Une pollution qui provoque un blessé grave est maintenant considérées comme un crime en Chine. Ils vont même beaucoup plus loin. Les cas très graves, à partir d’un mort, peuvent conduire à de très lourdes peines, et éventuellement à la peine capitale*. Nous voyons les limites de cette perception juridique : il faut qu’il y ait atteinte à l’homme pour qu’il y ait poursuite judiciaire. Cela veut donc dire qu’on peut, du moment qu’il n’y a ni mort humaine, ni blessé grave, complètement dévaster la planète entière ! Il suffira de payer quelques amendes. Contre cette lacune de la pensée anthropocentrée, il faut donc donner aux arbres, aux rivières et aux montagnes le droit d’agir en justice.
En 1972, Christopher D.Stone se posait cette question : “Should Trees Have Standing? Toward Legal Rights for Natural Objects”. Ce passage du statut d’objet naturel à celui de sujet de droit s’inscrit pour Stone dans la continuité du processus historique d’extension des droits légaux : après les étrangers, les femmes, les fous, les Noirs… les arbres. Voici un résumé de son texte** :
« Darwin fait observer que l’histoire du développement moral de l’homme a pris la forme d’une extension continue du champ des objets concernés par ses « sympathies » : « Ses sympathies s’étendirent aux hommes de toutes les races, aux simples d’esprit, aux animaux inférieurs. » Désormais il n’est plus nécessaire d’être vivant pour se voir reconnaître des droits. Le monde des avocats est peuplé de ces titulaires de droits inanimés : trusts, joint ventures, municipalités. Je propose que l’on attribue des droits juridiques aux forêts, rivières et autres objets dits « naturels » de l’environnement, c’est-à-dire, en réalité, à l’environnement tout entier. Cela ne signifie en aucun cas que nul ne devrait être autorisé à couper un arbre. Si les êtres humains ont des droits, il reste néanmoins possible de les exécuter.
Partout ou presque, on trouve des qualifications doctrinales à propos des « droits » des riverains à un cours d’eau non pollué. Ce qui ne pèse pas dans la balance, c’est le dommage subi par le cours d’eau, ses poissons et ses formes de vie « inférieures ». Tant que l’environnement lui-même est dépourvu de droits, ces questions ne relèvent pas de la compétence d’un tribunal. S’il revient moins cher au pollueur de verser une amende plutôt que d’opérer les changements techniques nécessaires, il pourra préférer payer les dommages-intérêts et continuer à polluer. Il n’est ni inévitable ni bon que les objets naturels n’aient aucun droit qui leur permette de demander réparation pour leur propre compte. Il ne suffit pas de dire que les cours d’eau devraient en être privés faute de pouvoir parler. Les entreprises n’ont plus ne peuvent pas parler, pas plus que les Etats, les nourrissons et les personnes frappées d’incapacité. Si un être humain, commençant à donner des signes de sénilité, est de jure incapable de gérer ses affaires, les personnes soucieuses de ses intérêts en font la preuve devant les tribunaux. Le tuteur légal représente la personne incapable. Bien sûr, pour convaincre un tribunal de considérer une rivière menacée comme une « personne », il sera besoin d’avocats aussi imaginatifs que ceux qui ont convaincu la Cour suprême qu’une société ferroviaire était une « personne » au sens du quatorzième amendement (qui garantit la citoyenneté à toute personne née aux Etats-Unis).
Mais je suis sûr de pouvoir juger avec davantage de certitude quand ma pelouse a besoin d’eau qu’un procureur ne pourra estimer si les Etats-Unis ont le besoin de faire appel d’un jugement défavorable. La pelouse me dit qu’elle veut de l’eau par son jaunissement, son manque d’élasticité ; comment « les Etats-Unis » communiquent-ils avec le procureur général ? Nous prenons chaque jour des décisions pour le compte d’autrui et dans ce qui est censé être son intérêt ; or autrui est bien souvent une créature dont les souhaits sont bien moins vérifiables que ceux des rivières ou des arbres. »
* LE MONDE du 22 juin 2013, En Chine, le crime de pollution, passible de la peine de mort
** in les Grands Textes fondateurs de l’écologie, présentés par Ariane Debourdeau
(Flammarion 2013, Champs classiques, 384 pages, 10 euros)
« Il n’est ni inévitable ni bon que les objets naturels n’aient aucun droit qui leur permette de demander réparation pour leur propre compte. »
Vous serez plus credibles pour defendre les pauvres arbres et les malheureux cailloux quand vous reconnaitrez la qualite de victime des jeunes filles de 17 ans forcees de partager la couche de leurs grands-oncles a « grande ame ».