Les riches oscillent entre le besoin qu’ils ont de la main d’œuvre pour servir les intérêts du patronat et les idéaux patriotiques, et la crainte de voir les prolétaires se multiplier de façon menaçante ; attitude reconduite aujourd’hui par les pays d’économie développée face au tiers-monde. Là où l’homme ne considère en la femme que la « matrice » au sens mécanique du terme, qui désigne les machines fabriquant des machines semblables, la mise à la ferraille de cette surproduction démographique ne peut être que le conflit armé. Les femmes manifesteront le désespoir de voir périr de famine ou sous les coups de la guerre ce qu’elle eurent tant de souffrance et de soins à façonner. La société mâle n’entendra jamais ces plaintes et continuera à gaspiller dans le potlatch guerrier ce « capital le plus précieux, l’humain » qu’il est si facile de refaire puisque son inlassable réapparition ne dépend que du bon plaisir de l’homme et du mépris de la femme écrasée.
La fameuse loi de 1920 votée par la Chambre bleu horizon contre l’avortement et la contraception porte, jusque dans son excès nataliste, la marque de l’idéologie patriarcale ; la seule contraception totalement interdite est la féminine. Les préservatifs restent en vente libre, sous la restriction hypocrite de publicité défendue, ce qui était aisément tourné par la métaphore « d’articles d’hygiène ». En 1953 la loi Bleu horizon a été incorporée dans le Code de la santé publique, avec l’appui enthousiaste du très pétainiste Ordre des Médecins. En 1962, le général de Gaulle revenu au pouvoir souhaitait que la population française atteigne 100 millions. L’année suivante, c’est Michel Debré qui invoquait la compétition démographique en reprochant à la France ses pauvres petits 48 millions d’habitants, à côté des 50,5 de l’Italie et des 55,5 de l‘Allemagne de l’Ouest. A la même époque, dans le seul hôpital de Grenoble, il était établi que 61 % des femmes enceintes l’étaient contre leur volonté. En février 1969, au moment où un congrès de savants réunis au musée de l’Homme déclarait que le monde entrait dans une période irréversible de destruction écologique et tandis que l’affolement commençait à se manifester avec les travaux du Club de Rome, le gouvernement français relève les allocations familiales et abaisse le prix des transports familiaux.
L’avortement devient légal le 14 novembre 1974. Des journaux, y compris LE MONDE, pleurent sur la perte des grandes ambitions démographiques d’antan : qui soignera plus tard les rhumatismes des journaleux d’aujourd’hui ? Au moment où débute la crise mondiale (de 1974) accompagnée de restrictions de chauffage, de problème d’énergie et de hausse en flèche du coût de la vie, la presse française prédit paradoxalement que les berceaux vides nous menacent d’une catastrophe économique et sociale sans précédent. Or la destruction des sols et l’épuisement des ressources signalées par tous les travaux écologistes correspondent à une surexploitation parallèle à la surfécondation de l’espèce humaine. L’appropriation patriarcale de la fertilité a donc bien abouti, directement, à la destruction des ressources.
Françoise d’Eaubonne, « Écologie et féminisme (révolution ou mutation ?) », première édition en 1978, réédition 2018 aux éditions Libre & Solidaire
Françoise d’Eaubonne et l’écoféminisme n’ont pas eu de descendance dans notre pays mais beaucoup dans les pays anglophones (USA, Canada, Australie). Elle estimait que le capitalisme était causé par le phallocratisme, seul responsable de la natalité galopante des femmes depuis 5.000 ans et de la surexploitation des ressources naturelles en particulier des terres arables. Dans mon livre ‘Cet animal raté’, j’ai expliqué l’explosion démographique par la révolution néolithique vers -10.000 ans qui permet de passer d’un enfant par femme tous les 4 ans chez les chasseurs-cueilleurs à un enfant possible par an chez les agriculteurs par suite de la sédentarité et des bouillies de céréales. Ce qui me parait le plus original et fondé dans son analyse, c’est qu’elle estimait que les femmes du Tiers-Monde, en particulier en Afrique, devraient être aidées à s’émanciper et à contrôler leurs naissances alors que c’est actuellement impossible dans ces pays patriarcaux en pleine explosion démographique…