Nous considérons l’effondrement moins comme un évènement que comme un processus qui a déjà débuté et qui mène à une situation d’apartheid permanent entre d’une part des populations privilégiées ayant les moyens de sauvegarder leur niveau de vie et d’autre part le reste du monde, victime d’un marasme économique, de calamités naturelles ou de guerres dévastatrices.
En fait, la séparation entre riches et pauvres est déjà une réalité dans de nombreux endroits, et clairement visible dans l’espace géographique. La comparaison de l’espérance de vie entre les quartiers d’une même ville est dans bien des cas révélatrice du fossé se creusant entre classe populaires et élites. Cette différence atteignait vingt-huit ans en 2008 entre un enfant né dans un quartier riche de Glasgow au sud et à l’ouest et un autre né dans un quartier à l’est. Un élément vicieux de cette situation de société à deux vitesse est le cloisonnement spatial. La prolifération de quartiers privés révèle cette tendance. Le terme de Gated community désigne ce genre d’enclave résidentielle fermée. Il y a une homogénéisation choisie, que Thierry Paquot appelle ghettos de riches. Cette façon de vivre volontairement entre quatre murs est de plus en plus présente aux quatre coins du monde : peu importe que le contexte se détériore, puisqu’il est invisible, derrière des murs. En permettant d’ignorer l’environnement, elle contribue à sa dégradation. Ajoutons à cela la stigmatisation qui s’amplifie, puisque la pauvreté est concentrée sur un espace délimité, renforçant l’isolement de la zone concernée et sa dangerosité. Cela induit une solidarité restreinte et accroît la méfiance vis-à-vis des «autres». Cela accentue le décalage entre les éloges faites à la mondialisation par une frange de la population intégrée à l’espace mondialisé et une autre partie «assignée à résidence», ne pouvant que contempler les effets négatifs de la globalisation sur son quotidien. Dans bien des destinations, le tourisme n’est organisé que par une séparation entre ceux qui ont les moyens et les autres. Ces bulles touristiques dépourvues de promiscuité avec les classes populaires, ont une armée d’employés mal payés à leur service faisant tourner la machine de l’irréalité.
Comme l’affirme le documentaire «Bunker Cities», le XXIe siècle sera le siècle des murs. D’Israël aux États-Unis en passant par le Bangladesh, le Zimbabwe et plus récemment la Hongrie, la fortification des murs a le vent en poupe. Cette tendance va s’accentuer sous l’effet des catastrophes à venir. Ainsi le mur érigé par l’Inde le long de sa frontière avec le Bangladesh risque fort de se consolider dans les années à venir avec la montée des océans, puisqu’une partie du territoire bengali se trouve au-dessous du niveau de la mer. La ghettoïsation est à la fois une cause et une conséquence du déclin des pouvoirs publics dans leur gestion du territoire. La démocratie est vidée de sa substance et les grands débats de société sont constitués de discussion technocratique dont est exclu toute voix dissidente : il suffit de voir l’érection de barrières et de dispositifs de sécurité pour séparer les grandes rencontres internationales des mobilisations populaires. Des murs partout ! Nous aurons ainsi un monde composé d’îlots de civilisation dans un monde en ruine, lesquels useront de la force militaire pour repousser les réfugiés climatiques. La tragédie de cette histoire est que les exclus sont tiraillés dans des luttes intestines identitaires ou séparatistes au lieu de faire cause commune.
(extraits du livre «De quoi l’effondrement est-il le nom ?» (Renaud Duterme)
éditions utopia 2016, 144 pages pour 8 euros
Tous ce que je viens de lire précédement est tout à fait juste…une brillante analyse..les ghetos des riches qui s’isolent dans leur monde ou ils ont l’impression que l’argent vont les préservés de tout au détriment de tout le reste…
D’un point vue horizontal…l’argent les protège de manière provisoire..mais pas dans ce qui les relie et nous relient tous à l’universelle..seule une prise de conscience d’un point de vue verticale par un échange et une communication non violente pourrait transformer cet état des choses en un pouvoir réparateur…un travail immense pour un résultat immense qui peut commencer par des petits pas…et des petits pas encore…le plus difficile c’est le début d’une nouvelle conscientisation…mais pas du tout impossible.. voilà