L’échec actuel (et temporaire) de l’écologie politique

« Les années 1968-1974 connaissent l’apogée de la contestation du capitalisme comme du soviétisme productiviste : politisation du mouvement de protection de la nature, mobilisations de masse contre les grands projets inutiles de l’époque (nucléaire, camps militaires du Larzac, bétonnage des villes…), rejet de la croissance et du consumérisme tant par des chercheurs (Rapport au club de Rome, déclaration de Menton) qu’à la base par des milliers d’expérimentations de modes de vie alternatifs. C’est la naissance de l’écologie politique en France avec René Dumont aux présidentielles de 1974.

L’écologie politique s’affirmait alors comme héritière de la lutte historique contre le capitalisme industriel, mais autour d’un nouveau paradigme post-productiviste, abandonnant le primat du travail, l’étatisme industrialiste et le culte du « progrès » technique. L’égalisation des conditions, l’émancipation des individus, le respect du vivant et des limites de la planète passaient par ce programme d’action : extension de la sphère de l’autonomie contre les hétéronomies et du mieux-être contre le plus-avoir. Que s’est-il passé pour en arriver à la situation calamiteuse de l’écologie politique et de la planète aujourd’hui ?

                Le rapport Brundtland intronisant le développement durable en 1987 a été un indice du gigantesque effort des élites gestionnaires du capitalisme pour contenir et assimiler la vague subversive de l’écologie politique. Le patronat et l’ensemble des tenants du système (y compris syndicaux) optèrent pour la croissance à tout prix. Les futurologies technophiles rivalisèrent de promesses (énergie illimitée par la fusion, bio-tech-vertes qui nous sauvent de la faim et dépolluent la planète, réconciliation de l’économie et de l’environnement, etc.).  Les mouvements antinucléaires ont été pris de vitesse par la nucléarisation du monde. Les politiques ont été impuissants face à la montée des multinationales. La financiarisation de la planète permet d’absorber les processus écologiques dans les circuits du capitalisme. Parallèlement un libéral-consumérisme a gagné les classes supérieures et moyennes mondiales, pour qui l’hypermobilité, la dépendance aux high-tech numériques et la malbouffe globalisée sont devenues un mode de vie non négociable. » Ainsi s’exprime Christophe Bonneuil*.

                Mais la Nature ne négocie pas et l’argent ne se mange pas. L’économie, pour devenir durable, devra nécessairement s’encastrer dans la réalité biophysique un jour ou l’autre. Plus probable que l’impact du réchauffement climatique, c’est le prochain choc pétrolier, le choc ultime (puisqu’il n’y aura plus d’énergie fossile à découvrir) qui marquera la fin de la société thermo-industrielle. Sans pétrole à bas prix, le système industriel s’arrête et les centrales nucléaires ne peuvent plus être gérées convenablement. Les montagnes de papier-monnaie (devenu virtuel sous sa forme scripturale) deviennent ce qu’elles étaient, des mirages. Sans énergie ni métaux accessibles facilement, toutes les innovations techniques sophistiquées, à base de numérique et de métaux rares, seront abandonnées. Ceux qui pratiquent actuellement la simplicité volontaire et la sobriété énergétique montrent l’exemple. Ce sont ces personnes qui auront le moins d’efforts à faire pour émerger de l’effondrement de notre civilisation sans trop de casse. Un parti écologique digne de ce nom porterait ce message… et ce programme : acquérir le sens des limites.

* extraits du mensuel La Décroissance, septembre 2014, page 15