Le pacifisme, marginalisé par LE MONDE

« Pacifisme » possède deux acceptions possibles juxtaposant l’action des partisans de la paix et la doctrine de la non-violence. D’une part, la généralisation de la défense civile en cas de conflits de tous ordres, d’autre part le refus du recours à toutes formes de violence (pacifisme radical). Il est vrai que l’apprentissage de la résistance à l’oppression se lie souvent à l’utilisation de méthodes non violentes. Mais plus fondamentalement le pacifisme s’oppose frontalement à la militarisation d’une société. Au principe agressif « si tu veux la paix, prépare la guerre » s’oppose le principe de recherche des alternatives à la lutte armée, « si tu veux la paix, prépare la paix ».

Le mot pacifisme a pourtant mauvaise côte, il suffit de considérer les articles du MONDE. Le terme y est peu utilisé mais a été remis au goût du jour à l’occasion du conflit en Ukraine.

22 mai 2022, Pourquoi la France a le pacifisme honteux

En Allemagne et en Italie, la fourniture d’armes à l’Ukraine provoque davantage de débats. Pour les Français, la priorité donnée au concept de paix entre les nations ne va pas de soi, en raison, notamment, du souvenir de la défaite de juin 1940. Le choix du chef de l’Etat d’apporter un soutien militaire affirmé à l’Ukraine, avec la livraison d’équipements défensifs mais aussi de systèmes d’armements complexes, semble faire l’objet d’un large consensus.

Pourtant le volume XI de l’Encyclopédie, publié en 1765, indique ainsi à l’article « Paix » : « Si la raison gouvernoit les hommes, si elle avoit sur les chefs des nations l’empire qui lui est dû, on ne les verroit point se livrer inconsidérément aux fureurs de la guerre, ils ne marqueroient point cet acharnement qui caractérise les bêtes féroces. » Au point que la Révolution française, qui se veut « fille des Lumières », déclare ainsi dans un décret du 22 mai 1790 que la nation française « renonce à entreprendre aucune guerre dans la vue de faire des conquêtes et déclare qu’elle n’emploiera jamais la force contre la liberté d’aucun peuple ».

7 mai 2022, Guerre en Ukraine : les intellectuels allemands se déchirent entre pacifisme et soutien militaire

La raison de leur mobilisation : le feu vert donné par le gouvernement, le 26 avril, pour livrer des armes lourdes à l’Ukraine. La jeune ministre des affaires étrangères, l’écologiste Annalena Baerbock, âgée de 41 ans, est représentative d’une génération incapable de « voir la guerre autrement qu’en termes de victoire ou de défaite ».

6 avril 2022, Un siècle avant la guerre en Ukraine, la gauche se déchirait déjà sur le pacifisme

En 1914, la gauche se divise face au conflit entre les partisans d’une « union sacrée », gouvernement rassemblant toutes les forces politiques, et ceux qui veulent à tout prix faire taire les armes. Le jour de son assassinat, le 31 juillet 1914, Jean Jaurès signe un ultime éditorial dans L’Humanité, faisant appel à « l’intelligence du peuple » pour « écarter de la race humaine » le péril imminent de la guerre. Le lendemain, 1er août, jour de la mobilisation, Léon Jouhaux, secrétaire général de la CGT et proche de Jaurès, se prononce pour « l’union sacrée », assimilée au concept de la Révolution française sur la « patrie en danger ».Aujourd’hui Anne Hidalgo (Parti socialiste) et Yannick Jadot (Europe Ecologie-Les Verts) se posent en défenseurs de l’Ukraine, plaidant pour des livraisons d’armes à ce pays. Jean-Luc Mélenchon se dit « exaspéré » par « les va-t-en-guerre ». Des écologistes qualifient M. Mélenchon de « Munichois » et Mme Hidalgo l’accuse d’avoir fait partie « des agents qui ont servi les intérêts de Poutine plutôt que ceux de la France ». Le clivage a la vie dure.

25 mai 2023, En Allemagne et au Japon, le crépuscule de l’idéal pacifiste

Dans ces deux pays, le pacifisme répondait à la définition qui en avait été donnée au 16e congrès universel de la paix, tenu à Munich en 1907 : une doctrine d’action pour « supprimer la guerre et résoudre par le droit les différends internationaux ».

En 1947, le Japon introduisit dans sa Constitution un article par lequel il « renonce pour toujours à la guerre en tant que droit souverain de l’Etat et à la menace ou l’emploi de la force comme instrument pour résoudre les conflits internationaux ». La transformation de l’Archipel en puissance militaire s’est faite par glissements interprétatifs de l’article 9 de la Constitution avec la création, en 1954, de « forces d’autodéfense », qui sont peu à peu devenues une armée à part entière. 

Adoptée en 1949, la Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne (RFA) est moins restrictive. Si le préambule stipule que le « peuple allemand » est « animé de la volonté de servir la paix du monde en qualité de membre égal en droits dans une Europe unie », seuls les « actes susceptibles de troubler la coexistence pacifique des peuples (…) en vue de préparer une guerre d’agression sont inconstitutionnels », précise l’article 26. A partir des années 1990, sa participation à plusieurs opérations extérieures – de l’ex-Yougoslavie à l’Afghanistan en passant par le Sahel – n’a pas changé la donne : celles-ci se sont limitées à des actions de maintien de la paix, et l’Allemagne est fondamentalement restée une « puissance civile ». Mais la décision de soutenir militairement l’Ukraine, en rupture avec la doctrine de ne pas livrer d’armes à des pays en guerre, a été acceptée par la société. Et quand le Chancelier Scholz a affirmé, en juin 2022, que la hausse des dépenses militaires allait conduire l’Allemagne à avoir « la plus grande armée conventionnelle d’Europe », la phrase est passée quasiment inaperçue.

19 mai 2023, Guerre en Ukraine : « Le Vatican peine à nommer les choses avec justesse »

Le propos du pape sur l’Ukraine a été d’une étonnante brutalité. Parlant non seulement de « guerre insensée » [en décembre 2022], François a, cette fois-ci, fustigé, en Hongrie, « l’infantilisme belliqueux » de l’Occident, avant de plaider la cause de la paix par la renonciation aux armes et par la négociation. La propagande du pouvoir poutinien ne répugne pas à parler ce langage. L’argumentation présente du pape évoque irrésistiblement 1938 et les illusions des négociateurs de Munich. Fallait-il parler avec Hitler pour le ramener au droit international ? Faut-il parler avec Poutine, envahisseur du Donbass, après la Crimée, pour trouver un modus vivendi ? La vérité est qu’on ne négocie pas avec le diable.

Sur le concept de « Désarmement »

Le désarmement n’a pas de place dans les titres du MONDE, sauf s’il s’agit de parler de désarmement nucléaire, et encore !

21 février 2023 : Stéphane Hessel : Exigez un désarmement nucléaire total !

Le stock actuel de bombes nucléaires s’élève à 20 000, avec une puissance en moyenne 30 fois supérieure à celle de la bombe qui détruisit Hiroshima. Pire encore : environ 2 000 de ces bombes sont en état d’alerte permanente, prêtes à être lancées dans les quinze minutes ! L’emploi d’une centaine de ces bombes provoquerait une baisse de la température dans tout l’hémisphère concerné pendant une année, détruisant les récoltes et créant une pénurie alimentaire. Si le nombre de bombes utilisées devait atteindre le millier, l’hiver nucléaire serait catastrophique : obscurité épaisse, température au sol de zéro degré et destruction de la couche d’ozone. L’irradiation ultraviolette du Soleil finirait alors d’achever les survivants ainsi que la plupart des espèces vivantes ! L’argument selon lequel ce stock aurait contribué d’une quelconque façon à la paix n’est pas tenable, vu la multiplication des conflits actuels. La bombe n’est pas une « assurance-vie », mais plutôt une « assurance-décès »…

3 réflexions sur “Le pacifisme, marginalisé par LE MONDE”

  1. Le Pacifisme est-il vraiment marginalisé par LE MONDE ? Ces articles en lien traitent pourtant bien le sujet. Quoi qu’il en soit qui donc peut-il être CONTRE la Paix ? Mis à part certains grands malades évidemment. Par contre c’est vrai que la question du Désarmement est rarement évoquée dans les meRdias.
    Ces sujets, évidemment liés, sont compliqués. Comme beaucoup d’autres certes. Déjà parce que le Pacifisme peut-être entendu de diverses façons. Ensuite parce qu’ici, comme ailleurs, les choses ne peuvent pas être blanches ou noires. Enfin parce que les débats tournent généralement en «débats» et ne mènent donc à rien. De bon en tous cas. Le Désarmement (pas seulement nucléaire) ne peut passer que par la Décolonisation des imaginaires. Autant dire que ce n’est pas demain la veille. Ceux qui sont tentés par ce combat (contre soi) peuvent toujours lire La Décroissance juillet-août 2024 : Désarmons la France !

  2. Vaste problème car si l’on peut évidemment apprécier la démarche générale du pacifisme, on se trouve en pratique devant des échéances de court terme qui viennent la rendre difficile.
    Le cas de l’Ukraine est emblématique, le pacifisme qui consiste à ne pas faire la guerre revient à donner un blanc seing à l’envahisseur qui, lui, la fait la guerre, si l’on arrête immédiatement, c’est la dictature qui a gagné et cela s’est reproduit plusieurs fois dans l’histoire.
    Remarquons d’ailleurs que la Révolution Française (bien peu humainement vertueuse par ailleurs) disait d’ailleurs qu’elle renonçait aux conquêtes par les armes mais non à se défendre.
    Éternel conflit du principe philosophique et de son application concrète dans des circonstances données

    1. – « Éternel conflit du principe philosophique et de son application concrète dans des circonstances données »
      Oui, c’est exactement ça ! Pour une fois bravo Monsieur Barthès.

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