autre de la planète.

* LeMonde du 7 juillet 2011, La fable de la « démondialisation » heureuse selon Pierre Lellouche

** Votez pour la démondialisation d’Arnaud Montebourg (Flammarion, 2011)