Le nucléaire, inacceptable dans un pays démocratique

Dès l’origine, le nucléaire civil étant l’enfant reconnu du nucléaire militaire, la construction de réacteurs relevait d’un système dirigiste et non d’un système démocratique. En 2007, juste après la première intrusion de Greenpeace dans une centrale, le gouvernement avait mis en place deux premières unités du PSPG (Peloton spécialisé de protection de la gendarmerie nationale). Nous aurions aujourd’hui 20 unités soit 740 militaire. Dès le 18 octobre 1945, Charles de Gaulle crée le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA). Cet organisme est destiné à poursuivre des « recherches scientifiques et techniques en vue de l’utilisation de l’énergie nucléaire dans les domaines de la science, de l’industrie et de la défense nationale ». La France s’est lancé dans l’opération qui sépare l’uranium des radionucléides comme le plutonium. Il fallait trouver dans les années 1950 un moyen de fabriquer du plutonium qui n’existe pas à l’état naturel ; c’est un produit de l’irradiation de l’uranium. En 1953, pour rendre le nucléaire acceptable par la population, le général Eisenhower résume en une phrase : « Atom for peace ». Les applications du nucléaire sont bonnes pour tout le monde… L’annonce de la conférence de Stockholm (1er sommet de la Terre) en juin 1972 a laissé le président Pompidou de marbre ; la veille de la conférence, une campagne d’essais de la bombe H française avait été lancée sur un atoll polynésien.

En 1973, EDF propose de construire des réacteurs en série. En proie à des douleurs crucifiantes, le président Pompidou laisse Messmer conduire l’affaire. Début décembre 1973, le secrétaire général à l’énergie téléphone à Marcel Boiteux (patron d’EDF de 1967 à 1987) : « Il est neuf heures du matin, j’ai besoin de savoir avant midi quel est le nombre maximum de tranches nucléaires qu’EDF s’estime capable d’engager chaque année. » A midi Marcel Boiteux rappelait Couture et bluffait : « pas plus de six ou 7 tranches par an… quatre sans doute ». Les 51 réacteurs sous licence Westinghouse ont été construits en treize ans, de 1971 à 1984. La France prenait des décisions structurantes sans se préoccuper ni de leurs coûts, ni de leur utilité économique. Le parc nucléaire s’est trouvé surdimensionné dès l’origine. Le raisonnement était simpliste, on croyait que la consommation d’électricité allait doubler tous les dix ans ! Pour justifier l’obésité atomique, la solution fut de développer le chauffage électrique de manière massive. Le choix des sites des centrales n’a pas été réalisé en fonction de l’analyse des risques potentiels, mais en fonction des facilités d’expropriation. Le Conseil des ministres avalise une première tranche de 13 réacteurs. C’est le « plan Messmer ». L’Assemblée nationale n’est même pas consultée. Dès le mois de juin 1975, un conseil des ministres de Valéry Giscard d’Estaing programme, pour les quatre années suivantes, le lancement de 29 réacteurs supplémentaires. Pourtant Giscard n’a jamais vu une centrale nucléaire, il ira à Gravelines seulement en octobre 1979. Ces monstres de puissance sont pilotés par une poignée de techniciens auxquels on fait confiance aveugle. Les électeurs n’ont jamais été appelés à se prononcer pour ou contre le nucléaire en France. On évite la question nucléaire dans les débats nationaux. Dans les années 1970, la tâche des journalistes spécialisés en nature et environnement qui souhaitaient informer sur le nucléaire civil était à la fois simple et redoutablement difficile : face au black-out quasi-total de l’information, il leur fallait d’abord dénicher des données critiques, souvent apportées par des associations comme l’APRI (Association pour la protection contre les rayonnements ionisants). En 1986, le Pr Pellerin avait tenté de nous faire croire que le nuage de Tchernobyl avait contourné la France !

Droite et gauche vont la main dans la main, toujours pro-nucléaire (et anti-écolo). Dans les 110 propositions pour la France de 1981, François Mitterrand promettait : « Le programme nucléaire sera limité aux centrales en cours de construction en attendant que le pays puisse se prononcer par référendum. » Nous attendons toujours le référendum…Au cours de ces deux septennats, Mitterrand va inaugurer 38 réacteurs sur les 58 en fonctionnement aujourd’hui. Au fond de lui-même, Mitterrand assimile la technologie nucléaire au progrès. Jacques Chirac entre à l’Élysée le 17 mai 1995. Cette même année, Chirac donnait l’ordre de reprendre les essais nucléaires dans le Pacifique ! En 2004, la construction d’un EPR à Flamanville est annoncée. Elle apparaît dans la loi sur l’énergie de juillet 2005. Ce n’est qu’après, que le débat public obligatoire est organisé ! Quant à l’enquête publique, elle est réalisée en plein été 2006. Les mouvements de protestation ont beau se multiplier, le décret autorisant EDF à construire l’EPR est publié juste avant la présidentielle de 2007. Quelques mois plus tard, Nicolas Sarkozy lance le Grenelle de l’Environnement et exclut d’office des débats la question du nucléaire. En janvier 2009, il annonce la création d’un deuxième EPR (à Penly, près de Dieppe) sans aucune concertation non plus. La décision a été prise à l’Elysée par le chef de l’Etat lui-même…après discussion avec les représentants du lobby nucléaire. Nicolas Sarkozy a mis le nucléaire « hors-Grenelle de l’environnement ». Sarkozy poursuit la politique de ses prédécesseurs, glorification des centrales nucléaires « civiles » et soutien inconditionnel à « l’assurance-vie » d’une nation que constituerait la dissuasion nucléaire.

Instaurée par la loi de transition énergétique d’août 2015, la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) vise à définir une feuille de route plaçant le pays sur la bonne trajectoire pour atteindre ses objectifs à long terme. Fin juin 2018, 100 parlementaires LRM signaient une tribune dans Le Monde pour demander que la PPE soit examinée à l’Assemblée. Le gouvernement y a opposé une fin de non-recevoir. Les citoyens ont été mis devant le fait accompli. Comment défendre un projet nucléaire qui n’a aucune assise démocratique ?

9 réflexions sur “Le nucléaire, inacceptable dans un pays démocratique”

  1. Gérard Weil

     » Que je sache, aucun pays démocratique n’a voté pour la sobriété énergetique. On vote partout pour avoir des élus qui promettent d’augmenter le niveau de vie et le pouvoir d’achat. »

    C’est bien cela le problème!

  2. @ Bonjour Didier

    Ouaip ! Plus rien ne marche, c’est bien ça ! Mais bon, il faudra bien faire prendre conscience à la population qu’en temps de déplétion d’énergie, il va bien falloir avoir les sens des priorités, dont l’eau fait partie (cuisson des aliments, hygiène, etc). Déjà rappeler que l’hygiène a été un vecteur plus important que la médecine pour notre espérance de vie, mais aussi notre santé au quotidien. Deuxième point rappeler que l’eau bon marché qui sort du robinet, c’est aussi grâce à l’énergie. Mais ce n’est pas parce que l’eau ne coûte pas cher à ce qu’il faille ne plus la considérer comme une richesse, parce que les gens en général se sentent dans la misère alors que l’eau coule en abondance à leur domicile, ils n’ont pas trop conscience de vivre le luxe d’être en capacité de prendre plusieurs douches dans une journée si l’envie l’en prend, alors que dans bien d’autres pays du monde c’est déjà une galère d’en obtenir pour juste boire. Le truc étant qu’ils prennent l’eau potable, y compris pour prendre des bains, comme demeurant un acquis éternel pour tous, ils n’ont pas encore trop fait le lien avec les énergies fossiles, et les médias n’en parlent jamais, tant il est vrai que de parler des cuites de Junker est une information plus importante à traiter. Le fait que l’eau courante ne représente pas grand chose sur la facture laisse à penser auprès de beaucoup à ce que ne soit plus une richesse.

  3. Bonjour Didier,

    L’Europe est particulièrement vulnérable aux pics des ressources fossiles, car 1/ on est obligé d’en importer la quasi totalité 2/on n’a pas les moyens financiers et militaires pour s’assurer des approvisionnements.
    L’effondrement ne sera pas global..
    Donc avoir une source d’énergie pour limiter la casse, c’est probablement une bonne idée.

  4. Bonjour Thierry C,

    Une nouvelle fois je partage votre raisonnement, vos réponses me semblent très judicieuses, et cette idée d’amoindrissement de la vitesse d’effondrement est essentielle. C’est en effet une voie de sortie. En réduisant la vitesse on en évite les conséquences les plus dramatiques, on en change ainsi pour une part la nature en en changeant les modalités (de manière générale d’ailleurs les ordres de grandeurs sont un élément essentiel de la nature des choses, on l’oublie trop souvent).

    Pour autant, on doit tenir compte de la part modeste du nucléaire dans le monde. Si effondrement il y a, il risque d’être mondial, et il n’est pas certain que la situation particulière d’un pays (la France très nucléarisée par exemple) puisse changer fondamentalement la donne en matière d’effondrement.

    Si le monde s’effondre, notre relative meilleure résilience grâce à une telle source d’énergie n’y changera pas grand chose, L’économie (et entre autre celle qui est nécessaire à l’ensemble de la filière nucléaire, l’approvisionnement en combustible notamment) sera suffisamment impactée pour ne pas permettre un fonctionnement local déconnecté des bouleversements mondiaux.
    Bon j’avoue, je suis très pessimiste.

    Pour Bga 80 (bonjour aussi) et la remarque sur l’eau, oui bien sûr vous avez raison et l’on pourrait encore augmenter la liste, en fait sans énergie, plus rien ne marche.

  5. Bonjour Didier,
    Je me suis aussi fait les mêmes réflexions.

    Sur le 2e point, la réponse est je pense: construire une centrale nucléaire requiert beaucoup moins d’énergie et de matériaux par kWh produits qu’avec des EnR électriques (surtout en prenant en compte les équipements pour compenser l’intermittence). En outre, nous n’allons pas dans un monde sans pétrole, mais un monde où la production de pétrole va stagner puis baisser. Ça rendra nécessaire de mieux l’utiliser, mais ça n’empêchera pas la fabrication de centrales tant que les EROI sont satisfaisant. C’est même sans doute une manière intelligente d’utiliser les énergies fossiles qu’il nous reste, pour préparer la suite.

    Concernant « la gestion des centrales dans un monde en plein effondrement », je pense qu’il y a plusieurs aspects à considérer : 1/Le but de garder une production d’énergie nucléaire est justement d’éviter un effondrement, ou du moins de ne pas percuter le mur trop vite en minimisant autant que possible le taux de descente énergétique dur à la déplétion des ressources fossiles (voir les vidéos récentes de Jancovici). 2/Le nucléaire requiert relativement peu de personnel par unité d’énergie produite. Vue la nécessité pour toute civilisation d’avoir des sources d’énergies, les états feront tout ce qu’il faut pour former les gens, et maintenir les installations en état.
    Note que ces états seront d’autant moins démocratiques que l’effondrement sera rapide: si les gens ne votent pas pour la sobriété, elle leur sera imposée d’une manière ou d’une autre On peut donc inverser la proposition de ‘biosphere’: Le nucléaire, parce qu’il permet de limiter les conséquences de la déplétion des ressources fossiles et du réchauffement climatique, est un facteur pour maintenir une relative démocratie dans un pays.

  6. @ Didier Barthès

    Entièrement d’accord, sans énergies fossiles, fini le nucléaire et panneaux solaires. Tu devrais pousser le raisonnement encore plus loin, fini l’installation de l’eau courante concernant les tuyauteries et notamment le traitement des eaux usées dépendant de l’énergie nucléaire concernant la France.

  7. Bonjour Thierry C,

    Je suis assez d’accord avec toutes vos remarques et notamment celle qui souligne malicieusement qu’aucun pays n’a voté pour la sobriété énergétique. Le choix des allemands me semble également très critiquable du point de vue écologiste.

    Pour le nucléaire il faut toutefois souligner une difficulté que je trouve trop souvent négligée (curieusement même parmi les anti-nucléaires), c’est que la gestion des centrales dans un monde en plein effondrement posera des problèmes de sécurité autrement plus important que ceux que nous connaissons aujourd’hui, ne parlons même pas de ce qui se passerait en cas de conflit armé.
    Quid aussi si tout simplement nous n’avons plus les filières de formation pour les ingénieurs chargés de les faire fonctionner ?

    Enfin ultime remarque l’ensemble des énergies non fossiles (énergie nucléaire comme celles dites renouvelables) sont entièrement dépendantes…. des énergies fossiles. Impossible de monter et d’entretenir des centrales nucléaires ou des éoliennes dans un monde sans pétrole, impossible de produire des panneaux photovoltaïques non plus (de toute façon leur rendement énergétique est très discutable dès lors qu’on intègres leur fabrication leur montage, leur entretien et leur recyclage très difficile).
    Bref seule la sobriété marche…. la méthode pour qui, justement, personne n’a voté.

  8. La plupart des autres pays ont choisi d’utiliser les énergies fossiles pour produire de l’électricité. Est ce que la décision a été plus « démocratique » ? Dans quels pays les électeurs ont voté pour ou contre le charbon ou le gaz ?

    Que je sache, aucun pays démocratique n’a voté pour la sobriété énergetique. On vote partout pour avoir des élus qui promettent d’augmenter le niveau de vie et le pouvoir d’achat.

    Note que les Suédois ont explicitement votés pour continuer le nucléaire, notamment pour des questions climatiques. C’est le pays le plus nucléarisé du monde, et pourtant sans doute aussi un des plus démocratique.

    A contrario, les Allemands ont tout aussi démocratiquement décidé qu’ils voulaient arrêter nucléaire avant de fermer les centrales au charbon et au gaz. Ils ont ainsi délibérément choisis de saboter les efforts de l’Europe de baisser les émissions de CO2, ce qui aurait pu avoir un effet d’entrainement. Ils ont démocratiquement décidés de laisser la planète se réchauffer au point de mettre en danger la vie de leurs enfants….

    Bref, les choses sont sans soute un peu plus complexes que le laisse penser la vulgate antinucléaire…

  9. La plupart des autres pays ont choisi d’utiliser les énergies fossiles pour produire de l’électricité. Est ce que la décision a été plus « démocratique » ? Dans quels pays les électeurs ont voté pour ou contre le charbon ou le gaz ?

    Que je sache, aucun pays démocratique n’a voté pour la sobriété énergetique. On vote partout pour avoir des élus qui promettent d’augmenter le niveau de vie et le pouvoir d’achat.

    Note que les Suédois ont explicitement votés pour continuer le nucléaire, notamment pour des questions climatiques. C’est le pays le plus nucléarisé du monde, et pourtant sans doute aussi un des plus démocratique.

    A contrario, les Allemands ont tout aussi démocratiquement décidé qu’ils voulaient arrêter nucléaire avant de fermer les centrales au charbon et au gaz. Ils ont ainsi délibérément choisis de saboter les efforts de l’Europe de baisser les émissions de CO2, ce qui aurait pu avoir un effet d’entrainement. Ils ont démocratiquement décidés de laisser la planète se réchauffer au point de mettre en danger la vie de leurs enfants….

    Bref, les choses sont sans soute un peu plus complexes que le laisse penser la vulgate antinucléaire…

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