l’économie comme succursale obligée de l’écologie

LE MONDE* s’exclame : « Où est le Keynes du XXIe siècle ? L’Adam Smith de l’ère Internet ? La crise cherche un héraut. » Les théories éprouvées semblent aujourd’hui disqualifiées, que ce soit le libéralisme ou le keynésianisme. La crise des années 1930 avait donné naissance au keynésianisme, politique conjoncturelle de création monétaire et de déficit budgétaire qui avait alimenté les « trente glorieuses  » de l’après-guerre. Mais cette théorie s’est ensuite heurtée dans les années 1970 à la « stagflation », une combinaison d’inflation et de stagnation de l’activité économique (d’où le chômage). Ce phénomène nous a fait croire, au début des années 1980, que l’ouverture des marchés (la mondialisation) et la dérégulation allait relancer ipso facto la croissance alors que ces politiques avaient débouché sur le krach de Wall Street en 1929 ! En fait la reprise des années 1980 n’a été possible qu’à cause du contre-choc pétrolier de 1985, des déficits budgétaires structurels et du crédit facile pour tous. Cette période d’illusion s’est terminée avec l’envolée des prix du baril (147,5 dollars à la mi-juillet 2008) et la crise financière mondialisée qui a suivie : faillite de Lehman Brothers (15 septembre 2008), puis crise des subprimes.

Si « Cette crise fait partie des grandes crises du capitalisme au même titre que 1929 », les perspectives sont différentes puisque toute volonté de croissance, qu’elle soit initié par le secteur public (keynésianisme) ou le secteur privé (libéralisme) se heurte aux limites de la planète. L’économie orthodoxe s’est transformée en religion de la croissance, une chose abstraite dénuée de fondements matériels. Cette croyance est relayée politiquement aussi bien par la droite ou la gauche. Sarkozy voulait aller chercher la croissance avec les dents, Hollande n’a  que le mot croissance à la bouche. Il est difficile de changer mentalement de paradigme quand une période s’achève. Mais avant 1750, il n’y avait pas de croissance. Les progrès de ces 250 dernières années, principalement basés sur l’abondance relative des hydrocarbures, touche à sa fin. Une croissance infinie dans un monde fini est matériellement impossible, c’est ce que sont en train de découvrir la France, l’Europe, le monde entier. La croissance ne reviendra pas et il serait préférable de l’anticiper plutôt que de le subir. Dennis Meadows a co-écrit The Limits to Growth, livre paru en 1972. Il s’exprime ainsi aujourd’hui en montrant la stupidité aveugle des économistes orthodoxes :

« Je suis inquiet. Il y a quarante ans, il était encore théoriquement possible de ralentir le cours des choses et de parvenir à un équilibre. Cela ne l’est plus. Ce qui nous attend est une période de déclin incontrôlé. L’expression « développement durable » est utilisée par les gens pour justifier ce qu’ils allaient faire de toute façon, ne rien changer au fond. Nous ne cessons de filtrer, de biaiser et de sélectionner l’information qui vient à nous. Nous ne voulons pas savoir ce qui se passe réellement, nous voulons seulement la confirmation de ce que nous sommes déjà. On préfère changer la justification de notre paradigme plus que le paradigme lui-même. Dans les années 1970, les critiques de notre livre affirmaient : « Il n’y a pas de limites. Tous ceux qui pensent qu’il y a des limites ne comprennent tout simplement rien. » Dans les années 1980, il devint clair que les limites existaient, ils ont alors dit : «  D’accord, il y a des limites, mais elles sont très loin. Nous n’avons pas à nous en soucier. » Dans les années 1990, il est apparu qu’elles n’étaient pas si éloignées que ça. Les partisans de la croissance ont alors clamé : « Les limites sont peut-être proches, mais nous n’avons pas d’inquiétudes à avoir puisque les marchés et la technologie résoudront les problèmes. » Dans les années 2000, il devint évident que marché et technologies ne résoudraient pas la question des limites. Le raisonnement a changé une fois de plus : « Il faut continuer la croissance, parce que c’est ce qui nous donnera les ressources dont nous avons besoin pour faire face aux problèmes. » On observe des signes d’affaiblissement de la rationalité. Il est tellement plus facile de changer notre raison que de changer notre comportement. Les sans-limites ont donc continué à changer les raisons pour ne pas changer de comportement. Or en 1972, nous avions atteint environ 85 % de la soutenabilité planétaire. Aujourd’hui, nous avons atteint 150 %, dépassé la soutenabilité, nous devons nécessairement décroître. Si nous traversons cette période de déclin sans connaissance et sans préparation, je crains le dépérissement de beaucoup de nos valeurs fondamentales… »**

Il ne s’agit pas de faire un pas en arrière mais un pas de côté. Cela devrait être le rôle d’écologistes économistes que d’accompagner l’invention de ce nouvel imaginaire d’abondance frugale qui nous permettra, peut être, d’échapper à la barbarie et au totalitarisme. Ces analystes, contrairement à ce que postule LE MONDE, existent déjà depuis 1972, publication du rapport du club de Rome sur les limites de la croissance qui coïncide avec le premier sommet de la Terre à Stockholm. Nous pouvons fournir à qui nous le demande une abondante documentation sur la question : biosphere@ouvaton.org

* LE MONDE CULTURE ET IDEES du 17 mai 2013, Economistes en crise

** in Penser la décroissance (politiques de l’Anthropocène) aux presses de la fondation nationale des sciences politiques (2013)

1 réflexion sur “l’économie comme succursale obligée de l’écologie”

  1. Tuesday, May 21, 2013
    As the world continues down the path of unmitigated and unsustainable development, it is becoming increasingly clear that we have successfully pushed ourselves out of the stable geological era of the Holocene and into the more volatile and unpredictable Anthropocene. Nevertheless, many remain blissfully unaware of this truth due to the fact that ecosystem thresholds are not always marked with warning signs of impending danger. Unfortunately, this means that we may actually pass through a tipping point unaware because it is quite possible that nothing significant will happen at first.
    For more information: http://www.worldwatch.org/getting-one-planet-living

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