Les prétendants actuels à la charge suprême en 2017, que ce soient des représentants de la gauche, de la droite ou du centre, n’ont pas compris que nous avions changé d’époque. Nous sommes au xxie siècle, avec l’épuisement des ressources naturelles, le choc climatique, la fragilisation croissante de nos sociétés par trop de complexité… La croissance économique est derrière nous et avec elle les promesses de campagne irréalistes, ne tenant pas compte des contraintes. Pourtant certains ses posent la question de la pertinence d’une candidature écolo à la présidence. Voici le débat en cinq points :
1. Le temps d’une candidature de témoignage est passé, l’idée écologique s’est bien installée dans l’esprit des électeurs. Il n’est donc pas besoin d’une candidature écolo en 2017.
Cette analyse s’arrête en chemin, il faut aller plus loin. La « candidature de témoignage » doit se transformer en une candidature crédible pour gouverner concrètement la France dans un contexte totalement nouveau. Les citoyens sont plus anxieux que les politiques, ils ressentent que les conditions de vie de leurs enfants seront beaucoup plus difficiles. La période de croissance qui était censée guérir tous les maux s’achève, les recettes traditionnelles pour endiguer le chômage n’ont aucun effet durable, et la fin du pétrole s’accompagne de bouleversements climatiques. Si le monde entier adoptait le mode de vie du Français moyen, nous aurions besoin de deux ou trois planètes, ce qui est non seulement intenable, mais surtout impossible. Ce n’est pas le discours politique actuel qui continue au contraire d’enchaîner les promesses. À ce titre, le programme présidentiel de François Hollande (les « 60 engagements ») de 2012 est emblématique. On y cherchera vainement la présentation d’un grand défi propre à susciter l’enthousiasme. En revanche on trouvera l’assurance que ça ira mieux pour les PME, les technologies numériques, l’agriculture, les banques, les fonctionnaires, les technologies vertes, les contribuables, les familles, les retraités, les médecins, les malades, les locataires, etc. Il est nécessaire d’être politiquement courageux et de mettre notre population face à ses responsabilités. Un peuple écolo est certes en formation, mais il doit être mobilisé par un projet collectif. Nous avons fait la guerre à la planète, un président clairvoyant déclarerait l’état d’urgence écologique plutôt que l’état d’urgence anti-terroriste, qui a été complètement disproportionné par rapport à une menace ponctuelle.
2. Depuis l’élection du président au suffrage universel, le débat d’idées devient secondaire : il y a polarisation de l’élection présidentielle sur une personne. Le fait que le calendrier électoral a mis la présidentielle avant les législatives a accentué ce phénomène. D’ailleurs les écologistes contestent le régime présidentiel, il faudrait qu’ils se concentrent sur les élections à la proportionnelle comme les régionales ou les européennes, faire une campagne de proximité et oublier les scrutins nationaux qui donnent une prime majoritaire.
Un tel point de vue présuppose qu’il n’y a aucune candidature écologiste qui puisse se personnifier autour d’un projet cohérent de gouvernement. Pourtant un présidentiable comme Nicolas Hulot travaillait en ce sens depuis des années. Sa fondation (où plusieurs analystes compétents planchent régulièrement) présentait en 2010 la manière de parvenir à une société sobre et désirable : « L’opinion doit accepter des contraintes opposées à ses désirs (de déplacements sans limites, de puissance sans limites, de consommation sans limites). » Avec son Comité de veille écologique, il avait déjà produit en 2006 un « Pacte écologique » qui sera signé (et non assumé) par la presque totalité des candidats à la présidentielle 2007. Le conseil était clair : « Mobilisation ! J’emploie ce terme à dessein, dans son sens guerrier, même si cette guerre est d’un type particulier puisqu’elle est dirigée contre nous-mêmes. L’ennemi ne vient pas de l’extérieur, il siège à l’intérieur de notre système et de nos consciences. L’impératif écologique dessine un paysage politique radicalement différent de ceux auxquels nous sommes habitués. Nous avons besoin que chacun participe au changement… Madame ou monsieur le futur président de la République, l’impératif écologique n’est pas une priorité, c’est LA priorité. » Un mouvement sans présidentiable n’a pas d’avenir. Chaque fois qu’un candidat écologiste peut se présenter à une élection quelle qu’elle soit, il doit le faire.
3. Depuis que l’arrivée du Front national au second tour est devenue une possibilité, il y a émergence du vote utile qui lamine le vote écolo. Cette élection consiste en fait à désigner qui nous voulons voir au deuxième tour et qui nous ne voulons pas voir. La présence d’un écolo serait de trop, marginalisée.
Dans le cadre de plusieurs élections, l’extrême droite est en effet devenue le premier parti de France en termes de voix. La petite affaire familiale est devenue un parti qui compte ! Alain Lipietz parlait sur son blog d’une présidentielle autrefois « à quatre partis, deux dans chaque camp, le premier tour servant à désigner l’option la plus crédible au sein de chaque camp ». Il estime ce temps révolu avec la quasi-certitude que l’extrême droite sera au second tour. On parle de vote « utile », ce qui laisserait entendre qu’une option de rupture avec la société croissanciste serait sans intérêt ! Ce vote serait négatif, il répondrait surtout à la problématique Lequel je ne veux surtout pas à l’Élysée ! Est-ce là un projet de société ?
En fait les trois partis actuellement dominants ne présentent pas de différence fondamentale. Le Parti socialiste, le Front national et Les Républicains, tous soi-disant protecteurs de l’intérêt national et défenseurs des valeurs de la France, tiennent à peu près le même discours : c’est la croissance qui fera les emplois, il faut l’état d’urgence contre le terrorisme tout en protégeant la liberté totale des grandes entreprises, les flux migratoires doivent être maîtrisés un peu beaucoup et les échanges internationaux de marchandises multipliés, le pouvoir d’achat peut être encouragé mais les conditions de travail doivent être flexibles, et de toute façon l’écologie n’est pas réellement à l’ordre du jour. PS, LR et FN ne diffèrent plus vraiment, c’est du social-libéralisme autoritaire des trois côtés. Le penchant vers l’extrême droite sur les thématiques identitaires et migratoires depuis la présidence Sarkozy, et sur la demande sécuritaire et autoritaire depuis le gouvernement Valls ne peut que renforcer le Front national, crédibilisé par ses imitateurs. Le FN est un « tigre en papier », sans programme sérieux, qui surfe uniquement sur le mécontentement de l’opinion face aux errements du PS et de l’ex-UMP. La montée du Front national, c’est Sarkozy et Hollande, Valls et consorts qui en sont responsables, pas l’écologie politique. À eux d’affronter Marine le Pen qui, de toute façon, ne sera pas élue au deuxième tour en 2017 car le « front républicain » se formera à ce moment-là.
Le seul modèle cohérent à opposer au FN, c’est bien ce « désir d’écologie » qui commence à imbiber le corps électoral. Sortons de la logique politicienne à courte vue, il n’y a pas le choix, ce sera l’écologie au pouvoir ou le chaos énergétique, climatique, économique et socio-politique. Il y a bien deux modèles de société en présence, le social-libéralisme et le social-écologisme. Hollande, Sarkozy et Le Pen ont choisi leur camp, anti-écolo. Nos peuples n’ont pas besoin de jeux politiques mais de concevoir un futur possible et souhaitable.
4. Le score électoral de l’écologie politique aux présidentielles n’a pas vraiment évolué depuis la première candidature de 1974. Beaucoup de commentateurs et d’adversaires prennent systématiquement exemple du faible score aux présidentielles pour dire que l’écologie ne pèse rien. Que pèse aujourd’hui Eva Joly, Dominique Voynet, Noël Mamère, Antoine Waechter, Brice Lalonde sur la scène politique ? Rien. On constate aussi que ni Corinne Lepage (écologiste soutenu par la droite), ni José Bové (activiste soutenu par le mouvement altermondialiste) n’ont transformé les votes en leur faveur en quelque chose qui tient la route.
présidentielle | 1974 | 1981 | 1988 | 1995 | 2002 | 2007 | 2012 |
Écologistes | Dumont
1,32 % |
Lalonde
3,87 % |
Waechter 3,77 % | Voynet
3,31 % |
Mamère 5,24 % | Voynet
1,57 % |
Joly
2,28 % |
Il est vrai que seul Noël Mamère a franchi la barre des 5 % qui permettait d’être remboursé des frais de campagne. De plus, l’élimination de Nicolas Hulot lors de la primaire écolo en 2011 montre qu’EELV n’a pas la maturité suffisante pour se mettre d’accord sur une personnalité extérieure qui aurait pu franchir allègrement la barre des 5 %. Actuellement, il n’existe pas de figure médiatique issue de EELV qui représente suffisamment l’écologie aux yeux des électeurs pour la présidentielle 2017.
Mais ce n’est pas parce qu’on a connu des échecs qu’il ne faut pas persévérer. Le socialisme existe depuis presque deux siècles, il n’a jamais été au pouvoir très longtemps. L’écologisme existe depuis une quarantaine d’années seulement, c’est un mouvement naissant. Autrefois, quand un institut de sondage demandait aux sympathisants de gauche quelle personnalité politique ils souhaitaient voir jouer « un rôle important à l’avenir », un socialiste arrivait toujours en tête. Aujourd’hui, au 31 janvier 2016, quand l’Ifop (Institut français d’opinion publique) pose la même question, c’est un écologiste qui est plébiscité : Nicolas Hulot. Il est préféré par 61 % des sondés, 13 points devant Jean-Luc Mélenchon, la star du « plus à gauche ». La personnalité de celui ou celle qui se présente à une présidentielle au nom de l’écologie est essentielle.
5. L’abandon de la candidature écolo pour la présidentielle est un moyen de négocier un contrat avec le Parti socialiste pour les législatives. Cela permettrait de retrouver l’équivalent d’une proportionnelle, avec un nombre de circonscriptions réservées.
L’expérience de ce que les écologistes appellent « l’autonomie contractuelle » a été décevante. Jean-Vincent Placé a été un fanatique de la carte électorale, un pur professionnel de la politique. En sa qualité de conseiller politique de la secrétaire nationale d’EELV, il avait organisé une négociation secrète avec le PS pour préparer les sénatoriales de 2011 ; il a obtenu un groupe parlementaire dont il a pris la pôle position. Il a ensuite négocié un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale pour 2012, sans même consulter les candidats à la présidentielle Eva Joly et Nicolas Hulot. Il a transformé EELV en un syndicat d’élus, c’est un carriériste. Bilan ? L’éclatement des deux groupes parlementaires entre ceux qui sont restés affiliés au PS (Jean-Vincent Placé est devenu secrétaire d’État) et ceux qui sont restés à EELV. Ces péripéties ont montré qu’il y a deux sortes d’écologisme : « Il y a une sensibilité plus radicale, mais que je pense moins efficace en matière de participation aux politiques publiques : c’est les fondamentalistes. Et puis il y a celles et ceux qui ont une approche plus pragmatique : les réalistes. J’assume pleinement mon appartenance à cette deuxième branche de l’écologie politique. (François de Rugy)»
Le problème, c’est quand on ne distingue plus l’écologisme derrière le réalisme en politique. L’expérience montre qu’il y a deux types de candidats aux élections, ceux qui courent après les places et ceux qui poursuivent un idéal. La deuxième catégorie est bien peu représentée dans l’arène politique conventionnelle, c’est pourquoi toute alliance avec un parti dit « de gouvernement » est sans doute vouée à l’échec. Faire de la politique autrement ne consiste pas à présenter systématiquement des candidats éligibles à toutes les élections, mais à faire preuve de pédagogie dans la transmission du message écologique. En d’autres termes « prendre le pouvoir », avoir des ministres écolos ou un groupe parlementaire, tout cela est contre-productif si l’urgence écologique que les élus devraient porter n’apparaît plus dans leur représentation médiatique. Une écologie réaliste ne peut être qu’une écologie de rupture avec la société thermo-industrielle. « Ne nous cachons pas la vérité, nous parlons de la mise en place d’une économie de guerre comparable à ce qu’avait décidé le président Franklin Roosevelt en 1942, après Pearl Harbor. Alors pourra se déployer la redistribution de la terre, du travail et des revenus. La « descente énergétique » inéluctable qui nous attend n’est pas nécessairement synonyme de privation, de malheur et d’effondrement, mais de renaissance des communautés locales. Décroître pour vivre mieux. (Yves Cochet) »
C’est pour toutes ces raisons que la candidature d’un ou une écologiste à la présidentielle 2017 est absolument nécessaire. Mais n’oublions jamais que c’est par l’action de tous qu’un monde plus équitable et plus durable peut prendre forme.
(Extraits du livre de Michel Sourrouille, « L’écologie à l’épreuve du pouvoir » aux éditions Sang de la Terre)
Livre à acheter de préférence chez son libraire de proximité, 370 pages pour 19 euros
bonsoir,
il a quelques années en prenant les info dans le « Mémento de l’Énergie »j’avais calculé que si les ~9 milliards d’habitants de notre petite planète consommaient autant que les ~800 millions de nantis (Amérique du Nord, Europe, Australie, Nouvelle Zélande)il faudrait 4 à 5 fois plus de ressources