« Nous avons été conditionné de génération en génération à des croyances sans fondements. » Bien vu. « Il y a beaucoup d’idées fausses et quotidiennes. » Exact. « Il faut se mettre à distance pour mieux comprendre ce conditionnement, se décentrer. » Admirable. « On laisse croire aux femmes qu’elles sont inférieures. Le sexisme est le début de tous les préjugés, la matrice de tous les autres régimes d’inégalités. L’honnêteté est de s’avouer à soi-même ses propres préjugés, les dépasser en les comprenant. » Lilian Thuram* parle bien. Le racisme est infondé en nature. Cette avancée conceptuelle est un des rares acquis de l’Occident qui a enfin compris que le Noir n’était pas le chaînon manquant entre l’homme blanc et le singe. Mais Lilian Thuram serait-il capable d’aller jusqu’au bout de son raisonnement pour abandonner les croyances sans fondements.
Ne devons-nous pas renoncer à ce que Peter Singer appelle le «spécisme» (par analogie avec racisme et sexisme), c’est-à-dire à la préférence absolue accordée aux membres de notre propre espèce, et reconnaître que les autres êtres vivants ont des droits que ne respectent ni nos jeux du cirque ni nos pratiques alimentaires ? Toute réflexion sérieuse sur l’environnement a pour centre le problème de la valeur intrinsèque. Une chose à une valeur intrinsèque si elle est bonne ou désirable en soi, par contraste avec la valeur instrumentale qui caractérise toute chose considérée en tant que moyen pour une fin différente d’elle. Le bonheur a une valeur intrinsèque, l’argent n’a qu’une valeur instrumentale. Une éthique fondée sur les intérêts des créatures sensibles repose sur un terrain familier. Voyons ce qu’il en est pour une éthique qui s’étend au-delà des êtres sensibles. Pourquoi ne pas considérer l’épanouissement d’un arbre comme bon en lui-même, indépendamment de l’usage que peuvent en faire l’espèce humaine ? Entre abattre un arbre centenaire et détruire une vie humaine, n’y a-t-il pas une correspondance intime ?
La défense la plus célèbre d’une éthique étendant ses limites à tous les êtres vivants a été formulée par Albert Schweitzer : « La vraie philosophie doit avoir comme point de départ la conviction la plus immédiate de la conscience, à savoir Je suis une vie qui veut vivre, entouré de vie qui veut vivre. L’éthique consiste donc à me faire éprouver par moi-même la nécessité d’apporter le même respect de la vie à tout le vouloir-vivre qui m’entoure autant qu’au mien. C’est là le principe fondamental de la morale qui doit s’imposer nécessairement à la pensée. Un homme réellement moral n’arrache pas étourdiment des feuilles aux arbres ni des fleurs à leur tige, il fait attention à ne pas écraser inutilement des insectes et n’endommage pas les cristaux de glace qui miroitent au soleil. »
* LE MONDE du 29 novembre 2011 : Lilian Thuram, « le racisme, un conditionnement »
Questions d’éthique pratique de Peter Singer (1993, édition Bayard – 1997)
Sébastien,
J’apprécierais de ne pas être jugé trop hâtivement… Je crois que je ne pars d’aucun principe. Il est à peu près certain que les animaux possèdent un langage (il n’y a qu’à penser aux abeilles pour s’en convaincre) mais il est assez délicat d’imaginer qu’ils puissent s’en servir pour tenter d’appréhender le monde dans sa globalité, pour le connaitre ou essayer de le connaitre en utilisant des raisonnements abstraits et complexes ou des concepts comme en philosophie.
Je n’ai rien contre l’idée qu’ils soient capables de bonheur (c’est un peu plus improbable pour les plantes, et c’est difficilement vérifiable mais pourquoi pas…) mais il me semble que c’est une forme d’anthropocentrisme que de projeter sur le non-humain ce qui est peut-être spécifiquement humain, d’appliquer à d’autres espèces ce qui est une invention humaine (comme le bonheur, la beauté, le bien, le mal, la justice, etc.).
Quand je suggère que l’homme est la mesure de toute chose je ne dis pas qu’il est supérieur (il est par exemple inférieur au bouquetin ou au thym citron à d’autres niveaux) je me demande simplement si nous sommes fondés à décider quoi que ce soit – par exemple pour ce qui concerne la valeur intrinsèque – sans tomber dans l’arbitraire… et je me demande en même temps si nous pouvons réellement faire autrement…
Sébastien,
J’apprécierais de ne pas être jugé trop hâtivement… Je crois que je ne pars d’aucun principe. Il est à peu près certain que les animaux possèdent un langage (il n’y a qu’à penser aux abeilles pour s’en convaincre) mais il est assez délicat d’imaginer qu’ils puissent s’en servir pour tenter d’appréhender le monde dans sa globalité, pour le connaitre ou essayer de le connaitre en utilisant des raisonnements abstraits et complexes ou des concepts comme en philosophie.
Je n’ai rien contre l’idée qu’ils soient capables de bonheur (c’est un peu plus improbable pour les plantes, et c’est difficilement vérifiable mais pourquoi pas…) mais il me semble que c’est une forme d’anthropocentrisme que de projeter sur le non-humain ce qui est peut-être spécifiquement humain, d’appliquer à d’autres espèces ce qui est une invention humaine (comme le bonheur, la beauté, le bien, le mal, la justice, etc.).
Quand je suggère que l’homme est la mesure de toute chose je ne dis pas qu’il est supérieur (il est par exemple inférieur au bouquetin ou au thym citron à d’autres niveaux) je me demande simplement si nous sommes fondés à décider quoi que ce soit – par exemple pour ce qui concerne la valeur intrinsèque – sans tomber dans l’arbitraire… et je me demande en même temps si nous pouvons réellement faire autrement…
Paglia Orba,
tu pars donc du principe que les autres êtres vivants n’ont pas leur langage, leur concept, ne sont pas capable de bonheur?
Je pense que ton raisonnement est un bel exemple de spécisme.
Paglia Orba,
tu pars donc du principe que les autres êtres vivants n’ont pas leur langage, leur concept, ne sont pas capable de bonheur?
Je pense que ton raisonnement est un bel exemple de spécisme.
Houla la philo ! le sentier est étroit et sinueux entre anthropocentrisme, pensée religieuse, esthétisme, spiritualité et remplissage de l’estomac.
Pourquoi ne pas endommager un cristal de glace ?
-parce que dieu l’a créé ?
-parce qu’il est joli du point de vue d’un passant et satisfait sa consommation de belles images ?
-parce qu’il est l’expression d’un beau abstrait et absolu par sa construction géométrique ?
-parce que je vends les photos que j’en fait ?
-parce que l’humanité doit vivre sur une jolie planète ? mais peut-être que des centaines de petits organisme ont horreur des cristaux de glace ?
Si en dernière analyse dieu n’existe pas, le beau absolu non plus, la conscience des hommes un « détail » de l’univers physique, notre descendance pas plus importante que l’évolution d’un éboulis de roches, alors rien n’a de valeur.
Personnellement, je n’abimerai pas un cristal de glace, ni une fourmi, ni un éboulis. Je ne sais pas pourquoi. Mais va expliquer ça a un chasseur …
Houla la philo ! le sentier est étroit et sinueux entre anthropocentrisme, pensée religieuse, esthétisme, spiritualité et remplissage de l’estomac.
Pourquoi ne pas endommager un cristal de glace ?
-parce que dieu l’a créé ?
-parce qu’il est joli du point de vue d’un passant et satisfait sa consommation de belles images ?
-parce qu’il est l’expression d’un beau abstrait et absolu par sa construction géométrique ?
-parce que je vends les photos que j’en fait ?
-parce que l’humanité doit vivre sur une jolie planète ? mais peut-être que des centaines de petits organisme ont horreur des cristaux de glace ?
Si en dernière analyse dieu n’existe pas, le beau absolu non plus, la conscience des hommes un « détail » de l’univers physique, notre descendance pas plus importante que l’évolution d’un éboulis de roches, alors rien n’a de valeur.
Personnellement, je n’abimerai pas un cristal de glace, ni une fourmi, ni un éboulis. Je ne sais pas pourquoi. Mais va expliquer ça a un chasseur …
Certes, mais qui décide en dernier ressort de ce qui a une valeur intrinsèque ? N’est-ce pas l’homme ? L’homme n’est-il pas nécessairement la mesure de toute chose puisque il est l’inventeur du langage, des concepts, de la morale, du bonheur, etc ?
Certes, mais qui décide en dernier ressort de ce qui a une valeur intrinsèque ? N’est-ce pas l’homme ? L’homme n’est-il pas nécessairement la mesure de toute chose puisque il est l’inventeur du langage, des concepts, de la morale, du bonheur, etc ?