Malthus avait une approche très contemporaine du phénomène migratoire : « L’émigration, en supposant qu’on en pût faire un libre usage, est une ressource qui ne peut être de longue durée. » Nous savons en effet qu’il n’y a jamais eu libre circulation des personnes. Partout dans le monde ancien, les peuples donnaient un caractère sacré aux portes de leur territoire, village ou ville : aller au-delà impliquait toutes sortes de précaution. Même le roi de Sparte s’arrêtait à la frontière de la Cité pour y effectuer des sacrifices. A l’extérieur était le domaine de l’étranger et du combat. Jusqu’au XVIIIe siècle, seule une minorité de personnes se déplaçait : les soldats, les marchands, les aventuriers et les brigands. La masse de la population était peu mobile et le vagabondage proscrit ; on naissait, vivait et mourait dans le même village. Les frontières nationales érigées au XIXe siècle n’ont fait qu’actualiser cette constante humaine, la délimitation d’une appartenance territoriale.
Mais il est vrai aussi historiquement que l’expansion territoriale a été un déversoir pour l’expansion démographique. Les migrations étaient autrefois des guerres de conquête et la recherche de l’espace vital… jusqu’au Lebensraum des nazis. Comme aucune terre n’était libre d’hommes, que ce soit l’Amérique du nord ou du sud et la plupart des îles, il faut éliminer l’autochtone. Sur ce point aussi, Malthus était perspicace : « On ne peut lire le récit de la conquête du Mexique et du Pérou sans être frappé de cette triste pensée, que la race des peuples détruits était supérieure, en vertu aussi bien qu’en nombre, à celle du peuple destructeur. » (…) « Si l’Amérique continue à croître en population, les indigènes seront toujours plus repoussés dans l’intérieur des terres, jusqu’à ce qu’enfin leur race vienne à s’éteindre. » Nous ne savons que trop que la colonisation par des nations dominantes a été une succession de massacres et d’atrocités. L’impérialisme anglo-saxon à la conquête du monde a été une abomination.
Les migrations économiques et le tourisme de masse ne sont que des migrations temporaires et anormales découlant d’un pétrole « gratuit » et non renouvelable. En fait l’immobilité territoriale est une constante et l’émigration reste source de problèmes. Il n’y a pas de morale à mettre là-dedans : on ne peut vivre durablement que sur un territoire restreint dont on maîtrise collectivement les paramètres : potentiel alimentaire et énergétique, rapports humains de proximité et culture particulière. Si la population sur ce territoire délimité commence à excéder les possibilités du milieu sans qu’on puisse émigrer, c’est là une forte incitation à décider collectivement de la régulation des naissances. C’est ce qu’on peut appeler un phénomène de cocotte-minute, de mise sous pression, qui pousse les autorités à prendre des mesures conséquentes – à être responsable démographiquement -.
Si l’émigration peut servir de soupape de sécurité, elle contribue alors à l’expansionnisme démographique mondial. C’est ce que n’a pas perçu M.Tarrier dans son dernier livre, « Faire des enfants tue… la planète » !
Le malthusien Michel Tarrier penche pour l’immigration : « Le flot des baby-boomers est en rade. Il n’y a qu’un remède à cette dénatalité, un remède qui est aussi une morale : en appeler à de nouveaux arrivants pour faire de nouveaux cotisants, justement tous ces écoréfugiés. Seule l’immigration compensera les pertes intérieures. »
Paradoxalement, il rejoint ainsi le raisonnement des natalistes qui veulent plus de bébés pour « payer les retraites ». Or pousser à de nouveaux arrivants sur le marché du travail ne dit pas s’il y aura ou non dans le futur suffisamment d’emplois ; l’actif pourrait être chômeur, donc classé lui aussi dans la population à charge, surtout avec comme c’est probable un choc pétrolier structurel.
Et puis c’est un cercle vicieux : accroître la population (par la natalité ou par l’immigration), c’est accroître le nombre futur de retraités, donc vouloir encore plus d’expansion démographique dans l’avenir ! Il y a bien d’autres solutions au problème des retraites que la pullulation humaine.