Ivan Illich est un penseur célèbre, décédé en 2002 des suites d’un cancer du cerveau qu’il a volontairement choisi d’assumer jusqu’au bout sans vouloir l’opérer. Il considérait que les tumeurs sont un exemple de maladie traitée de manière contre-productive par la médecine ; le mourant s’agrippe aux résultats des examens médicaux et ne juge de son état qu’à travers eux.
Le transhumaniste Laurent Alexandre est d’un avis contraire, il vise à « euthanasier la mort » pour vivre mille ans et plus*. Il suffirait de modifier notre nature humaine par des interventions technologiques en utilisant la puissance des NBIC (nanotechnologies, biologie, informatique et sciences cognitives).
Ivan Illich s’étonne de la technicisation de la mort dans son ouvrage La perte des sens : « Dans la tradition galénique, les médecins étaient formés à reconnaître la facies hippocratica, l’expression du visage indiquant que le patient était entré dans l’atrium de la mort. A ce seuil, le retrait était la meilleure aide qu’un médecin pût apporter à la bonne mort de son patient. Ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle qu’apparaît le docteur en blouse blanche aux prises avec la mort, qui arrache le patient à l’étreinte de l’homme-squelette. De même que l’habitude d’aller « en voiture » atrophie les pieds, la médicalisation de la mort a atrophié le sens intransitif de vivre ou de mourir. La gestion de l’agonie a fini par apparaître comme la tâche de l’équipe médicale, la mort étant décrite comme la défaite de ladite équipe. L’âge industriel réduit l’autonomie somatique, la confiance dans ce que je sens et perçois de mon état. Les gens souffrent maintenant d’une incapacité à mourir. Peu sont capable d’envisager leur propre mort dans l’espoir qu’elle apporte la dernière touche à une vie active, vécue de manière intransitive. »
Laurent Alexandre croit au miracle technologique : « La demande de vivre plus longtemps est insatiable. La fusion de la biologie et des nanotechnologies va transformer le médecin en ingénieur du vivant et lui donnera peu à peu un pouvoir fantastique sur notre nature biologique. Un enfant qui naît aujourd’hui aura probablement une espérance de vie nettement plus longue… de quoi atteindre 2150 et, peut-être, de proche en proche, atteindre 1 000 ans. Faust, de retour grâce aux technologies NBIC. La fixation des limites dans la modification de l’espèce humaine conduira très certainement à des oppositions violentes entre bioconservateurs et transhumanistes. » Inutile de préciser que Laurent Alexandre est à la tête d’une entreprise de biotechnologie.
De notre point de vue, les pénuries d’énergie et autres ressources naturelles vont rendre impossible le projet transhumaniste à moins de le réserver à une caste qui accaparerait tous les pouvoirs. Nous ne voulons pas de cette société là, nous préférons naître et mourir de façon la plus naturelle possible.
* LE MONDE science&médecine du 5 juin 2013, Vivre mille ans ?
Il faudrait demander à Laurent Alexandre de lire par exemple les ouvrages de Jean-Marc Jancovici ou de Hugues Stoeckel pour qu’il comprenne que cette fuite en avant technologique est entièrement dépendante de la disponibilité en énergie et en matériaux . Or justement, cette double disponibilité (partiellement interdépendante) va bientôt être mise en cause.
Mais bien entendu, en plus de cet impossible technologique, se pose la question de fond. L’homme a-t-il vocation a abandonner sa soumission aux contraintes naturelles de la vie ? Je pense (je devrais dire, je ressens) que non, c’est à discuter.
A titre d’information et dans la même veine de délire technologique, certains envisagent de remplacer les insectes pollinisateurs (que l’on sait menacés) par des mini drones. Nous nous prenons pour Dieu. C’est une faute de l’intelligence car nous sous-estimons la complexité des mécanismes en cause dans les équilibres écologiques. C’est aussi un péché d’orgueil, je crains qu’il ne soit rapidement sanctionné.