Le scientifique doit pouvoir être aussi un militant

Un citoyen ne se divise pas. Il a non seulement une tâche professionnelle, mais, qu’il le veuille ou non, il est aussi engagé socialement. Un citoyen-travailleur se doit de toujours conserver un sens moral sur ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Un scientifique est un citoyen avant d’être au service d’un objet d’étude. Prenons l’exemple de James Hansen*. Il est célèbre pour avoir le premier alerté le public sur l’influence des activités humaines sur le changement climatique. Il vient de quitter la NASA pour mener plus librement son action militante en faveur du climat. « En tant qu’employé du gouvernement, vous ne pouvez témoigner contre le gouvernement », justifie-t-il.

C’est anormal d’être obligé de quitter son activité professionnelle pour « pouvoir se consacrer entièrement à la recherche scientifique, mobiliser l’attention des jeunes sur les implications du réchauffement et expliquer ce que la science recommande ». C’est anormal de devoir se mettre à plusieurs reprises en congé de la NASA pour participer à des manifestations pour le climat. C’est anormal de s’être vu interdit de parler à la presse sous l’administration du président George W. Bush alors même que ce gouvernement faisait preuve de climato-scepticisme militant. La neutralité n’existe pas, que ce soit dans le milieu scientifique, dans le milieu enseignant ou dans n’importe quel milieu professionnel : se taire, c’est déjà soutenir le système en place.

C’est une bonne chose que James Hansen, auditionné par une commission du Sénat en 1988, puisse annoncer être certain à « 99 % » que le climat terrestre était entré dans une période de réchauffement provoqué par les activités humaines et non par la variabilité naturelle du climat. C’est une bonne chose que de grands scientifiques comme lui s’engagent explicitement pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. C’est une bonne chose de pouvoir accuser ses adversaires climatosceptiques de perpétrer des « crimes contre l’humanité et la nature ». Une température mensuelle mondiale inférieure à la moyenne du XXe siècle n’a plus été observée sur Terre depuis le mois de février 1985.

Le devoir de réserves n’existe pas quand on a la légitimité avec soi. L’Etat se doit de protéger les lanceurs d’alerte : « Toute personne physique ou morale a le droit de rendre publique ou de diffuser de bonne foi une information concernant un fait, une donnée ou une action, dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui paraît dangereuse pour la santé ou pour l’environnement. » Le Parlement français a adopté, mercredi 3 avril 2013, la proposition de loi qui vise à protéger ces « lanceurs d’alerte » et à renforcer l’indépendance des expertises scientifiques**. Le texte veut éviter que les lanceurs d’alerte soient victimes de discrimination professionnelle «pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi », à leur employeur ou aux autorités, « des faits relatifs à un danger pour la santé publique ou l’environnement » dont ils auraient eu connaissance par leurs fonctions. C’est la première fois de son histoire que le Parlement adopte un texte porté par les écologistes. Il s’agissait pourtant d’un sujet brûlant, qui ramène au-devant de la scène des dossiers comme le tabac, l’amiante, la prescription de médicaments à risque, l’exposition aux pollutions chimiques ou aux ondes électromagnétiques… Mais protéger les lanceurs d’alerte n’est qu’un premier pas pour valoriser le pouvoir des citoyens de lutter contre un système qui détériore gravement la planète.

* Le Monde.fr 03.04.2013, Le climatologue franc-tireur James Hansen quitte la NASA

** Le Monde.fr 3.4.2013, Le Parlement adopte la loi sur les « lanceurs d’alerte » sanitaires ou environnementaux