Les illusions de la productivité agricole

Alors qu’ils n’avaient cessé d’augmenter depuis les années d’après-guerre, les rendements des grandes cultures plafonnent depuis une dizaine d’années. En France, abstraction faite des variations climatique, c’est le cas aussi bien pour le blé tendre et le maïs que pour d’autres céréales comme le blé dur et l’orge. Mais aussi pour les oléagineux, colza et tournesol. L’appauvrissement en matière organique, relevé par la Commission européenne sur 45 % des sols de l’Union, est un facteur explicatif prépondérant de la baisse des rendements.*

On nous a écrit pour contester ce point de vue en s’appuyant sur les statistiques récentes de la FAO. Notons d’abord que la raison d’être des statistiques, c’est de vous donner toujours raison. Il suffit de considérer uniquement ce qui vous arrange. Notre correspondant ajoute : « La raison la plus probable du plafonnement des rendements (agricoles), c’est parce que depuis 2 décennies, on a plafonné l’utilisation des intrants. » Il touche là un point essentiel sans en apercevoir les prolongements. Pour calculer un indice statistique globalisé du rendement, il faut faire le rapport production/intrants : combien de calories ont été utilisées pour produire, combien de calories délivrent les champs cultivés. Précisons.

L’agriculture est normalement une illustration parfaite de l’échange constant entre matière et énergie. Basée sur l’assimilation chlorophyllienne, elle devrait donner plus qu’elle ne coûte puisqu’elle transforme l’énergie du soleil et les éléments de la terre. C’est ce qui a été fait pendant plusieurs millénaires, ce n’est plus le cas aujourd’hui de l’agriculture productiviste : on doit investir directement sous forme d’hydrocarbures deux fois plus d’énergie pour les engrais, l’irrigation, la culture sous serre que ce qu’on récolte avec la mécanisation.

Encore plus globalement, une étude réalisée aux Etats-Unis montrait que l’énergie consommée par l’ensemble de la chaîne alimentaire, compte tenu du processus de transformation et de la distance parcourue par les produits agricoles, représente 10 fois l’énergie restituée sous forme de calories utilisées pour l’alimentation humaine. Et encore, nous n’avons pas développé sur la détérioration des sols et du climat par l’agriculture productiviste !

Quand l’appareil agro-industriel affiche un bilan énergétique négatif, on ne peut même plus parler de rendements décroissants, mais de fuite en avant. C’est cette situation qui est ubuesque, ce n’est pas l’argumentaire écolo, l’argumentaire qui essaye de comprendre la totalité des interrelations entre les humains et la biosphère.

* LE MONDE du 28 juin 2008

10 réflexions sur “Les illusions de la productivité agricole”

  1. Gagarstl : « il est très possible que les intrans aient été utilisés de façon « 2 voire 3″ fois trop jusqu’à ce que le paysan (pas le fournisseur) s’en aperçoive et réduise la dose pour le même résultat. »
    ————————
    C’est certes une hypothèse très populaire chez les les détracteurs de l’agriculture conventionnelle mais elle est farfelue (pour rester poli). Quand on sait ce que les engrais et pesticides lui coûtent, racontez à un agri qu’il épand 2 voire 3x plus que nécessaire et il vous rira au nez.
    Mais même en supposant que c’est vrai, ça n’explique toujours pas la contradiction soulevée. Il y a ce qu’on appelle le principe de réalité et vous ne pouvez pas l’effacer par un effet de manche.

    1. L’intervention puissante et aveugle de l’homme risque de rompre l’équilibre fragile dont l’homme est issu. Le souci de la productivité s’attache trop au présent, pas assez à l’avenir ; alors vient le jour où le rendement baisse. Trop souvent, au constat de l’épuisement du milieu naturel, les fidèles du progrès opposent un acte de foi : « On trouvera bien un moyen. » Il y a de fortes chances que nous soyons obligés de reconstituer à grand frais les biens qui nous étaient fournis par la nature ; et ceci au prix de discipline autant que d’efforts.
      Bernard Charbonneau (Le Jardin de Babylone, 1969)

  2. Gagarstl : « il est très possible que les intrans aient été utilisés de façon « 2 voire 3″ fois trop jusqu’à ce que le paysan (pas le fournisseur) s’en aperçoive et réduise la dose pour le même résultat. »
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    C’est certes une hypothèse très populaire chez les les détracteurs de l’agriculture conventionnelle mais elle est farfelue (pour rester poli). Quand on sait ce que les engrais et pesticides lui coûtent, racontez à un agri qu’il épand 2 voire 3x plus que nécessaire et il vous rira au nez.
    Mais même en supposant que c’est vrai, ça n’explique toujours pas la contradiction soulevée. Il y a ce qu’on appelle le principe de réalité et vous ne pouvez pas l’effacer par un effet de manche.

    1. L’intervention puissante et aveugle de l’homme risque de rompre l’équilibre fragile dont l’homme est issu. Le souci de la productivité s’attache trop au présent, pas assez à l’avenir ; alors vient le jour où le rendement baisse. Trop souvent, au constat de l’épuisement du milieu naturel, les fidèles du progrès opposent un acte de foi : « On trouvera bien un moyen. » Il y a de fortes chances que nous soyons obligés de reconstituer à grand frais les biens qui nous étaient fournis par la nature ; et ceci au prix de discipline autant que d’efforts.
      Bernard Charbonneau (Le Jardin de Babylone, 1969)

  3. A miniTAX, je pense que je ne suis pas plus spécialiste que vous, et mon raisonnement nécessiterait d’être validé pour la circonstance, mais en tant que biologiste, je sais une chose. A partir du moment où un organisme obtient tout ce qu’il lui faut, les excédents sont dans un premier temps inoffensifs. Si les excédents sont en excès excessif, alors ils deviennent toxiques (ex : 6 litres d’eau quotidien pour un homme). Dans ces conditions, il est très possible que les intrans aient été utilisés de façon « 2 voire 3 » fois trop jusqu’à ce que le paysan (pas le fournisseur) s’en aperçoive et réduise la dose pour le même résultat. Mais la dégradation des sols est bien là. Jusqu’à quel niveau de dégradation le sol reste-t-il fertile ?

    Mais cette réflexion ne change rien à la question énergétique posée ci-dessus 😉

  4. A miniTAX, je pense que je ne suis pas plus spécialiste que vous, et mon raisonnement nécessiterait d’être validé pour la circonstance, mais en tant que biologiste, je sais une chose. A partir du moment où un organisme obtient tout ce qu’il lui faut, les excédents sont dans un premier temps inoffensifs. Si les excédents sont en excès excessif, alors ils deviennent toxiques (ex : 6 litres d’eau quotidien pour un homme). Dans ces conditions, il est très possible que les intrans aient été utilisés de façon « 2 voire 3 » fois trop jusqu’à ce que le paysan (pas le fournisseur) s’en aperçoive et réduise la dose pour le même résultat. Mais la dégradation des sols est bien là. Jusqu’à quel niveau de dégradation le sol reste-t-il fertile ?

    Mais cette réflexion ne change rien à la question énergétique posée ci-dessus 😉

  5. Oui mais vous ne répondez toujours pas à la question centrale à la croyance à la « dégradation des sols » : comment expliquer que la production de céréales françaises ne baisse pas alors que le tonnage d’intrants a été divisé par 2 voire 3 ???

    Chacun est libre de ses opinions, que vous croyiez à une chose et le défendiez, il n’y a rien à redire. Mais au moins faites-le avec des arguments solides, pas avec des arguments qui s’effondrent à la moindre question dérangeante car ce serait le meilleur moyen pour flinguer sa crédibilité.

  6. Oui mais vous ne répondez toujours pas à la question centrale à la croyance à la « dégradation des sols » : comment expliquer que la production de céréales françaises ne baisse pas alors que le tonnage d’intrants a été divisé par 2 voire 3 ???

    Chacun est libre de ses opinions, que vous croyiez à une chose et le défendiez, il n’y a rien à redire. Mais au moins faites-le avec des arguments solides, pas avec des arguments qui s’effondrent à la moindre question dérangeante car ce serait le meilleur moyen pour flinguer sa crédibilité.

  7. Quand la consommation d’énergie par personne est faible, la quasi-totalité de la population active est agricole, et plus l’énergie extracorporelle (issue d’autre chose que nos muscles) par personne est abondante, moins il y a de paysans. La fin de l’esclavage dans les champs doit plus au pétrole qu’à la générosité naturelle des hommes !

    Dans des pays déjà densément peuplés comme l’étaient les pays européens il y a quelques siècles, avec un peu d’énergie les paysans mangeaient des céréales et seuls les plus riches pouvaient s’offrir de la viande à l’occasion. Avec un peu plus d’énergie nous avons accédé au poulet. Encore plus d’énergie a permis de franchir l’étape suivante, le porc, et beaucoup d’énergie nous a amenés au bœuf. Puis l’agriculture intensive et énergivore a permis d’accéder à la viande dans des pays densément peuplés, en multipliant les surfaces en quelque sorte. Bien gérer la sortie de scène du « Père fossile » ne va pas être une mince affaire.

    Tout plan qui présuppose une économie bâtie sur des flux carbonés croissants fera faillite. En matière d’agriculture, l’avenir est à la limitation des intrants de synthèse, dépendants des combustibles fossiles, notamment des engrais azotés. Il faut promouvoir la polyculture-élevage comme modalité agricole de base, favoriser les transformations locales des produits cultivés, limiter l’étendue spatiale des systèmes de production, de distribution et de consommation.
    Jean-Marc Jancovici (Changer le monde, tout un programme)

  8. Quand la consommation d’énergie par personne est faible, la quasi-totalité de la population active est agricole, et plus l’énergie extracorporelle (issue d’autre chose que nos muscles) par personne est abondante, moins il y a de paysans. La fin de l’esclavage dans les champs doit plus au pétrole qu’à la générosité naturelle des hommes !

    Dans des pays déjà densément peuplés comme l’étaient les pays européens il y a quelques siècles, avec un peu d’énergie les paysans mangeaient des céréales et seuls les plus riches pouvaient s’offrir de la viande à l’occasion. Avec un peu plus d’énergie nous avons accédé au poulet. Encore plus d’énergie a permis de franchir l’étape suivante, le porc, et beaucoup d’énergie nous a amenés au bœuf. Puis l’agriculture intensive et énergivore a permis d’accéder à la viande dans des pays densément peuplés, en multipliant les surfaces en quelque sorte. Bien gérer la sortie de scène du « Père fossile » ne va pas être une mince affaire.

    Tout plan qui présuppose une économie bâtie sur des flux carbonés croissants fera faillite. En matière d’agriculture, l’avenir est à la limitation des intrants de synthèse, dépendants des combustibles fossiles, notamment des engrais azotés. Il faut promouvoir la polyculture-élevage comme modalité agricole de base, favoriser les transformations locales des produits cultivés, limiter l’étendue spatiale des systèmes de production, de distribution et de consommation.
    Jean-Marc Jancovici (Changer le monde, tout un programme)

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