le cas Vincent Lambert, suite et fin

La « nuit de solitude et d’inconscience » dans laquelle Vincent Lambert était « emmuré » depuis un accident de la route en 2008 a pris fin ; il est mort, jeudi 11 juillet après neuf jours après le début de l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation artificielles qui le maintenaient en vie. LE MONDE publie deux tribunes à l’opposée l’une de l’autre, comment se faire un jugement définitif ?

Michel Houellebecq : « Ainsi, l’État français a réussi à tuer Vincent Lambert : l’hôpital public est sur-char-gé, s’il commence à y avoir trop de Vincent Lambert ça va coûter un pognon de dingue.. Or Vincent Lambert n’était même pas en fin de vie. Il vivait dans un état mental particulier, il n’était pas en état de communiquer avec son entourage, rien de franchement original ; cela se produit, pour chacun d’entre nous, à peu près toutes les nuits). Cet état semblait irréversible. J’écris « semblait » parce que jamais, à aucun moment, un médecin ne m’a affirmé qu’il était à 100 % certain, de ce qui allait se produire. Mais il s’agissait, pour la ministre de la santé « et des solidarités », de « faire évoluer les mentalités ». Je ne pense pas qu’il y ait lieu de s’en réjouir.*

Jean Leonetti : Le cas de Vincent Lambert est moins un problème médical qu’un problème familial. Dans ce combat juridique à rebondissements, on nous invite souvent à choisir notre camp. Mais choisir un camp, c’est déjà s’avouer vaincu puisque c’est refuser le cheminement du doute qui mène au consensus et qui est l’esprit de la loi de 2005 sur l’obstination déraisonnable et la fin de vie : la loi traite de l’acharnement thérapeutique et s’applique à tous les cas qu’ils soient ou non en phase terminale de la vie. Les médecins qui, s’appuyant sur des expertises médicales et concordantes, acceptent de laisser la mort venir ne sont pas des assassins. La médecine moderne est capable de prolonger la vie mais, parfois, dans des conditions de complexité et de souffrance qui nous interpellent sur le respect de la dignité de chaque personne humaine. Ce drame humain doit nous inciter à la lucidité face à notre puissance technique car tout ce qui est techniquement possible n’est pas toujours humainement souhaitable. La reconnaissance de sa dignité réside dans le respect de la volonté du patient.**

François Béguin (journaliste du MONDE) : Emmanuel Macron avait assuré qu’il ne lui « appartenait pas de suspendre une décision qui relève de l’appréciation de ses médecins et qui est en conformité avec nos lois ». Après une phase de coma profond, Vincent Lambert a été diagnostiqué en 2011 en « état de conscience minimale », il ne faut plus s’attendre à une amélioration. Il est maintenu en vie par le biais d’une sonde gastrique, et, à ce titre, il entre dans le cadre de la loi Leonetti de 2005 (puis Claeys-Leonetti, en 2016) qui proscrit toute « obstination déraisonnable », si le patient émet ou a émis le souhait de ne pas vivre cette vie-là. Cette vie, c’est une « vie purement biologique », sans conscience de soi ni des autres. Où était le droit à la dignité de Vincent Lambert lorsque des images de lui sur son lit d’hôpital ont été largement diffusées dans les médias par les partisans de son maintien en vie ? Où était le droit à la dignité de son épouse lorsque ses beaux-parents l’ont fait suivre par un détective privé ou lorsqu’elle a été auditionnée au commissariat dans le cadre d’une plainte contre X pour tentative d’assassinat ? Que restera-t-il de cette « affaire » ? Un nom venu s’inscrire dans l’inconscient collectif national au côté de ceux de Vincent Humbert, Chantal Sébire ou Anne Bert, des personnes désireuses de mourir du fait d’un handicap ou d’une maladie neurodégénérative et empêchées de le faire par une loi française interdisant l’euthanasie et le suicide assisté. Mais là où ces personnes revendiquaient expressément un droit, au moins celui de déroger à la loi interdisant de décider de sa propre mort, le cas de Vincent Lambert a mis en lumière les non-dits de la loi existante.***

NB : Michel Houellebecq est un écrivain à succès (car surmédiatisé) dont on se demande de quel avis éclairé il témoigne. Jean Leonetti a été rapporteur de la loi de 2005 et co-rapporteur de la loi de 2016 relative aux droits des malades et à la fin de vie. Notre conclusion, c’est qu’il vaut mieux écrire ses directives anticipées pour na pas encombrer les hôpitaux et l’appareil judiciaire…

* LE MONDE du 12 juillet 2019, Michel Houellebecq : « Vincent Lambert, mort pour l’exemple »

** LE MONDE du 12 juillet 2019, Jean Leonetti : « Vincent Lambert est devenu, malgré lui, le symbole de la fin de vie »

*** LE MONDE du 12 juillet 2019, Vincent Lambert est mort, neuf jours après le début de l’arrêt des traitements

4 réflexions sur “le cas Vincent Lambert, suite et fin”

  1. Cette autopsie n’est pas une obligation de la loi, c’est donc une initiative du procureur, vraiment ubuesque ; loin de clore l’affaire elle ne fait que la prolonger.
    Imaginons que l’autopsie conclut à des choses bizarres, qu’est ce qu’on fait ? On ressuscite Vincent et on met l’équipe médicale en prison !!!
    Les psychanalystes définissent la névrose comme l’installation durable dans le conflit et l’impossibilité d’en sortir ; c’est ce que manifeste ce procureur comme l’ont fait avant lui les parents de Vincent.

  2. Vincent Lambert, l’acharnement post-mortem : une autopsie du corps va déterminer « les causes de la mort ». Le procureur de Reims a justifié ce choix « pour éviter qu’à la suite d’une éventuelle plainte pour meurtre, [d’être] contraint à faire procéder à l’exhumation du corps, élément d’une particulière violence dans un dossier où la logique de l’affrontement judiciaire n’aura jusqu’à ce jour épargné personne ». Des analyses toxicologiques seront réalisées afin de s’assurer du bon usage des médicaments utilisés dans la mise en œuvre de la « sédation profonde et continue » jusqu’au décès, une « anesthésie » prévue par la loi Claeys-Leonetti pour accompagner l’arrêt des traitements. La molécule du midazolam, le médicalement généralement utilisé pour ces sédations, ralentit le rythme respiratoire et est susceptible d’accélérer le décès lorsqu’elle est utilisée à forte dose.

  3. communiqué de l’ADMD : « Le drame de Vincent Lambert met en lumière les carences de la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite loi Claeys-Leonetti. Une loi qui ouvre la voie à tant de multiples interprétations et modes d’application qu’elle permet d’innombrables recours qui transforment le patient en un objet aux mains des autres : médecins, familles, proches… ; une loi qui, alors que la décision de fin de vie est prise, organise une agonie de 9 jours…

  4. Suite et fin … et pas trop tôt ! Je précise tout de même qu’il n’y a pas pour autant lieu de s’en réjouir, surtout pas.
    De quel « avis éclairé » témoigne Michel Houellebech, se demande-t-on ? Je dirais, de l’avis de quelqu’un qui s’applique à regarder le monde sous toutes ses coutures, tous ses travers. Et à nous le raconter sans se préoccuper de la bien-pensance. D’un avis qui finalement vaut autant, si ce n’est bien plus, que « le point de vue des écologistes » qui s’expriment sur BIOSPHERE.
    BIOSPHERE qui aurait pu également citer le pape François : “Chaque vie a de la valeur […] Ne construisons pas une civilisation qui élimine les personnes dont nous considérons que la vie n’est plus digne d’être vécue […] Prions pour ceux qui vivent dans un état de grave handicap. Protégeons toujours la vie, don de Dieu, du début à la fin naturelle. Ne cédons pas à la culture du déchet. ”
    Mais le pape non plus ne doit pas être suffisamment éclairé, quant à son succès, comme on sait il le doit aux merdias . N’importe quoi !

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