L’enceinte politique des négociations climatiques ne pourra pas être le seul endroit où se jouera l’avenir de la planète. Et si notre meilleure option était tout simplement de compter sur l’aversion pour le risque des marchés financiers ? Depuis 2012, une ONG baptisée 350.org a lancé une coalition intitulée Divest-Invest (désinvstissez-Investissez). Le mouvement est bien suivi, plus de 200 institutions ont déjà décidé de désinvestir du secteur pétrolier en transférant 50 milliards de dollars vers d’autres domaines. Ce chiffre reste cependant faible au regard de la valorisation boursière des ressources fossiles estimée à 5000 milliards de dollars en 2014. Mais le think tank Carbon Tracker a établi une cartographie très précise des actifs et ressources fossiles. L’ONG met en garde les investisseurs contre un effet de bulle financière dans l’hypothèse où les États se décideraient à faire ce que les négociation climatiques attendent d’eux : contraindre le volume des émissions de GES (gaz à effet de serre). Au fil des ans, des sommes considérables sont investies pour découvrir et exploiter de nouveaux gisements. N’est-il pas absurde de poursuivre ces investissements dans une telle incertitude ? L’argent qui pourrait être injecté dans l’industrie des énergies fossiles, soit 6000 milliards de dollars, pourrait être ainsi purement et simplement perdu.
Rappelons, en se focalisant sur le seuil à ne pas dépasser des 2°C qu’il faudrait limiter le total des émissions de dioxyde de carbone à 1000 milliards de tonnes d’ici à 2100. Mais, si l’on brûlait toutes les réserves actuellement connues de pétrole, charbon et gaz, on émettrait 2860 milliards de tonnes dès 2050. Il faudrait ne pas utiliser entre 60 et 80 % des réserves pour respecter l’objectif des 2°C. Le problème financier, c’est qu’une grande partie de ces énergies est déjà cotée, ce qui signifie que les contrats qui permettent d’échanger les titres de ces entreprises investissant dans le secteur énergétique sont largement surévalués. L’agence de notation Standard & Poor’s a évoqué une possible dégradation des notes de crédit du secteur pétrolier. Certains marchés boursiers tels que ceux de Sao Paulo, Hongkong et Johannesburg sont inquiétants au regard du poids disproportionné donné au carbone par rapport à leur capitalisation. La production d’électricité carbonée à partir des centrales thermique au charbon est clairement sur la sellette.
Un scénario nous ramène un siècle en arrière, lorsque la transition vers la mobilité individuelle a accéléré la sortie des compagnies de chemin de fer hors des indices boursiers. Ainsi, alors qu’à son lancement en 1890 l’indice Dow Jones Industrial Average était intégralement composé de compagnies de chemins de fer, celles-ci avaient toutes disparu en 1914 au bénéfice des constructeurs automobiles. Lors de l’assemblée générale des actionnaires de BP qui s’est tenu au printemps 2015, environ 98 % des actionnaires ont apporté leur soutien à une résolution en faveur d’une prise en compte du risque carbone dans les prévisions de rentabilité du groupe.
source : le crépuscule fossile selon Geneviève Férone-Creuzet
Stock 2015, 250 pages pour 19 euros