Dans les années 1970, il y avait des militants journalistes et des journalistes militants. L’écologie faisait son entrée dans les médias. Aujourd’hui l’écologie est une rubrique parmi d’autres. L’information produite a tendance à se formater, à se dépolitiser, à se déconflictualiser. La logique commerciale, la crise de endettement et la vulgate croissanciste ont étouffé le militantisme écolo ; rares sont les journalistes qui peuvent encore s’exprimer librement. Hervé Kempf était un de ceux-là. Censuré par LE MONDE, il a été acculé à démissionner le lundi 2 septembre. Il a été empêché de poursuivre enquêtes et reportages sur le dossier de Notre Dame des Landes, il s’est fait traité de « chroniqueur engagé » par un directeur de la rédaction, etc. Le directeur du journal (par intérim) n’hésite pas à lui écrire : « Ce ne sont pas tes compétences qui sont en question, mais un problème d’image : nous tenons à ce que l’approche du journal reste aussi impavide que possible, tout particulièrement dans les pages Planète ».
L’environnement gêne dans un journal vendu aux intérêts financiers. Plus que jamais avec la crise de la presse, LE MONDE dépend des recettes publicitaires. La prise de contrôle en 2010 par MM. Bergé, Niel et Pigasse ne fait que renforcer ce processus. Les chroniques Ecologie d’Hervé Kempf divergent fortement de la ligne éditoriale du journal, l’une d’entre elle est carrément supprimée. La parole des environnementalistes est captive d’un système marchand qui n’a pas encore compris que l’écologie sera la pensée dominante du XXIème siècle. Il faut être à la marge pour se sentir libre, c’est ce que ressent maintenant Hervé Kempf depuis qu’il a quitté LE MONDE.
Pourtant la rubrique planète du MONDE ne désemplit pas. Aujourd’hui des nappes d’hydrocarbures menacent une réserve naturelle, l’électronique explose le bilan carbone français, un incendie dévastateur ravage le cœur du parc de Yosemite, La Chine fait de la lutte contre la crise écologique son chantier prioritaire, etc. L’urgence écologique est là, nature réduite à des confettis, problèmes pétroliers, réchauffement climatique, pollution généralisée, échec avéré du système industriel. Mais les médias en général et LE MONDE en particulier traitent de cette urgence en termes de constats ponctuels : un journaliste ne peut pas être un « militant », son article doit être aseptisé. Pourtant il nous faudrait modifier profondément un mode de vie qui dévaste la planète, il faudrait que nous devenions tous des militants de l’écologie en changeant les priorités de ce système qui va dans le mur. Hervé Kempf est un lanceur d’alerte, il paye le prix de son franc-parler sur NDDL. Tous les intellectuels dignes de ce nom se doivent de soutenir son combat pour la liberté de l’information et l’indépendance des journalistes.
LAURENT GEFFROY 06/09/2013 – 14h48
La disparition de la Page Planète est révélatrice de la hiérarchie des sujets décidée par le Monde : l’écologie y occupe désormais une place subalterne. La pagination et le nombre de mots qui y sont consacrées ont baissé (jolie page de publicité sur 1/3 de la page International / Planète…). Les lecteurs attentifs ne sont pas dupes… C’est une faute morale et un raisonnement court-termiste ignorant des menaces qui pèsent sur nos écosystèmes.
F.G. 06/09/2013 – 14h17
Le Monde n’est pas exempt de tout reproche dans cette affaire, mais son comportement me semble globalement correct. Par contre, HK déraille : confusion entre sa chronique libre et les articles classiques, exigence d’appropriation d’un sujet (ND des Landes) traité en chronique, accusations non étayées de corruption. Certaines phrases me semblent pathologiques : « Ce sont des indices, pas des preuves. Je les publierai si cela parait nécessaire au public. »
Juan Manuel CUESTA 06/09/2013 – 14h03
J’aimais les chroniques de HK mais même si on se mettait à vivre comme il le préconise la terre n’y survivrait pas. D’abord parce qu’il faudrait que TOUT LE MONDE suive, or c’est loin d’être le cas. Partout on construit, on recherche du gaz de schiste, on déboise pour cultiver du soja, bref, on maltraite la planète, et ce n’est pas près de cesser. La seconde raison c’est que la surpopulation finira, c’est mécanique, par tout faire péter, y compris en revenant à la chasse et la cueillette.
christian CHARLES 06/09/2013 – 12h33
HK c’était un style, on le savait engagé et c’était un des filtres qui s’actionnait automatiquement quand nous le lisions. Mais quand il signait un article il était systématiquement lu. Du caractère sans doute, le regret certainement de partir avec un sentiment d’inachevé, mais une plume qui manquera au Monde et à notre compréhension du monde. Etre directeur c’est parfois être dans l’erreur ! Nous devrons lire Reporterre….
Claude Boisnard 06/09/2013 – 12h31
Vos lecteurs sont un peu plus en colère…. D’un côté il y a un article sur les lanceurs d’alerte qui mélange un peu tout, de l’autre un journaliste s’en va dont la présence, la chronique vous donnait un parfum d’objectivité. Oui vous glissez vers le monde des affaires, le journal de ceux qui se font appeler les élites, les puissants, ceux qui tiennent à quelque chose et en plus d’avoir quelque chose à perdre pensent aussi à ce qu’ils peuvent avoir à gagner.
Mark 06/09/2013 – 12h28
Il faudrait expliquer ce qu’est un journal. Le journaliste n’écrit pas un article, mais un projet. Il n’est responsable ni de la titraille ni du chapô (domaine du secrétariat de rédaction). Le rédacteur en chef peut modifier le texte (avec l’accord du rédacteur, dans le meilleur de cas). Dans l’un des meilleurs magazines du monde, The Economist, aucun article n’est signé. Et pour s’exprimer personnellement, il y a les revues et les blogs.
Thor 06/09/2013 – 12h09
C’est très regrettable. Cela vient à la suite des prises de positions du Monde en faveur des gaz de schistes.
Jacques Bolo 06/09/2013 – 11h47
Outre l’inévitable plaidoyer pro domo, toujours désagréable dans ce genre de circonstances, s’il est vrai que les écolos sont partisans (mais ils l’ont toujours été!!!), l’erreur du journal Le Monde a toujours été de confondre neutralité et ménagement de la chèvre et du chou, et je ne parle pas du ton faux cul qui va forcément avec. On connait ces limites. C’est lassant. Il faudrait essayer d’y remédier un jour.
TETE DE COCHON 06/09/2013 – 08h29
Entre le départ de Hervé Kempf, Robert Solé, et surtout, surtout Caroline Fourest, on perd peu à peu notre Monde comme une alouette plumée !
ROLAND GUERRE 06/09/2013 – 07h49
Son départ est un affaiblissement pour mon journal, qui doit donner à la dimension environnementale une place plus importante. Hervé Kempf a le mérite de poser, depuis des années, les questions essentielles que nous devons affronter : politique de l’eau, réchauffement climatique, définition du bouquet énergétique, suites de Fukushima… Mon quotidien ne peut négliger les enseignements et les luttes de Beuve-Méry pour l’indépendance de la rédaction.
pierre guillemot 06/09/2013 – 07h42
J’ai souvent commenté les articles d’Hervé Kempf. Je n’étais jamais d’accord avec sa position philosophique (l’humanité doit rétrécir pour laisser place à la nature, comme si l’espèce humaine n’en faisait pas partie). Mais au moins il parlait de faits, pas de religion. En effet, l’écologie au Monde, entre les charlatans (récent article sur le danger des ondes), les ignorants et les économistes, est mal partie.
lola 06/09/2013 – 00h40
C’est vrai, les pages du magazine M sont tellement plus intelligente, objectives, informatives, fines, critiques, novatrices… Le Monde, tu n’es plus l’ombre que de toi même, tes pages de M cultivent l’entre soi, elles sont aussi vulgaires que Lui dite nouvelle formule, bref tu fais tellement pitié à vouloir jouer les NY times…, je suis triste quand je vois ce que tu étais et ce que tu deviens.
Max Lisbonne 06/09/2013 – 00h20
Le problème est qu’il est difficile de suivre assidûment la question écologique sans prendre partie pour elle, tant l’évidence de l’urgence s’impose. Que cela passe pour du fanatisme par les tenants de l’inertie pour qui la raison économique prime, ou qui ne perçoivent pas encore la causalité écologique, est normal. Après tout, les démocrates passaient pour des fous dans les temps monarchiques.
Hubert Bertrand 06/09/2013 – 00h06
Le Monde n’est même plus l’ombre de ce qu’il fut avant l’arrivée de Colombani, voire après le départ de Jacques Fauvet… De respectable outil d’information, il est devenu méprisable outil marchand. J’ai le souvenir d’un journal où le sport ne faisait pas cinquante signes par jour et où faits divers et autre papier « people » n’étaient même pas concevable.
Laurent Libert 05/09/2013 – 23h41
Les chroniques d’Hervé Kempf étaient agréables à lire et très engagées. Le choix de la direction du Monde de l’écarter de la couverture de l’affaire de NDDL est tout à fait justifié : un reporter raconte ce dont il est témoin ; il n’a pas vocation à imposer aux lecteurs ses choix militants.
Du bon sens 06/09/2013 – 08h14
Parce que le traitement de l’économie, lui, ne serait pas « militant » ? A en étouffer le lecteur en quête d’un peu d’objectivité !
JEAN LOUIS LEGER 05/09/2013 – 22h58
On ne peut que regretter le départ d’Hervé Kempf pour le Monde d’abord: une publication qui ne consacre pas une place majeure aux problèmes écologiques se condamne à moyen terme, ne serait que parce que l’écologie touche indirectement ou directement bien d’autres secteurs: agriculture, industrie, santé publique, emploi… La croissance à tout-va est un concept périmé.
JEAN PAUL MAROLLA 05/09/2013 – 22h57
Depuis quand le Monde pourrait-il prétendre ne pas faire partie des chiens de garde ? Depuis quand une soi-disant approche « impavide » pourrait-elle remplacer un pluralisme de pensée et d’expression laissant au lecteur le droit d’interpréter les évènements, les analyses et de forger sa propre opinion ?
Thierry Caminel 05/09/2013 – 22h14
Kenneth E. Boulding écrivait » Celui qui croit qu’une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. ». On rajoutera maintenant « soit un journaliste ».
Hervé Kempf était en effet le seul journaliste de la presse nationale qui pressentait d’autres modèles et approches de l’économie ( comme les travaux de Tim Jackson). Alors que le mot « croissance » est en moyenne utilisé plus de 10 fois par édition du Monde, il va nous manquer.
Claude Danglot 05/09/2013 – 22h09
Dommage le départ d’Hervé Kempf, il était un des rares à avoir bien compris que la crise écologique n’était qu’une manifestation particulière de la crise plus générale et mondiale du capitalisme.
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Kassagi 05/09/2013 – 21h56
La pseudo-objectivité des journalistes est la tarte à la crème de toutes les écoles de journalisme. Les historiens ont tranché depuis longtemps : avec l’Ecole des Annales ils ont relégué au placard des vieilles hypocrisies la neutralité et osé affiché la couleur de leurs opinion : plus on s’affiche, plus on se dévoile et plus on laisse le lecteur libre de juger de la vérité des propos. Les Annales ont plus de 80 ans…il y a des scoop qui se perdent!
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envir 05/09/2013 – 21h47
Hervé Kempf avançait des analyses posées et argumentées. Par ailleurs quand on voit le nombre d’articles creux sur la technologie, les téléphones portables et les télécommunications, on en vient vraiment à se demander si effectivement l’environnement n’est pas relégué. Et il y a là malgré tout une coïncidence troublante avec l’orientation des actionnaires du journal, qui de fait n’en fait pas assez sur l’environnement
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BENOIT SPINGA 05/09/2013 – 21h38
Je fais partie de ceux qui regretteront le départ d’Hervé Kempf. Le Monde parle d’un problème d’image, il est évident à le lire tous les jours que le journal est plus soucieux de son image auprès des industriels réclamant l’exploitation du gaz de schiste qu’auprès de ses lecteurs soucieux de l’avenir de leurs enfants. C’est dommage mais pas étonnant, le Monde s’inscrit dans le courant en vogue lancé par Nicolas Sarkozy de « l’écologie ça commence à bien faire ».
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MICHEL SOURROUILLE 05/09/2013 – 21h34
Selon un lecteur, Hervé Kempf a fait preuve de « fanatisme idéologique ». Comme si parler d’écologie était forcément du fanatisme. Jean Günther ferait mieux de s’interroger sur la religion croissanciste qui inonde les colonnes du MONDE et de la quasi-totalité des médias. Cette idéologie est en train de mettre en coupe réglée la planète toute entière au détriment des générations futures. Mais la croyance des tenants de ce système est telle que ce sont les critiques qui sont des « fanatiques » !
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François LABANDE 05/09/2013 – 21h34
Il y a quelques années, l’évolution positive du Monde m’avait convaincu d’en reprendre la lecture régulière, puis de m’abonner. Maintenant c’est l’inverse : place démesurée aux sujets économiques, sous un angle ultra conventionnel. Sujets écologiques traités de plus en plus chichement, voire ironiquement. Que le départ d’H. Kempf puisse au moins reposer la question de cette évolution et replacer l’écologie à la place essentielle qui devrait être la sienne dans le Monde !
La position du médiateur sur le départ d’Hervé Kempf
Rupture. C’est le premier mot qui vient à l’esprit de votre médiateur après le départ, très médiatisé cette semaine, de l’écolo-chroniqueur vedette du Monde, Hervé Kempf. Ce sont en effet de véritables lettres de rupture qu’ont envoyées à leur journal nombre de lecteurs qui appréciaient la petite musique dissonante, militante, d’Hervé. « Sa liberté de ton détonnait » ; « C’était une voix autorisée qui disait de manière très informée des choses intelligentes sur un problème majeur : notre monde – pas le journal, la planète – saigné à blanc par des appétits industriels démesurés » ; « Il faisait partie de ceux que j’avais plaisir à lire. Lucide, rigoureux, voyant plus loin que le bout de la virgule du PIB ».
Rupture conventionnelle au sens légal – celle du contrat de travail, aux termes de la loi 2008-596 du 25 juin 2008 – négociée en bonne et due forme à la demande du salarié… L’objet de la controverse est le traitement des questions écologiques dans ce journal. Notre ex-confrère dénonce « la censure mise en oeuvre par sa direction ». Il met en cause nommément directeurs et rédacteurs en chef auxquels il a eu à faire. Sans oublier les actionnaires qui ont racheté Le Monde en 2011. Au cœur de la polémique : le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Un dossier dont Hervé Kempf estime avoir été « dessaisi sans raison valable », alors qu’il était « le journaliste qui publiait le plus d’articles sur ce sujet ». Seulement voilà, raconte-t-il, le 12 novembre 2012, Didier Pourquery, alors directeur adjoint de la rédaction, lui fit valoir qu’il irait désormais « sur le terrain en tant que Hervé Kempf chroniqueur « engagé » », écrit-il dans un mail (rendu public par le destinataire). « Ce ne sont pas tes compétences qui sont en question, mais un problème d’image, lui précise en décembre 2012 Alain Frachon, alors directeur par intérim du journal. Nous tenons à ce que l’approche du journal reste aussi impavide que possible, tout particulièrement dans les pages Planète. »
Sollicités par le médiateur, MM. Pourquery et Frachon assument leurs choix. Concernant Notre-Dame-des-Landes, « Hervé Kempf a été sur place en payant son voyage et en prenant un jour de vacances, montrant par là qu’il était bien partie prenante du conflit en question, rappelle Didier Pourquery. Pour moi, son travail de chroniqueur n’était pas en cause. Nous avons simplement envoyé sur place un reporter du service Planète, habitué de la couverture de ce genre de conflits mais sans parti pris particulier ; et nous nous sommes appuyés sur l’excellent travail de notre correspondant à Nantes, Yan Gauchard. Ce serait à refaire, je prendrais exactement la même décision. »
« Du temps où il était au Monde, Hervé Kempf n’a jamais contesté un instant qu’il avait disposé d’une totale liberté dans sa chronique, souligne Alain Frachon. Il y a mené avec talent tous les combats qui lui tenaient à cœur. Mais l’une de ces batailles, le deuxième aéroport de Nantes, eût dû l’amener de lui-même à se désister de la couverture factuelle de cet événement. Il ne l’a pas voulu. C’est une autre conception de la presse, un point de désaccord noble. Qu’il cherche maintenant à l’expliquer en invoquant je ne sais quels intérêts capitalistiques que nous aurions voulu défendre, c’est de la « complotite », une insinuation délirante et infamante de la part d’un vieux confrère. »
« Contrairement à ce qu’il prétend, Hervé Kempf n’a jamais fait l’objet de la moindre censure au Monde. La fréquence de ses chroniques et de ses articles en a amplement témoigné, ajoute Natalie Nougayrède. Il est arrivé une seule fois, en quatre ans, que la publication de sa chronique soit repoussée – comme cela peut se produire pour tout article du journal, en fonction des priorités de l’actualité. »
Fermez le ban ? Pas si simple. La question écologique est éminemment sensible, moins évidente qu’il n’y paraît en ces temps de crise économique. Nul ne le nie, surtout pas le médiateur, qui a consacré deux chroniques et un post de blog à ce sujet. Faut-il pour autant conclure, comme notre ancien chroniqueur, que « dans le secteur économique dévasté qu’est devenue la presse, et largement dominé par les intérêts capitalistes, le journalisme environnemental est relégué, de nouveau, à la position de cinquième roue du carrosse, voire de gêneur » ?
Personne, ici, n’ignorait ses critiques sur la dissémination de la séquence Planète aux quatre coins du Monde, dans la nouvelle maquette du journal. Elle nous valut déjà un abondant courrier relayé dans ces colonnes (Le Monde du 1er juin)… Et maintenant ? « Hervé Kempf a décidé de quitter Le Monde de sa propre initiative. Il sera prochainement remplacé dans nos pages en tant que chroniqueur sur les questions d’environnement – un thème que Le Monde entend continuer de traiter dans toute sa richesse », promet Natalie Nougayrède. Dont acte.
Pascal Galinier
LE MONDE du 6 septembre 2013, Verts de rage