Les décroissants à l’honneur dans LE MONDE

Denis Meadows a les pétoches aujourd’hui : « Là où je vis, les tempêtes provoquent régulièrement des coupures d’électricité, parfois pendant plusieurs jours. Je me suis donc équipé d’un générateur de secours. J’ai des réserves de nourriture au sous-sol. Je fais le plein lorsque le réservoir de mon véhicule est à moitié vite, afin de ne jamais être à court d’essence en cas d’urgence. »* Denis est un précurseur de la décroissance, il avait en 1972 supervisé un rapport sur les limites de la croissance. Il n’a pas été écouté. A son avis il est trop tard pour bien faire : « Il était plus facile d’envisager des changements fondamentaux avant les années 1990, lorsque nous pouvions nous concentrer sur autre chose que les dommages liés à la multiplication des crises financières et climatiques. Notre mode de vie, gourmand en biens matériels et en énergies fossiles, n’est pas tenable. Mais je vois mal comment les gens pourraient accepter de vivre avec moins. Nous ne choisirons donc pas le changement : il nous sera imposé, plus ou moins brutalement, par la hausse du prix des énergies fossiles et la limitation des ressources. »* En clair il nous prédit la décroissance. Celle-ci fait d’ailleurs l’objet d’un dossier du Monde sur trois jours dont voici l’essentiel :

1/3) Faut-il en finir avec la croissance ? L’expansion économique ne permettant plus de réduire les inégalités et alimentant le réchauffement climatique, le débat sur la post-croissance ressurgit. Le débat émerge même au sein de l’Eglise, d’ordinaire peu impliquée dans le débat économique. « L’heure est venue d’accepter une certaine décroissance », lançait ainsi le pape François lors de l’encyclique Laudato si, en 2015. Mais ces idées peinent encore à trouver un écho sérieux dans l’arène politique. D’ailleurs, ses tenants sont souvent caricaturés comme des doux dingues prônant le retour à la bougie. Cela tient peut-être au vocabulaire qu’ils emploient. A l’origine conçu comme un bon coup marketing, le mot décroissance, évoquant la régression et le repli, ne fait guère rêver. Difficile en effet de remettre en cause ses habitudes de consommation lorsque cela implique de renoncer à son confort. Surtout quand tout incite à faire le contraire. Entre l’obsolescence programmée des produits, les 500 milliards de dollars (439 milliards d’euros) de dépenses publicitaires annuelles mondiales, la course aux promotions, tout incite à consommer.**

2/3) Mode d’emploi de la décroissance : Sur le papier, les transformations appelées par la mouvance décroissante ont de quoi séduire. Mais leur mise en œuvre soulève une série de questions d’autant plus complexes qu’elles supposent un changement profond des mentalités et des habitudes. Réduire les inégalités suppose un grand ménage fiscal, expliquent les décroissants : supprimer les niches profitant aux plus aisés, augmenter la progressivité des impôts pour lisser les écarts de revenus ou, encore, imposer plus fortement le capital. Certains suggèrent d’introduire un revenu maximal, en imposant un seuil aux hauts salaires. Pour donner du travail à tous, ils proposent la réduction du temps de travail. Ce n’est pas tout ; la hausse des prix des ressources naturelles favoriserait des secteurs plus consommateurs en travail, comme l’agriculture biologique. Le mouvement décroissant est aussi traversé par des courants malthusiens, préconisant la mise en place de politiques de contrôle de la natalité.***

3/3) exubérance du mouvement de la décroissance :En France, c’est la rencontre à la fin des années 1990 entre des théoriciens critiques du développement et des militants fustigeant le consumérisme et, notamment, le rôle joué par la publicité, qui popularisent l’idée de décroissance. Marche citoyenne, états généraux, création du journal La Décroissance, naissance en 2006 d’un parti politique… Rapidement un schisme intervient : « Pour M. Cheynet, l’élite éclairée doit imposer ses choix aux autres à travers des restrictions, plutôt que de mener une transformation culturelle de la société », regrette Vincent Liegey, coordinateur du collectif organisant les conférences internationales de la décroissance. Surtout, M. Cheynet, que nous avons tenté en vain de joindre, adopte une posture ni droite ni gauche. Une hérésie pour M. Ariès, qui s’oppose à la vision « d’une décroissance austère, moralisante et rigoriste de droite », celle-ci devant rimer avec « joie de vivre, et non avec la privation et le manque ». Depuis, le mouvement s’est désagrégé. Mais face aux défis climatiques et sociaux, à l’accroissement des inégalités, mais aussi en raison de la montée en puissance d’une nouvelle génération de militants, cette thématique prend corps dans toutes les sphères idéologiques. La relocalisation est par exemple régulièrement reprise par la droite identitaire et particulièrement prisée par la droite catholique, ainsi dans la revue Limite... ****

* LE MONDE du 3 décembre 2018, Dennis Meadows : « La démocratie a échoué à traiter le problème environnemental »

** LE MONDE du 30 novembre 2018, Montée des inégalités, changement climatique… Faut-il en finir avec la croissance ?

*** LE MONDE du 1er décembre 2018, Les théories de la décroissance sont-elles vraiment applicables ?

**** LE MONDE du 3 décembre 2018, Derrière la décroissance, une multitude de chapelles

8 réflexions sur “Les décroissants à l’honneur dans LE MONDE”

  1. Dominique Bourg : Si nous persévérons dans la dynamique actuelle de dégradation des conditions d’habitabilité de la Terre, c’est tout l’édifice social qui s’écroulera. Il est désormais trop tard pour empêcher que le changement climatique ait des impacts sévères. Mais il n’est pas encore trop tard pour les limiter et pour éviter un emballement incontrôlable du système climatique.
    Il nous faut donc changer radicalement de priorité. Ce n’est plus la liberté de produire et de consommer sans entraves qui devrait être au centre de l’action politique, mais la préservation de l’habitabilité de la planète.
    (LE MONDE du 15 décembre 2018)

  2. Serge Latouche* : « Lorsque j’ai commencé à prêcher la décroissance, j’espérais que l’on puisse bâtir une société alternative pour éviter la catastrophe. Maintenant que nous y sommes, il convient de réfléchir à la façon de limiter les dégâts.En tout cas, la transition douce, je n’y crois plus. Seul un choc peut nous permettre de nous ressaisir. Je crois beaucoup à la pédagogie des catastrophes – dans ces conditions, le virage peut être très rapide. L’histoire n’est pas linéaire. »
    * LE MONDE du 14 décembre 2018, Serge Latouche : « La décroissance vise le travailler moins pour travailler mieux »

  3. Paul Ariès : « J’ai toujours dit que la décroissance était un mot obus. L’heure est venue de marier ces mots obus (anticapitalisme, antiproductivisme, décroissance) à de nouveaux mots chantiers : la relocalisation contre la globalisation, le ralentissement contre le culte de la vitesse, le retour à l’idée coopérative contre l’esprit de concurrence, la gratuité contre la marchandisation…. « 
    (LE MONDE Live du 13 décembre 2018)

  4. LE MONDE du 14 décembre 2018, Ils sont devenus « décroissants » : les citoyens témoignent
    Guy Renard : Après avoir découvert le mouvement minimaliste, j’ai décidé de changer d’appartement pour en prendre un plus petit. Faites l’expérience chez vous, ouvrez un tiroir dans votre salle de bains ou dans votre cuisine et demandez-vous “qu’est-ce que j’utilise régulièrement ?”. Je dirais que 60 % des choses que l’on possède ne sont jamais utilisées. Il est donc facile de s’en débarrasser : vêtements, matériel de cuisine, de bricolage… Je me suis rendu compte que je n’avais pas besoin d’un appartement si grand : je suis passé d’un 80 m² à un 60 m² et c’est encore trop grand. Je pense que je m’en sortirais très bien avec un 45 m²… Je suis convaincu que les changements individuels, on ne peut pas y couper. Dans l’idéal, il faudrait que les individus évoluent en parallèle des politiques…

  5. LE MONDE du 14 décembre 2018, Ils sont devenus « décroissants » : les citoyens témoignent
    Olivia Cunéo : Tout a commencé avec le déodorant. Je me souviendrai toujours de ce jour où mon père m’a dit de ne plus en mettre parce que cela pouvait provoquer un cancer. Cela m’a frappée, et j’ai cherché par quoi je pourrais le remplacer. J’ai testé le bicarbonate de soude, puis je me suis rendu compte qu’il pouvait servir à d’autres choses, comme fabriquer son dentifrice ou des produits nettoyants… Terminé le papier toilette ! Nous utilisons des serviettes que l’on garde après usage dans une petite poubelle, où ma mère a mis du bicarbonate pour éviter les odeurs, puis qu’elle lave régulièrement.

  6. LE MONDE du 14 décembre 2018, Ils sont devenus « décroissants » : les citoyens témoignent
    Patricia Mignone : « Je fais partie de la première vague des décroissants, celle des années 1970. A 16 ans, en 1974, j’ai été touchée par le mouvement écologique naissant : j’ai adopté la frugalité et le minimalisme… J’ai toujours été perçue comme une personne originale et austère. Il est clair que je détonnais par rapport aux autres adolescentes… Comment arriver à convaincre davantage de personnes d’adopter ce mode de vie ? L’empêchement principal, ce sont les habitudes…

  7. LE MONDE du 14 décembre 2018, Ils sont devenus « décroissants » : les citoyens témoignent
    Toute la semaine, Le Monde s’interroge sur les manières de lutter contre le dérèglement climatique. Peut-on consommer moins ? Quatre citoyens racontent comment ils ont adopté un autre mode de vie. Et pourquoi ils ont décidé de prendre un logement plus petit, d’arrêter le shampooing ou encore de changer de métier….
    Camille Grandjean : Il y a dix-huit mois environ, une amie m’a inscrite au groupe Facebook Gestion, entraide et minimalisme. Au début, le minimalisme [mode de vie rejetant la société de consommation et prônant la possession des biens matériels au strict minimum], je ne comprenais pas vraiment ce que c’était, mais aujourd’hui j’essaie de me demander régulièrement, avant d’acheter un produit, ai-je besoin de cela ?, ai-je déjà quelque chose qui y ressemble ? …Il ne faut pas trop culpabiliser. On fait ce qu’on peut, à notre rythme…

  8. –  » A l’origine conçu comme un bon coup marketing, le mot décroissance, évoquant la régression et le repli, ne fait guère rêver.  »
    Certes le mot ne fait pas rêver, mais je pense qu’il aurait été bon aussi de rappeler qu’il est avant tout un « mot-obus ».
    –  » Sur le papier, les transformations appelées par la mouvance décroissante ont de quoi séduire. Mais leur mise en œuvre soulève une série de questions d’autant plus complexes qu’elles supposent un changement profond des mentalités et des habitudes. »
    Justement ce « mot-obus » vise à percuter les consciences afin de « décoloniser les imaginaires » (Serge Latouche). Et ceci afin tout simplement… de déclencher cet indispensable changement profond des mentalités et des habitudes. On peut toujours rêver.
    Quant au schisme (ou aux schismes) au sein de ce mouvement, on peut toujours le déplorer, mais il n’y a surtout pas lieu de s’en étonner. Il n’y a pas deux décroissants (ou écolos, ou gilets jaunes…) qui pensent la même chose, qui voient le monde avec les mêmes lunettes. Ce qui finalement pour moi n’est pas une si mauvaise chose. Je vous laisse imaginer ce que serait un monde de clones, tous bien alignés, tous parfaitement formatés à une certaine Pensée Unique.

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