La récupération de la catastrophe par les technocrates

Nous pouvions croire que si la pédagogie de la catastrophe était inopérante, la catastrophe servirait de pédagogie. Le journaliste Pierre Thiesset douche nos espérances : c’est le capitalisme qui récupère la mise. Quelques extraits :

« Nombreux sont les écologistes qui attendent un sursaut : au pied du mur, peut-être ferions-nous demi-tour ? Non, les catastrophes n’ont pas conduit à un « on arrête tout, on réfléchit ». Non, le chaos n’entraîne pas de lui-même une prise de conscience salvatrice. Nous sommes toujours aveuglés par la religion de la croissance destructive, nous considérons toujours l’homme comme supérieur à son milieu, la Terre comme un réservoir inépuisable. La croyance dans le progrès infini, dans l’avenir radieux, a modelé toute notre façon de vivre et de penser. La société industrielle qui est à l’origine de la destruction de la nature est passée à l’étape suivante : la gestion marchandisée du désastre, avec de régiments d’experts qui sont prêts à administrer le bétail humain, des nouvelles technologies qui étendent l’artificialisation. L’écologie, naguère subversive, est absorbée par la technocratie. Les précurseurs de la décroissance comme Charbonneau, Ellul ou Gorz avaient anticipé cette dérive autoritaire, elle se réalise sous notre nez. Les pulsions de vie vont-elles reprendre le dessus, une résistance surgir dans un marasme inéluctable ? Pouvons-nous conclure autrement que par un point d’interrogation ? »

Une autre référence récente, Naomi Klein et le capitalisme de catastrophe vu par Joseph Stiglitz : « Dans son ambitieux livre « The Shack Doctrine » (La doctrine du choc), Noami Klein examine l’histoire économique des cinquante dernières années et la montée de l’intégrisme du marché dans le monde. Le « capitalisme de catastrophe » comme l’appelle Noami Klein, est un système violent qui nécessite parfois le recours à la terreur. Comme Pol Pot proclamant l’année zéro à l’arrivée au pouvoir des Khmers rouges au Cambodge, en 1975, le capitalisme extrême affectionne les pages blanches, trouvant souvent un débouché après une crise ou un « choc ». La crise asiatique de 1997, par exemple, nous dit Naomi Klein, a fourni au Fonds monétaire international (FMI) l’occasion de mettre en place des programmes dans la région et a ouvert la voie à la privatisation de nombreuses entreprises publiques, rachetées par des banques et des multinationales occidentales. Le tsunami de décembre 2004 a donné aux autorités srilankaises la possibilité de chasser les pêcheurs du front de mer pour vendre des terrains à des groupes hôteliers. Les attentats du 11 septembre 2001 ont permis à G.W.Bush de lancer une guerre destinée à convertir l’Irak à l’économie de marché. […] » (New York Times)

* mensuel La Décroissance de septembre 2014, L’insurrection qui ne vient pas

3 réflexions sur “La récupération de la catastrophe par les technocrates”

  1. Avec « l’insurrection qui ne vient pas », titre inspiré d’un autre bien utopique, tout est dit. C’est la fin de 1984 qui rend le roman si amer et si prémonitoire. Ne pouvant donc attendre de la population un sursaut, on est obligé de s’en remettre à une providentielle catastrophe, mais même là les analyses de N. Klein et P. Thiesset nous laissent peu d’espoir. Que reste-t-il dès lors pour s’en sortir? Si nous ne voulons pas finir comme du bétail, la seule issue honorable risque d’être celle d’Yves Paccalet.

    1. pour préciser la dernière phrase de José, Paccalet avait titré son livre : « L’humanité disparaîtra, bon débarras ».
      Certains n’ont pas goûté ce que nous estimons être à la fois de l’humour… et une certaine réalité ! Après nous les autres espèce pourraient enfin respirer librement.

  2. Bien entendu les politiques de « l’écologie positive »nient l’existence même de la catastrophe quand ils l’ont sous les yeux. Ainsi la ministre française de l’écologie Ségolène Royal à la lecture d’un rapport qui indique que la France affichera une hausse des températures moyennes en métropole de 2,6 °C à 5,3 °C sur la période 2071-2100 : « Cela aide à une prise de conscience, non pas pour un discours catastrophiste mais pour donner une clé pour agir »(Le Monde.fr avec AFP | 6 septembre 2014, La France va devenir plus chaude et la météo plus extrême)
    Vu l’inanité de son projet de loi sur la transition énergétique, on ne voit pas bien de quelle clé il s’agit !

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