Les partisans de la simplicité volontaire adoptent un point de vue décroissant, sobre en énergie et en matériaux. Ils optent pour les circuits courts et les produits réparables/recyclables, fabriquent le plus possible de leur propre main et de façon le plus autonome possible. C’est parfait. Ils évitent l’effet rebond, c’est-à-dire la satisfaction d’autres besoins rendus possibles par les économies qui résultent de leur modeste mode de vie. Pour cela ils réduisent leur temps de travail et leurs revenus monétaires, investissent toute leur épargne dans des projets écologiques, pratiquent les monnaies locales et les jardins partagés. Ce sont des purs.
Mais ces bonnes intentions permettent un effet rebond externe. Par exemple les économies de pétrole réalisées par ceux qui refusent la voiture individuelle permettent à d’autres de faire rouler leur 4×4 encore plus longtemps. Pour accélérer le tournant écologique, il aurait donc été plus judicieux de posséder une voiture qui consomme beaucoup d’essence, de se chauffer à 24°C chez soi et de prendre l’avion le plus souvent possible. Ainsi les réserves de pétrole diminueront encore plus vite et le choc pétrolier (une augmentation brutale du prix du baril) arrivera plus tôt que prévu et provoquera la rupture de civilisation.
Les partisans de la simplicité volontaire disent empêcher cet effet pervers, le fait de laisser à d’autres la possibilité de gaspiller les ressources naturelles. Ils croient en effet à l’effet de contagion pour combattre cet effet rebond externe. Ils croient que leur comportement exemplaire sera imité par un nombre de plus en plus grand de personnes. Ils croient que la vertu est la chose la mieux partagée au monde, que les gens sont raisonnables, qu’ils pensent aux autres et à l’effet de serre, qu’ils raisonnent à long terme pour le plus grand bien de leurs générations futures. Ils rêvent. La plupart des gens sont égoïstes, grisés par la vitesse des moyens de déplacement, addicts au dernier gadget à la mode, incapable de ressentir le réchauffement climatique ou le pic pétrolier.
Il n’en reste pas moins que les partisans de la simplicité volontaire ont fondamentalement raison même si peu de choses bougent. Ils ont fait à leur échelle ce qu’ils pensaient bien et bon pour la vie collective et le bonheur des enfants à venir. Ils ne sont pas responsables de l’explosion prochaine du prix de l’énergie qui se répercutera dans tous les domaines de la vie des gens, y compris pour l’alimentation de base. Ils assisteront impuissants à l’effondrement de la société thermo-industrielle, au chômage généralisé, à des bouffées de colère, à la déliquescence du pouvoir politique, à l’arrivée des petits chefs. Ils verront le résultat de ce qu’ils avaient prévu sans en tirer aucune satisfaction personnelle ; on ne peut se réjouir décemment du malheur des autres. Mais comme ils auront déjà appris à vivre sobrement, à cultiver les relations dans leur communauté d’appartenance, à soigner leur verger et leur potager, ils franchiront les douloureuses épreuves du blocage énergétique de la façon la mieux adaptée possible, l’esprit tranquille. Ils auront incarné à l’avance le changement nécessaire, ils auront fait ce qu’ils pensaient devoir faire. Qu’importe le résultat, qui vit en sage n’est pas comptable de la folie humaine.
Ce concept d’effet rebond « externe » est très important. Il décrit au mieux l’impossible devant lequel nous nous trouvons et l’impuissance de toute semi-mesure. D’une certaine façon, toutes les économies sont ainsi condamnées; tout ce qui est économisé d’un côté favorise ailleurs une autre consommation. Il est certain que si demain on taxe le kérosène (qui curieusement ne l’est pas) on ne fera que se donner bonne image puisque les automobiles consommeront ce que les avions n’utiliseront plus. Cela signifie que seul ce qui pourrait marcher serait un retour très fort en arrière tant en terme démographique qu’en terme de consommation de matière et d’énergie, retour qui placerait rapidement l’humanité dans la situation de ne consommer que du renouvelable.
Le fossé est si grand, le bond à faire si violent qu’on peut raisonnablement penser que le combat est perdu. Au mieux nous tiendrons un peu plus longtemps et repousserons l’effondrement de 20 ou 30 ans, c’est à dire qu’il se produira pour une humanité encore plus nombreuse et en sera pour cela encore plus douloureux.
@ Biosphere
Pardon, mais votre objection est spécieuse. Mon commentaire ne dit pas que la « démonstration contagieuse » est grotesque. Il dit que c’est VOTRE interprétation des motivations des décroissants comme relevant de cette logique qui, elle, est grotesque.
Sauf quelques bateleurs d’estrades, polémistes et autres amateur de spectacle en tous genres, la démarche décroissante n’est qu’indirectement politique (désolé de votre déception), c’est à dire qu’elle est politique, certes, dans ses conséquences sociales, mais pas au niveau de la motivation des acteurs, qui est avant tout intime, relève d’une recherche de bien-être, de qualité de vie familiale, de développement personnel… Elle se pratique donc généralement sans publicité, et se tient délibérément éloignée des médias de masse dont vous vous abreuvez.
Vous semblez en effet ne connaître la décroissance qu’à travers le prisme des médias et de vos livres. Vous profiteriez sûrement à sortir de votre bulle intellectuelle déconnectée pour aller faire un tour dehors…
Merci de m’avoir lu. Je retourne à mon potager pendant qu’il fait encore jour.
La présentation des décroissants qu’on lit dans ce billet correspond moins à la réalité qu’à l’idée que l’auteur s’en fait. Et son idée est plutôt simplette et caricaturale.
La thèse de la l’ascétisme exemplaire comme une sorte de « démonstration contagieuse » est grotesque . Elle est surtout purement idéologique. Qui baserait son propre mode de vie sur un tel projet, si ce n’est une sorte de nouveau moine un brin fanatique?
Il en existe sûrement quelques uns comme ça, mais ils sont marginaux. La plupart des décroissants le font pour des motivations personnelles, parce que ça leur convient à eux de vivre comme ça et qu’ils se sentent mieux ainsi.
La décroissance est, certes, une forme de sécession sociale, mais ce n’est pas une « esthétique de la dénonciation ». Elle n’exprime pas, contrairement à ce que sous-entend l’auteur (qui projette ici ses propres motivations dans les actions des autres), une volonté de se poser comme une sorte d’avant-garde éclairée d’un nouveau prolétariat des temps post-modernes.
Tout simplement parce que la plupart des décroissants n’ont pas le regard constamment tourné vers le mode de vie qu’ils ont quitté. Ils s’intéressent plus à s’épanouir dans le nouveau mode de vie qu’ils ont adopté et cherchent à l’approfondir.
Ils le font d’ailleurs, le plus souvent, bien loin du regard des autres…
Bonjour Tardif
La « démontration contagieuse » n’est pas grotesque, c’est au contraire le déterminant principal de notre socialisation qu’on appelle en terme savant « l’interaction spéculaire » (comme dans un miroir). En termes plus simples, j’imite les autres et les autres m’imitent, c’est comme cela qu’on arrive à avoir un comportement collectif quand on est un humain.
Par exemple une petite fille de deux ans va vouloir imiter sa sœur en bas âge en régurgitant, plus tard c’est la petite sœur qui imitera sa grande sœur… et réciproquement. Pourquoi tout le monde ou presque a une voiture ; parce que les autres ont une voiture ! La publicité sait parfaitement jouer des mécanismes de l’interaction spéculaire.
En conclusion, nous ne sommes jamais bien loin du regard des autres…
Ce texte suit la lignée de mon raisonnement dans le fait qu’en adoptant un comportement sobre, on donne la possibilité à un terrien lambda de gaspiller ou polluer plus longtemps avant la pénurie. C’est illusoire de penser qu’on peut montrer l’exemple de sobriété. Pourquoi ne pas acquérir un 4×4 si on en a les moyens et l’envie? On passera pour un fou qui ne veut pas profiter de la vie. La seule motivation d’adopter la sobriété est très personnelle et demande que la conviction soit plus forte que l’envie matérielle. Ce n’est pas en regardant son voisin! Bonne nuit!
J’avoue ne pas comprendre le sens et l’esprit de ce texte. Faut-il le lire au premier degré et c’est accorder bien trop d’honneurs à cette minorité dans les minorités que sont les décroissants ? Faut-il le lire au second degré mais dans ce cas pourquoi réduire la décroissance à la simplicité volontaire ?
Bref, je n’ai pas compris ce texte et sur le fond je ne vois pas bien pourquoi la décroissance mériteraient tant d’ironie ou tant de responsabilité.
Tout le dernier paragraphe se résume en un seul mot : la Résilience.