Le film de Daniel Goldhaber, Sabotage

Le film « Sabotage «  (titre original : How to Blow Up a Pipeline) est présenté le 10 septembre 2022 au festival international du film de Toronto 2022 et sort aux États-Unis le 7 avril 2023.

La génération actuelle se sentant trahie par les précédentes, qui lui lèguent une planète aux allure de poubelle, a-t-elle raison d’opter pour la violence la plus radicale ? Oui, répond Daniel Goldhaber avec ce film militant dans lequel il adopte fidèlement le manifeste du Suédois Andreas Malm, « Comment saboter un pipeline ». Que l’on apprécie ou non le choix de ces militants , le film atteint son but : faire réfléchir. (recension du Canard enchaîné, 26 juillet 2023)

Face à l’urgence écologique, un groupe de jeunes activistes se fixe une mission périlleuse : saboter un pipeline qui achemine du pétrole dans tous les Etats-Unis. Car parfois, le seul moyen d’être entendu est de passer à l’action. (ALLOCINÉ)

Son film est une bombe. Artisanale et métaphorique. Car si les huit personnages de Sabotage, en salles depuis le 26 juillet, mettent bien leur colère et leurs compétences en commun pour faire sauter un oléoduc dans le désert du Texas, le film de Daniel Goldhaber est moins un mode d’emploi pour apprenti artificier qu’un appel, joyeux et déterminé, à entrer en dissidence. .. Daniel Goldhaber, réalisateur de “Sabotage”, dans l’interview : “Je suis la dernière personne qui irait faire sauter un oléoduc !” (Téléréma)

Pour en savoir plus sur le sabotage des mécanismes thermo-industriels

Écologie, la tentation du sabotage (mai 2023)

Hymne au sabotage dans Le Guardian (décembre 2021)

L’appel au sabotage relève de la liberté d’expression (janvier 2015)

https://revuecommune.fr/2023/07/29/sabotage-de-daniel-goldhaber-braquage-ecologiste/

« Lisez-vous Andreas Malm ? » C’est la question qu’a frontalement posé la police française à nombre des militants écologistes récemment interpellés suite à la mobilisation de Sainte-Soline. Dans la foulée, tout affairé à nous faire revivre les joies des années 1930 du siècle dernier, Gérald Darmanin citait parmi les motifs de dissolution des Soulèvements de la Terre l’influence tentaculaire de l’auteur suédois, dont l’œuvre la plus célèbre demeure Comment saboter un pipeline. Sans le vouloir, ils ont préparé fort généreusement le terrain pour l’arrivée dans nos salles du deuxième long-métrage de Daniel Goldhaber.

Adapter un essai sous forme de fiction : l’idée est audacieuse et, pourrait-on croire, casse-gueule. Et c’est là que d’emblée, Sabotage se démarque. Là où tant d’autres films politiques ont embrassé leur sujet sous l’angle de la dénonciation et du tragique, ou de l’exaltation incantatoire de leur noble cause, ici nous suivrons comme sept samouraï, comme de grands évadés ou comme un gang de braqueurs les huit personnages centraux, qui se sont fixé comme but commun de faire exploser le pipeline texan qui achemine la plupart du pétrole étasunien.

Leurs motivations sont diverses : des militantes lassées d’activités insignifiantes dans les limites autorisées par la loi, l’une d’elles ayant développé un cancer dû à son exposition à des produits toxiques, un redneck texan exproprié de ses terres par une compagnie pétrolière, un couple d’écolos déglingués motivés par l’aventure, un jeune amérindien impliqué dans la lutte de son peuple dans le Dakota du Nord… Leurs trajectoires sont différentes, mais la lutte les unit contre un ennemi commun : l’extractivisme des compagnies pétrolières, qui exproprient, polluent et influencent notoirement les décisions publiques.

Si la pertinence de leur choix politique sera débattue dans le film, et si la rhétorique y joue un rôle dramaturgique important, la force de Sabotage réside pourtant dans le fait de ne pas faire de la question morale (faut-il ou ne faut-il pas faire sauter ce pipeline ?) le centre du scénario, écrit à quatre mains par le cinéaste et l’actrice principale Ariela Barer. Si la question se pose, elle est à fort juste titre assez vite répondue. Non, ce qui fait tout le sel de ce film mi-western mi-braquage mi-film-d’évasion (pas moins de trois moitiés donc), c’est d’avoir placé au cœur du drame la question pratique. Comment vont-ils s’y prendre ? Quelles seraient les conséquences et comment les anticiperont-ils ? Leurs différents parcours seront-ils un obstacle à la réalisation de leur projet ? Et surtout : parviendront-ils à leurs fins ?

Et c’est là que le film réussit son premier pari : réconcilier la politique radicale avec la joie de l’action, la perspective du fait accompli, plutôt que la continuelle (quoique parfois nécessaire) déploration de nos échecs. Pas de parti-pris radicaux dans la mise en scène, mais au contraire une certaine exigence de justesse au plus près de l’action et des personnages : c’est donc dans la narration, riche en rebondissements à la manière d’un Usual Suspects, que se trouve le noyau d’un film porté par un casting jeune et habité.

A peine la projection de presse terminée, fusent les questions, tant des journalistes que des militants. Certaines ont déjà été anticipées dans le film, d’autres non. Et patiemment, Daniel Goldhaber et Ariela Barer leur répondent.

  • « Votre film montre seulement quelques personnages qui se battent dans une situation exceptionnelle alors que le plus important c’est le quotidien et le collectif ! » s’insurge un premier intervenant. Il lui est répondu que les deux temporalités et les deux stratégies ne sont nullement exclusives l’une de l’autre, et peuvent au contraire s’avérer complémentaires.
  • « Pourquoi avoir fait un film Benneton avec des lesbiennes, un amérindien, une afro-américaine et un redneck ? ». Soupir. « Parce que c’est ce à quoi ressemblent nos luttes », lui est-il rétorqué.
  • Nous posons à notre tour une question qui fâche : et s’il fallait verser le sang pour parvenir à ses fins ? Y a-t-il une limite à l’action directe, et si oui laquelle ? Là, le réalisateur convoque son auteur-inspirateur Andreas Malm. « Pour préserver l’avantage moral auprès d’un public large, il importe de bien choisir sa cible. Ne pas s’en prendre aux personnes, mais aux symboles et aux biens. L’idée est de présenter la thèse de Malm sous sa forme chimiquement pure ».

Quant à savoir si la situation se présentera exactement dans cette configuration, si nous pouvons encore nous permettre le luxe d’actions symboliques, c’est l’avenir des luttes qui nous le dira.

Anastase Borisévitch Oniatovsk