La technologie fait la crise, pas la solution

Notre monde ultra-technicisé, spécialisé, globalisé ne pourra pas résister à une débâcle, que celle-ci vienne de la raréfaction des ressources énergétiques et métalliques, des conséquences du changement climatique ou d’une nouvelle crise financière. Au lieu de chercher une sortie avec plus d’innovation et de hautes technologies (high tech), nous devons nous orienter selon Bihouix vers une société essentiellement basée sur des basses technologies (low tech).

On connaissait cela dès le début des années 1970, technique douces contre techniques dures, techniques appropriées et non disproportionnées. On savait ce qu’il fallait faire depuis cinquante ans, la sobriété partagée, et nous cherchons maintenant à aller sur Mars !!! L’idée que l’innovation nous sauvera de l’épuisement des ressources et des changements climatiques est une illusion dangereuse.

La technologie a trop d’impact sur la planète pour être la solution à la crise

L’idée qu’on trouvera toujours une solution  technologique, revient souvent. Qu’il s’agisse de l’hydrogène, de la fusion nucléaire ou de la numérisation… Pourquoi ne partagez-vous pas cet espoir ?

Philippe Bihouix : Parce que les technologies ont un impact : elles consomment des ressources non renouvelables, souvent des ressources métalliques, que l’on doit piocher dans la croûte terrestre. Et même si on a à notre disposition des milliers de fois l’énergie nécessaire à l’humanité qui nous tombe sous forme de soleil, on a besoin de convertisseurs, pour capter cette énergie, la transformer en électricité, ou la stocker. Et pour cela, on a besoin de beaucoup de métaux. La multiplication de ces besoins a évidemment des conséquences en termes énergétiques, climatiques et en termes de biodiversité.

Est-ce que vous partagez l’analyse de l’ingénieur Jean-Marc Jancovici, selon qui le clivage d’aujourd’hui n’est plus entre la gauche et la droite, mais entre les gens qui pensent qu’il y a un monde aux ressources infinies et ceux qui pensent qu’on touche les limites physiques de la croissance ?

Philippe Bihouix : Effectivement, la croissance à long terme est une absurdité en tant que telle. Imaginons que la consommation d’énergie croisse de 2 % par an – en réalité, on a fait un peu plus ces dernières décennies. A l’échelle de l’humanité, ça veut dire un doublement de la consommation tous les trente-sept ans. Cela s’appelle une exponentielle. Si on multiplie par deux tous les trente-sept ans, dans mille cinq cents ans, il faudrait avoir la puissance de l’étoile solaire. Pas de ce que le Soleil envoie sur Terre : la puissance de l’étoile, intégralement.

On a déjà découvert et maîtrisé de nouvelles sources d’énergie, qu’est-ce qui nous empêche de continuer et d’en faire un usage rationnel pour poursuivre une forme de croissance ?

Philippe Bihouix : L’idée économique, c’est de faire du découplage entre la croissance du PIB [produit intérieur brut] d’un côté et de l’autre la consommation d’énergie, les émissions de CO2, la consommation de matière, etc. Il y a aujourd’hui un découplage relatif, c’est-à-dire que le PIB monte un peu plus vite que la consommation d’énergie. Par contre, on n’arrive pas à faire un découplage absolu, une courbe du PIB qui continuerait à monter avec une décroissance d’énergie, de matière, de pollution… L’autre aspect est technologique. Il consiste à dire que cette grande quantité de métaux qu’on va devoir extraire pour nourrir l’installation de panneaux photovoltaïques, d’éoliennes, on va pouvoir la recycler, faire de l’économie circulaire.Mais, en réalité, ce discours ne marche pas pour la plupart des métaux. Il y a une trentaine de métaux, sur la soixantaine qu’on utilise dans l’ensemble de nos industries, qui sont recyclés, à l’échelle mondiale, à moins de 1 %.

Les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le groupe d’experts de l’ONU pour le climat, plaident pour le développement massif de l’éolien, du solaire et des batteries – en plus de la sobriété – pour se débarrasser des énergies fossiles.

Philippe Bihouix : Je m’insurge contre le rêve qui consisterait à dire qu’on va pouvoir maintenir notre niveau de consommation et de confort, de mobilité, simplement en remplaçant une couche d’énergie fossile par des solutions d’énergies renouvelables. Il faut aller chercher les métaux plus profondément, en consommant plus d’énergie ;je pense que ce niveau d’extraction n’est pas soutenable.

Ce que vous dites, c’est qu’il faut distinguer en fonction des usages. C’est ce que vous appelez le « discernement technologique »…

Philippe Bihouix : il faut se poser la question de l’utilité de l’usage de ces technologies. Dans le domaine médical, on peut ne pas le contester. Les volumes d’électronique en jeu à l’hôpital sont très limités par rapport aux objets connectés qui vont équiper des milliards d’utilisateurs. Idem pour le plastique. Je n’ai pas de problème pour des plastiques souples, tout à fait polluants, qui servent de poches de sang. On parle de quelques milliers de tonnes à l’échelle d’un pays, qu’on va savoir gérer, alors qu’à côté de ça on va avoir des millions de tonnes d’usage de plastique qu’on aurait pu éviter.

Autre exemple, l’éducation nationale, sous prétexte d’éduquer les citoyens du futur au numérique, a décidé de numériser l’enseignement. Pourtant, aucune étude scientifique n’a démontré qu’on apprenait mieux avec un écran plutôt qu’avec un bouquin. C’est même plutôt le contraire. Mais on a numérisé l’école parce que ça fait moderne. Dernier exemple, le distributeur de croquettes pour chats connecté avec dispositif de reconnaissance faciale…

Est-ce que ce n’est pas là qu’intervient la question de la sobriété ? Pas seulement celle des gestes individuels, mais à un niveau plus collectif…

Philippe Bihouix : Voitures ou vélos électriques ? On pourrait aller plus loin, poser la question du nombre de kilomètres, aller vers une logique de démobilité. Pourquoi habite-t-on de plus en plus loin de son travail ? Pourquoi faut-il faire de plus en plus de kilomètres pour déposer les enfants à l’école de musique, pour aller passer une radio, pour aller voir un spécialiste ? Ce sont des questions d’aménagement du territoire.

Il y a 3 millions de logements vacants en France et 8 millions de logements sous-occupés dans la définition de l’Insee. Si on remplissait tout ça, on pourrait loger 12 millions de personnes en plus sans construire un mètre carré. Et pourtant, on explique qu’il faut mettre 500 000 logements en chantier chaque année et qu’on n’en a pas assez. Est-ce qu’il ne faut pas réinvestir plutôt les bourgs, les villages, les villes moyennes, les sous-préfectures, où existe tout ce parc vacant, tout ce patrimoine qu’on va pouvoir réinvestir ?

8 réflexions sur “La technologie fait la crise, pas la solution”

  1. Il y a deux choses dont nous devons convaincre les dirigeants du monde et tous ceux qui se réclament de l’écologie.
    – Le nombre et plus généralement les ordres de grandeurs sont les principaux déterminants de l’avenir
    – La technologie ne nous sauvera pas, elle a d’ailleurs toujours fait le contraire en donnant plus de pouvoir à l’homme. Il faut au contraire rendre à la main à la nature et à la simplicité.
    La corrélation technologie -destruction de l’environnement est tellement fort qu’il n’y a aucun espoir d’inverser son signe

    1. 1) Ordres de grandeur :
      Moyenne mondiale émissions CO2 par an et par habitant = 4,9 tonnes (T)
      37 T pour le Qatari – 23,5 T pour le Koweitien – 19,4 T pour le Saoudien
      17 T pour le Canadien – 16 T pour l’Américain
      9,7 T pour l’Allemand – 6,1 T pour l’Espagnol – 5,2 T pour le Français
      7,7 T pour le Chinois – 2,3 T pour le Brésilien – 1,8 T pour l’Indien
      1,7 T pour le Marocain – 0,3 T pour l’Afghan – 0,04 T pour le Congolais.

      2) Notre salut ? Déjà, bon courage pour convaincre les dirigeants du monde et tous ceux qui se réclament de l’écologie de cesser de croire au Cosmogol et à la Téléportation.
      Malgré tout leur Pognon et leurs technologies les Qatari, les Ricains, les Européens, les Japonais et même les Chinois, finiront par disparaître. Et comme par hasard, ce seront les Congolais, entre autres, qui les remplaceront. C’est le principe des vases communicants.

      1. Très bien Michel C, vous souhaitez donc à la population mondiale de vivre comme les congolais, vous oubliez qu’ils n’ont qu’une envie, c’est de vivre comme nous, d’ailleurs, c’est ce qu’ils font quand ils arrivent en Europe.
        Cette obsession sur le seul gaz carbonique est déjà une erreur, mais cette façon de se placer en apparence du côté des plus pauvres tout en valorisant leur pauvreté (c’est facile ça ne nous concerne pas nous on est riches et consommateur) en est une plus grande encore. Vous ne dites rien d’autres qu’aux plus pauvres de le rester tout en faisant semblant de les défendre, de ce point de vue, exactement comme EELV (vous êtes adhérent ? Ou même là vous refusez de vous engager préférant le Misère misère ?).
        Quand à la place laissée au reste du vivant… bon on en a déjà parlé, vous l’ignorez complètement

      2. Non pas vous, mon cher Didier ! N’interprétez pas, vous non plus, mes propos comme ils vous plait de les entendre. Non, ça c’est pire que le reste. 🙂
        Comme ordres de grandeurs j’aurais pu tout aussi bien vous donner les quantités d’eau ou de calories que les uns et les autres consomment et gaspillent.
        Quant à vos attaques ad hominem, merci mais je sais où j’habite. Je suis désolé mais je n’ai pas choisi de naître du bon côté et à la bonne époque. Plus d’une fois j’ai dit que j’étais, moi aussi, un petit-bourgeois. Toutefois j’évite de me prendre pour un gentilhomme (“Le Petit Bourgeois Gentilhomme“- Alain Accardo).
        Et surtout trop au sérieux. Encarté nulle part je ne suis qu’un électron libre, ce qui me permet de réfléchir sans trop d’entraves. Maintenant c’est sûr, je porte à gauche.
        Bien plus anarchiste que socialo ou coco, si vous voulez savoir. D’ailleurs je me plais à me définir comme un vieux con d’anarchiste bourgeois.

      3. Justement, comme le commentaire où j’en parlais a disparu, j’en profite pour redire que le «C’est la faute aux écolos» (que RAPPORTERRE a justement dénoncé hier soir sur “À ceux qui verront peut-être l’an 2100”) … est tout aussi ridicule que le «C’est la faute aux cocos-socialos». Et que ces histoires de pastèques (vert dessus et rouge dedans) que les droitards se plaisent à balancer pour dénigrer EELV. (Vous avez un problème avec la Gauche ? Ou même là… pour défendre les lions et les gros rapaces… vous préférez vous acoquiner avec certains misérables qui n’en ont rien à foot de l’écologie ?)

  2. En lisant tout ça j’ai l’impression de m’entendre … radoter. 🙂
    Bihouix, Janco, et même Rouxel (Les Shadoks), plus tous les décroissants réunis … ne pourront jamais con vaincre celui qui croit qu’ON trouvera toujours une solution. Tout connement parce que nous sommes là dans le domaine du religieux. Alors, en attendant, si nous ne voulons pas crever, à force de nous morfondre, toujours plus, il est temps pour nous de nous con verdir.
    Ou alors d’adhérer au Parti d’en Rire. C’est vous qui voyez, je ne force personne, quoique …
    Mes biens chers frères, mes biens chères sœurs, répétez après moi tous en cœur :
    – « ON n’arrête pas le progrès ! Oui je crois… au Progrès qui progresse, et aux innovations qui innovent, pour des siècles et des siècles, amen. »

    L’énergie ? L’atmosphère regorge de Cosmogol, suffit juste de le pomper.
    Je pompe donc je suis !

    1. En attendant, avec le casque Machin connecté à la 5G (demain la 6G, et puis la 7 etc. ON n’arrête pas le Progrès) vous pouvez déjà vous offrir autant de multivers que vous pouvez en imaginer. Parce vous le valez bien !
      Au diable la gauche et la droite, la vérité et le mensonge etc. etc. bienvenus dans le virtuel et la Grande Confusion. Et toujours plus !
      En attendant, le sacro-saint Développement Durable a du plomb dans l’aile. Qu’à cela ne tienne, c’est vers le fumeux Découplage que se tournent maintenant les croyants et les crédules. Misère misère !

      STOP les conneries !!! Bien sûr qu’il existe des solutions. Oh certes pas pour continuer à vivre comme des nababs, disposants de 500 esclaves énergétiques 24H/24. Bien sûr qu’il faut (yaka-faukon) réfléchir sur les vraies questions (aménagement du territoire, logement, mobilité, but de l’économie etc.) Seulement cela passe par la DÉCOLONISATION des imaginaires.
      Et là c’est quoi le YAKA ?

    2. RAPPORTERRE 30 DÉCEMBRE 2022 (“À ceux qui verront peut-être l’an 2100”) dénonce cette culpabilisation des écolos : « C’est la faute aux écolos ! »
      RAPPORTERRE a raison, tout ça est ridicule. Aussi ridicule que cette accusation (culpabilisation) des Rouges : « C’est la faute aux cocos-socialos ! » Ce qui rejoint cette autre ânerie, régulièrement servie, sur les pastèques (vert dessus et rouge dedans). Comme si la France était un pays communiste, soviétique… Comme si le monde l’était lui aussi. N’importe quoi ! Ce genre d’âneries ne sont que le reflet de cette grande et grave Confusion, tout autant que du climat (social) de plus en plus pourri. Les deux sont évidemment liés. Quand ça va mal on a besoin de désigner des responsables, des coupables. Les Verts, les Rouges, les Jaunes (Gilets), les Noirs, les Migrants, les Lapins et Jean Passe. Les responsables, les coupables, les affreux… sont toujours les Autres. Misère misère !

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