La collection sur « Les précurseurs de la décroissance » dénonce l’imposture du développement durable. A travers l’étude de figures historiques de la pensée humaine, on montre l’émergence de l’objection de croissance. Rapport qualité/prix, le petit livre à 8 euros dédié à Lewis Mumford (1895-1990) est imbattable. Il présente un analyste clairvoyant de notre réalité en devenir. Il refuse le gratte-ciel en 1925, combat dès 1946 ces « fous qui préparent la fin du monde » en utilisant la bombe atomique, prévoit dès 1950 la fin de notre économie minière et critique constamment le mythe de la mégalopole. On peut résumer sa pensée par cette citation : « Il existe un antagonisme fondamental entre une économie mécanique, centrée sur la puissance, et l’économie plus ancienne, centrée sur la vie… Une économie centrée sur la vie respecte les limites organiques, elle ne cherche pas à s’adjuger la plus grande quantité possible d’un bien. » Cet auteur mérite d’être mieux connu en France, voici quelques courts extraits de cette synthèse réalisée par Thierry Paquot.
La transformation de l’homme, 1956
« En contraste avec la diversité organique, présente originellement dans la nature et enrichie des efforts historiques de l’homme, l’environnement dans sa totalité devient aussi uniforme et rectiligne qu’une autoroute de béton, afin de permettre le fonctionnement uniforme d’une masse uniforme d’unités humaines. Plus on se déplace rapidement, plus uniforme est l’environnement qui favorise mécaniquement le mouvement, et plus minime est le dépaysement une fois parvenu à destination ; si bien que le changement pour l’amour du changement et la vitesse pour l’amour de la vitesse ont pour résultat le plus haut degré de monotonie.
Si le but est l’uniformité, il n’est pas un aspect de la nature ou de l’homme qui ne soit menacé. Pourquoi l’homme posthistorique devrait-il rechercher à préserver quoi que ce soit de la diversité environnementale qui existe encore sur terre et dont la richesse élargit le champ de la liberté humaine : prairies, marécages, forêts, déserts et montagnes, lacs ou chutes d’eau ? Au rythme actuel de l’urbanisation, il ne faudra guère qu’un siècle pour que la destruction de tous les espaces vivants naturels, ou plutôt leur transformation en tissu urbain de basse qualité, ne laisse plus rien subsister qui permette d’échapper à la vie posthistorique.
Les ressources de la planète sont finies et limitées. A un certain point, encore indéterminé, la population mondiale devra être stabilisée : peut-être même, pour favoriser un plein épanouissement de l’homme, à un nombre d’individus inférieur à celui d’aujourd’hui. »
La cité à travers l’histoire, 1961
« Les sociologues et les économistes, qui fondent leurs prévisions sur l’étude des tendances actuelles, nous annoncent comme objectif de l’évolution urbaine une mégalopole mécanisée, standardisée et parfaitement déshumanisée. Tout possibilité de mener une vie libre et active, favorable aux plein épanouissement de leurs facultés, sera refusée aux habitants de leur « cité future ». L’existence quotidienne y sera conforme aux exigences de la machine.
Les formes originales d’anciens quartiers, cellules sociales conservant encore l’aspect structurel du village, ne sont plus aujourd’hui que vestiges. Une fonction essentielle de la cité, qui consiste à témoigner de la permanence des activités humaines, est ainsi gravement menacée. »
Résumé du seul entretien de Lewis Mumford publié en France (Métropolis, 1974)
« Je résumerai la question de la technologie en une phrase : nous avons aujourd’hui le pouvoir de tout faire même l’impensable, mais ce pouvoir est une contrainte. Nous pensons généralement que si nous avons le pouvoir, nous devons l’utiliser : c’est faux. Von Neumann disait que les possibilités technologiques étaient pour l’homme irrésistibles. C’est une erreur. Si nous avons ce pouvoir, nous devons au contraire le contrôler. Le grand problème de notre civilisation technique est de contrôler ses gigantesques quantités et ses énormes possibilités.
Je dirai que le retour en arrière est, aujourd’hui, le seul moyen d’aller de l’avant. »
Lewis MUMFORD (pour une juste plénitude), 112 pages, 8 euros.
éditions le passager clandestin, 2015, collection « Les précurseurs de la décroissance »
Vous pouvez aussi lire sur le réseau de documentation des écologistes un résumé du livre de Lewis Mumford sur « les transformations de l’homme »