Les uns écrivent que le capital vert offre de nouvelles perspectives de croissance*, les autres peuvent prouver que la préservation de la nature passe par la décroissance de l’activité humaine. La base du raisonnement est commune. Alors que les économistes postulaient jusqu’à peu que la nature constituait un stock illimité de ressources, les pénuries croissantes commencent à les faire réfléchir. Certains croient que le manque de capital naturel pourra être compensé par plus de capital technique et plus de travail humain (soutenabilité faible). Mais les machines et les innovations techniques nécessitent toujours plus de ressources naturelles, même s’il y a une certaine efficacité énergétique (moins d’énergie pour le même montant de production). Et le travailleur sans voiture ni portable ne vaut plus grand chose aujourd’hui. D’autres croient au miracle du marché : il suffit de donner un prix à la nature. Sauf que le prix de la nature est incommensurable. Il ne peut être déterminé de manière incertaine que par des jugements humains. En fait la nature n’a pas de prix, elle se désintéresse complètement de l’existence humaine pour suivre sa propre vie. Elle n’offre pas ses services, nous les prenons par la force. On peut dire par exemple que la civilisation minière opère un véritable viol de notre mère nature. Et si les humains n’ont rien à offrir en échange de leur prédation, alors la nature se meurt. On peut par exemple le constater avec la stérilisation des sols et la désertification ou le réchauffement climatique qui acidifie les océans.
Le rapport Stern avait calculé combien coûte une croissance basée sur les ressources fossiles. Selon ce rapport britannique remis au gouvernement le 30 octobre 2006, le réchauffement climatique pourrait coûter dans les prochaines années 5 500 milliards d’euros à l’économie mondiale et provoquer une récession comparable à celle des années 1930. Pavan Sukhdev voulait mettre en place une comptabilité verte : « Il faut donner un prix à la biodiversité. » Le rapport Sukhdev de 2010 n’a eu comme résultat que de conseiller de réduire l’impact de l’activité humaine sur les ressources naturelles et leur pérennité. Toute la pensée de ce banquier indien était pourtant reliée à l’intérêt pour l’homme d’une sauvegarde de la planète. Il avait oublié que si nous en sommes arrivés à cette disparition accélérée du capital naturel, c’est justement parce que nous avons donné un prix à toute chose sans nous soucier que la nature qui nous permet de vivre avait une valeur intrinsèque.
La Biosphère n’a pas de prix, elle a une valeur non comptabilisable. Par contre le bien-être et l’épanouissement de la vie humaine et non-humaine sur Terre ont une valeur en soi qui doit être respectée. La richesse et la diversité des formes de vie contribuent à l’accomplissement de ces valeurs et sont également des valeurs en elles-mêmes. Les valeurs portées par la Nature sont donc indépendantes de l’utilité que peut représenter le monde non-humain pour nos intérêts humains. Ce ne sont pas des valeurs marchandes. Si vous voulez consulter l’article de Rémi Barroux** qui pense le contraire, libre à vous…
* Le Capital vert. Une nouvelle perspective de croissance par Christian de Perthuis et Pierre-André Jouvet
** LE MONDE du 13 décembre, la nature a une valeur… capitalistique (panégyrique du livre ci-dessus nommé)
Le concept de valeur est tout simplement trop incomplet et trop imparfait.
Ni l’idée néoclassique d’une valeur qui résulterait de la confrontation entre une offre et une demande, ni le concept plus classique de valeur qui intégrerait la quantité de travail direct et indirect nécessaire à la fabrication et la mise à disposition d’un bien n’épuisent totalement le sujet, très loin de là.
La nature échappe à ces notions d’économistes. Certaines chose comme l’air et l’eau sont tout simplement sans valeur puisque en leur absence la vie n’est pas possible (bien sûr on peut toutefois donner un prix à l’eau du robinet en calculant son coût en travail pour son acheminement et sa purification mais c’est autre chose)
La beauté non plus n’a pas de valeur, c’est une chose qui échappe à la mesure, fondamentalement. Certains économistes peuvent se donner une image de rigueur en déterminant arbitrairement des critères d’attribution de valeur, ils peuvent renforcer cette image en chiffrant les choses, mais c’est bâtir une construction sur des fondations mouvantes, cela revient à donner une précision à la mesure d’un objet dont on ne saurait définir les contours autrement que par décret.
La valeur est fondamentalement quelque chose qui a à voir avec la complexité du monde. Sa mesure est au delà des possibilités de tout géomètre.
La difficulté de donner un prix à la nature :
« Combien dépenser pour protéger les baleines ? La construction d’une autoroute provoque-t-elle des avantages supérieurs à la perte d’espaces naturels détruits ? Quel est le coût du réchauffement climatique ? Le problème essentiel posé à l’exercice d’évaluation est qu’une espèce animale ou végétale, la pollution atmosphérique, etc., n’est pas échangée sur un marché.
Selon Jeremy Bentham, est bien ce qui procure du bonheur (de l’utilité) aux individus ; toute règle morale est ainsi évacuée. Cette philosophie permettait de s’émanciper des carcans, notamment religieux, des sociétés de l’ancien régime. L’exercice était louable pour l’époque, mais finalement peu pertinent : comment hiérarchiser la vie humaine et animale par exemple ? La morale est ce qui permet de poser des hiérarchies, comme le caractère supérieur de la vie humaine ou le droit de vivre dans un environnement protégé.
L’évaluation monétaire de l’environnement cherche à mesurer quelque chose qui n’existe pas. La valeur est plurielle et le prix n’en est qu’un élément, particulier à la sphère marchande. Les différentes dimensions de la valeur sont irréductibles les uns aux autres, comme peuvent l’être la valeur esthétique d’une forêt, l’attachement émotionnel qu’en ont ses habitants, la valeur économique du bois coupé, le rôle de ses arbres sur le climat ou la richesse de son écosystème. Une analyse coût-avantage, loin d’être scientifique, entretient l’illusion d’objectivité par le recours à la quantification. A la critique, les zélateurs de l’évaluation monétaire de l’environnement ont objecté que sans évaluation chiffrée, la nature était condamnée à ne pas être prise en compte dans les décisions. Le risque est que se crée un système techno-administratif clos sur lui-même, construisant ses propres références, n’ayant comme légitimé que le fait que les personnes qui les utilisent les croient véritables. Sous couvert de simplicité, on lamine la diversité de la valeur sous le bulldozer de l’évaluation monétaire. C’est non seulement inefficace, du fait de la faible validité scientifique de ces méthodes, mais c’est surtout antidémocratique. L’économiste doit savoir s’arrêter à la frontière de ses compétences et rester à sa place dans le processus de décision publique.
La moins mauvaise des réponses apportées au problème de la valeur s’appelle…la démocratie. Mais pour que le débat démocratique puisse avoir lieu, il faut reconnaître le caractère potentiellement conflictuel des questions environnementales et l’irréductibilité de la valeur des biens naturels sous un étalon commun, monétaire ou pas. »
Julien Milanesi dans l’obsession du chiffre (ECOREV n° 31, dossier sur la valeur de la nature)